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Monde - Éclairage

À Oman, une succession aux enjeux internes et régionaux

Sayed Haïtham ben Tarek al-Saïd a été choisi pour prendre la succession du sultan Qabous.

Le nouveau sultan d’Oman, Sayed Haïtham ben Tarek al-Saïd, prêtant serment. Sultan al-Hasani/Reuters

Quelques heures seulement après l’annonce du décès du sultan Qabous samedi, le nom de son successeur était révélé : Sayed Haïtham ben Tarek al-Saïd. Un choix qui respecte les souhaits exprimés par le sultan Qabous dans une lettre testamentaire, normalement destinée à être ouverte si le Conseil de la famille régnante ne trouve pas d’accord à l’issue des trois jours impartis par le protocole pour choisir un nouveau souverain. La rapidité de l’annonce par le Conseil est « une démonstration d’unité à destination de l’extérieur. Ce qui est très important dans une région instable et face à certaines préoccupations selon lesquelles les voisins d’Oman auraient aimé pouvoir interférer dans le processus », indique à L’Orient-Le Jour Cinzia Bianco, spécialiste du Golfe au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR). « Dans ce contexte, les dirigeants omanais ont resserré les rangs », remarque-t-elle.

Le sultanat se distingue du reste des pays de la péninsule Arabique en matière de politique étrangère, refusant de s’aligner sur Riyad et Abou Dhabi. Un statu quo imposé et accepté sous Qabous mais que Mascate craint de voir renversé suite à son décès, via des tentatives de Riyad et d’Abou Dhabi de ramener Oman dans leur giron. Revendiquant sa particularité, Mascate a refusé d’adhérer au blocus lancé contre le Qatar par l’Arabie saoudite et ses alliés et entretient des liens cordiaux avec l’ensemble des pays de la région, parmi lesquels l’Iran, Israël et la Syrie. Une approche qui a permis au sultan Qabous d’être reconnu pour sa capacité à manier l’art de la diplomatie et de la neutralité, lui a valu d’être respecté et apprécié par ses pairs.

Sa mort intervient à un moment où la tension est particulièrement élevée entre Washington et Téhéran, période nécessitant plus que jamais l’activation des leviers diplomatiques et des pourparlers en coulisses – habituellement effectués par l’intermédiaire d’Oman. Par le passé, Mascate a notamment accueilli les négociations entre les États-Unis et l’Iran pour la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015.


Enjeux multiples
Cousin de Qabous et âgé de 65 ans, le sultan Haïtham prend la relève de celui qui a régné pendant 50 ans sur la « Suisse du Golfe ». Un rôle difficile à endosser alors que le sultan Qabous, issu de la génération précédente des dirigeants du Golfe, a fait entrer le sultanat pleinement dans le monde moderne. « Tout nouveau chef a besoin de temps pour consolider son pouvoir et il sera difficile de reprendre le système complexe que Qabous maîtrisait, avec un degré d’équilibre et un degré de concurrence entre les différentes institutions et les différents groupes ethniques, tribaux et religieux », souligne Jane Kinninmont, analyste sur le Moyen-Orient. « Une autre question-clé est de savoir dans quelle mesure ce dirigeant, qui n’est pas militaire, contrôlera les services de sécurité qui sont étendus et puissants », poursuit-elle.

Diplômé de l’Université d’Oxford en 1979, le nouveau souverain omanais a officié au ministère des Affaires étrangères pour les affaires politiques à partir de 1986, en tant que sous-secrétaire puis en tant que secrétaire général pour le ministère des Affaires étrangères à partir de 1994. Il est ensuite devenu ministre du Patrimoine et de la Culture. Personnalité relativement connue sur la scène domestique et régionale, le sultan Haïtham « a présidé les réunions de cabinet lorsque (le vice-Premier ministre d’Oman) Sayed Fahd ben Mahmoud ne pouvait pas le faire et il a représenté le sultan Qabous lors de réunions occasionnelles à l’étranger », observe Elana DeLozier, chercheuse au Washington Institute for Near East Policy. Toutefois, face à un sultan Qabous réticent à déléguer certains de ses pouvoirs aux membres de la famille royale, « Sayed Haïtham n’a pas eu l’avantage d’une position de prince héritier pour lui permettre d’être préparé à gouverner », soulève Jane Kinninmont.

Les enjeux pour le nouveau dirigeant omanais sont multiples, tant sur le plan interne qu’externe. Le sultan Haïtham ne devrait pas rompre avec le positionnement de Qabous en matière de politique étrangère, mêlant neutralité et art de la diplomatie. Lors de son premier discours samedi, le nouveau souverain omanais a affirmé sa volonté de poursuivre la « politique étrangère de non-ingérence » de Mascate et que le sultanat continuerait à « favoriser des solutions pacifiques » dans les dossiers régionaux et globaux.


Défis internes
Les noms des frères du nouveau souverain omanais avaient également été évoqués comme successeurs potentiels, à savoir Sayed Assaad ben Tarek et Sayed Shihab ben Tarek. Parmi ces candidats, seul le sultan Haïtham n’a pas de formation militaire. Étant plutôt impliqué sur des questions économiques et sociales, il préside le comité du projet baptisé « Vision 2040 » d’Oman. Un élément « crucial, car les réformes socio-économiques et de politique économique sont les défis les plus importants pour Oman aux prises avec un déficit élevé, sa dette internationale et le chômage des jeunes », précise Cinzia Bianco. « À Oman, le sultan Haïtham est une figure connue et la jeune génération est susceptible de bien accueillir quelqu’un dont les priorités sont l’emploi et l’économie », estime pour sa part Jane Kinninmont.

Le nouveau souverain omanais hérite d’un pays qui subit les répercussions de la baisse de la production pétrolière, source principale de revenus pour Mascate, et où le taux de chômage s’élève à 16 %. Des problèmes économiques qui « peuvent devenir des problèmes sociaux s’ils ne sont pas résolus », note Elana DeLozier. Dans une région où gronde la contestation sociale, le sultanat a déjà fait l’objet de manifestations contre le taux de chômage élevé, en janvier 2018 à Mascate et dans les provinces de Dhofar et de Salalah, ainsi qu’il y a dix jours à Salalah et Sour.

Cherchant à apaiser les tensions, le gouvernement omanais avait annoncé la création de 25 000 emplois dans le secteur public l’année dernière. Plus tôt ce mois-ci, les autorités omanaises ont affirmé qu’un centre national pour le chômage allait être créé, incluant les secteurs public et privé, et devant être établi d’ici à la fin du mois de février.

Dans un pays où la liberté d’expression est muselée, les manifestations restent généralement ponctuelles. La vague de contestation du printemps arabe en 2011 n’a toutefois pas épargné Oman, où ont eu lieu des manifestations pour réclamer des réformes politiques et économiques. En réponse, le sultan Qabous avait déjà, à l’époque, promis la création de 50 000 emplois tandis qu’un « plan Marshall » avait été mis en place par les pays membres du CCG pour venir en aide au sultanat à hauteur de dix milliards de dollars, échelonnés sur la décennie. Les protestations avaient toutefois fait l’objet d’une violente répression, faisant plusieurs morts et blessés. De nombreux intellectuels omanais avaient également été arrêtés pour avoir tenus des propos en ligne allant dans le sens du mouvement de contestation.

« Le gouvernement a répondu à plusieurs reprises aux manifestations en créant des emplois et en reportant les réformes concernant les subventions, mais avec une dette croissante, le nouveau sultan n’a pas beaucoup d’espace fiscal pour lancer des réponses populistes », observe Jane Kinninmont. « La réforme politique semble être passée de mode dans le Golfe, mais les jeunes Omanais ont montré leur envie de faire entendre leur voix tandis que trouver des moyens pour renforcer la jeunesse est aussi essentiel pour construire une économie plus entrepreneuriale », ajoute-t-elle.


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