Comme si l’image du Liban n’était pas assez ternie aux yeux de l’opinion publique internationale par la série des scandales financiers et diverses affaires de corruption et de dilapidation, il a fallu en rajouter une couche : c’est devant l’instance internationale la plus prestigieuse que la classe politique vient d’étaler au grand jour son invalidité en faisant perdre au pays son droit de vote à l’Assemblée générale des Nations unies, pour des raisons combinant l’incompétence à l’absence totale de responsabilité.
Plus grave encore : le spectacle navrant des tiraillements entre les deux ministères concernés, les Finances et les Affaires étrangères, qui se sont grossièrement rejeté la balle, illustrant l’impact des conflits politiques personnels qui entravent depuis des années déjà le fonctionnement de l’administration.
On ne sait toujours pas lequel des deux ministres concernés est responsable du non-paiement de la cotisation annuelle du Liban à l’ONU pour l’année 2019, la guerre des communiqués n’ayant fait que renforcer le flou autour de cette affaire.
Commentant la suspension du droit de vote du Liban à l’Assemblée générale des Nations unies, annoncée vendredi par un porte-parole de l’ONU, la diplomatie libanaise a rejeté dans un communiqué toute responsabilité, estimant avoir effectué en temps voulu les procédures nécessaires pour le paiement, tout en admettant que ce manquement « porte atteinte aux intérêts du Liban et au prestige de l’État ». Le communiqué ne pointe pas nommément du doigt les responsables de ce défaut de paiement et ne précise pas la raison pour laquelle les fonds n’ont pas été transférés à l’ONU.
Peu après, le ministère des Finances a affirmé ne pas avoir reçu de demande de paiement des frais requis. « Le calendrier des paiements est établi de manière indépendante, chaque année, selon les demandes des autorités concernées », a ajouté le ministère. Et celui-ci de souligner n’avoir reçu qu’une seule demande de paiement, samedi matin. Le ministère a, dans ce cadre, assuré que le montant sera payé aujourd’hui lundi.
Dans ce qui est apparu comme une tentative de rectifier le tir, le ministère des Finances a évoqué la possibilité qu’une « tierce partie ait pu induire en erreur le ministre des Affaires étrangères (Gebran Bassil) ».
Réagissant aux accusations des Finances, le ministère des Affaires étrangères a publié deux documents, datant de 2018 et 2019, selon lesquels le chef de la diplomatie, Gebran Bassil, demande à son collègue au ministère des Finances, Ali Hassan Khalil, de verser les contributions du Liban aux différents conseils régionaux et organismes internationaux dont le pays est membre.
Le ministère des Finances a rétorqué avoir versé toutes les contributions pour lesquelles il a reçu des demandes de versement. Dans un tweet, Ali Hassan Khalil a appelé les Affaires étrangères à « reconnaître ses erreurs, en assumer la responsabilité et régler le problème d’ici à lundi ». De source informée, on apprenait que la cotisation pour l’année 2018 a été dûment payée par le Liban, mais pas celle de 2019, ce qui a valu au Liban la suspension de son droit de vote.
(Lire aussi : Perte du droit de vote à l'ONU : les AE et les Finances se rejettent la responsabilité)
Responsabilité partagée
Contactée, une source diplomatique a indiqué à L’Orient-Le Jour que la responsabilité de ce manquement grave qui a coûté au Liban sa réputation auprès de l’organisation internationale « devrait être assumée par les deux ministères », quelles que soient les raisons avancées par les uns et les autres.
On apprenait également que la délégation libanaise aux Nations unies avait fait tout ce qui était requis pour alerter les deux ministères concernés et les prévenir des conséquences fâcheuses pour le Liban en cas de non-versement de la cotisation, et ce depuis le début du mois de décembre.
Selon la source diplomatique, le dossier semblait « bloqué » au ministère des Finances « pour des raisons inconnues ». « Même si c’était le cas, la responsabilité des Affaires étrangères, censées effectuer un suivi de l’affaire, était tout autant en jeu », précise la source. « Quel que soit le conflit qui oppose les deux ministres concernés, il est inadmissible qu’il se répercute de la sorte sur les intérêts du Liban », ajoute le diplomate.
Selon notre correspondante à New York Sylviane Zehil, une fois que le Liban s’acquittera de la somme due, il pourra aussitôt récupérer son droit de vote par le biais d’une simple procédure, la décision de l’ONU étant réversible. « Sauf que la réputation du Liban a été entre-temps gravement écornée », commente un observateur.
Indignation au Liban
Réagissant à cette polémique, le chef des Forces libanaises Samir Geagea s’est demandé « ce qu’il reste de l’image du Liban et de son rôle, après avoir perdu son droit de vote à l’Assemblée générale de l’ONU ». « Le plus désolant, c’est qu’à chaque fois qu’ils font subir un camouflet au peuple libanais, la majorité parlementaire commence à échanger les accusations. Mais qu’importe au peuple libanais si la responsabilité incombe au ministère des Affaires étrangères ou à celui des Finances, tant que l’État au final montre qu’il fait vivre sa population dans un pays failli et incapable », s’est indigné M. Geagea, qui a estimé que cette perte de vote à l’ONU aura « beaucoup de conséquences négatives ». « Il est désormais clair que la majorité n’est plus capable de gouverner un peuple et de diriger un pays ».
Le député du Kesrouan, Chamel Roukoz, a de son côté déploré que le Liban passe du statut de « membre fondateur de l’ONU à membre retardataire au niveau de ses cotisations ». « Nous réclamons l’aide extérieure, au moment où les responsables politiques font étalage de leurs propriétés à l’étranger. Nous manquons d’honorer nos paiements, alors que les fonds publics sont dilapidés et volés ! Quelle honte que cette époque pendant laquelle l’image du Liban est bafouée », a déploré M. Roukoz.
Le député de Beyrouth, Nadim Gemayel (Kataëb), a pour sa part estimé qu’au lieu de « dépenser des millions sur des déplacements et des voyages ou autres fêtes, il aurait mieux valu payer les montants dus. Paix à l’âme de Charles Malek et Ghassan Tuéni, qui ont œuvré à consacrer le rôle du Liban à l’ONU ».
Vendredi, le porte-parole de l’ONU, Stéphane Dujarric, avait indiqué que le Liban avait perdu son droit de vote à l’Assemblée générale pour ne pas avoir payé depuis deux ans sa contribution. « Depuis le 9 janvier, dix pays membres des Nations unies, dont le Liban, en retard dans le paiement de leur contribution depuis deux ans, sont sous le coup des dispositions de l’article 19, ce qui signifie qu’ils perdent leur droit de vote à l’Assemblée générale de l’ONU », a déclaré M. Dujarric lors d’un point presse.
Outre le Liban, les pays concernés par cette suspension du droit de vote sont la République centrafricaine, les Tonga, le Venezuela, le Yémen, la Gambie et le Lesotho.
Ce n’est pas la première fois que le Liban se trouve dans cette situation. En 2002 et 2003, le pays du Cèdre n’avait pas payé sa quote-part pour les deux années complètes écoulées, soit un paiement minimal de 1 113 100 dollars.
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commentaires (11)
Pourquoi l'ONU n'avait pas fait un rappel (reminder) que la facture n'a pas été payée? avant de nous frotter le nez dans la m....Ce n'est pas claire tout ça !
Shou fi
15 h 31, le 14 janvier 2020