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Monde - Portrait

Qabous, un monarque absolu qui a sorti Oman de l'ombre

Le Sultan Qabous, décédé samedi à 79 ans, a modernisé son pays, tout en le dirigeant d'une main de fer.

Le sultan Qabous le 29 novembre 2010, à Mascate. AFP / MOHAMMED MAHJOUB

Sa vie ressemble à un conte de fée. Descendant de la dynastie al-Saïd au pouvoir dans le sultanat d’Oman et de Mascate depuis 1744, Qabous est né en 1940 à Salalah. Le jeune héritier a connu une enfance solitaire et austère. Il lui avait été interdit de jouer, d’aller à la plage… À 16 ans, son père l’envoie en Angleterre pendant cinq ans, d’abord à l’académie privée de Bury St Edmunds puis à l’Académie royale militaire de Sandhurst. Un séjour dont il repartira avec un goût prononcé pour la musique classique européenne et un raffinement très british.

« Qabous a voulu d’ailleurs partager ses passions avec son peuple. C’est le cas par exemple de l’opéra de Mascate inaugurée il y a quelques années », précise Olivier Da Lage, journaliste et spécialiste du Golfe. Mais « par rapport à d’autres souverains du Golfe, il n’est pas du tout un dirigeant extravagant. Il mettait toujours un soin poussé à s’habiller avec élégance, à tailler sa barbe », ajoute-t-il.


Après un grand tour du monde, il revient au pays au milieu des années 1960. A son retour, son père, le sultan Saïd Ibn Taïmour, l’assigne à résidence à côté de son palais de Salalah. Le jeune Qabous y passe six ans confiné dans une simple chambre. Seule sa mère vient de temps en temps réconforter le jeune prince et adoucir cette « détention ».

A cette époque le sultanat semblait coupé du monde extérieur. Vivant hors du temps et du monde, Oman était alors le pays le plus pauvre de la péninsule arabique. Le refus du modernisme s’y accompagnait d’un analphabétisme généralisé et d’une situation sanitaire déplorable. A part quelques militaires britanniques, les étrangers se comptaient sur les doigts d'une main, raconte-t-on. La légende dit aussi qu’à l’époque, ne se trouvait, dans tout Oman, qu’un unique appareil téléphonique, mis sous clé par le sultan Saïd. L’isolement du pays était tel que jusqu’en 1970 les portes de la ville de Mascate fermaient la nuit. Et les habitants qui osaient sortir le soir dans les rues de la ville, devaient le faire avec une lanterne, portée à hauteur de leur visage, pour éviter d’être abattu par les soldats.


Monarque absolu

Le 23 juillet 1970, soutenu par le Special Air Service, célèbre unité des forces spéciales britanniques, Qabous, qui va avoir 30 ans, met fin à son calvaire et renverse son père. Ce que ce dernier ne savait pas, c’est que le jeune prince avait noué des relations utiles lors de son passage à Sandhurst, et que le pouvoir britannique avait apprécié l’intelligence de Qabous et son ardeur au travail.

Une fois installé au pouvoir, le jeune sultan se montre avide de rattraper le temps perdu. Dans une décision très symbolique de la nouvelle ère qu’il veut lancer, il commence par changer le nom de son pays : le sultanat de Mascate et d’Oman devient le sultanat d’Oman. Il unifie ainsi la côte sud-est de la péninsule arabique où régnait jadis l’imamat ibadite, secte de l’islam qui synthétise le sunnisme et le chiisme.

Il met ensuite en chantier routes, ports, écoles et hôpitaux. Et sévit contre la rébellion du Dhofar qui était soutenue par la Chine et l’Union soviétique. Soutenu par les Anglais et par des soldats jordaniens et iraniens, il réussit en 1975 à écraser les insurgés qui se battaient pour leur indépendance depuis 1963.

Impitoyable dans la répression, le sultan Qabous fait preuve de beaucoup d’intelligence une fois la victoire acquise. Il investit énormément dans les infrastructures de la région du Dhofar et parvient à rallier d’anciens guérilleros qu’il nomme à des postes importants au sein de l’Etat. Habile au maniement du bâton et de la carotte, il sera décrit, par le Financial Times, comme « un monarque absolu qui règne par consensus ».

Malgré le développement rapide de son pays, le sultan décide néanmoins, contrairement à ses voisins du Golfe, de mettre ses administrés au travail plutôt que de faire appel à une main d’œuvre étrangère. En 1995, il donne le droit de vote et d’éligibilité aux femmes. Ce n’est toutefois qu’à partir de 2004 que des femmes accèdent au rang de ministre et d’ambassadrices.

Et si Qabous se lance effectivement dans une modernisation tous azimut de son pays, il continue d’y régner d’une main de fer. A Mascate, les portraits du sultan sont partout : les rues sont couvertes d’affiches à son effigie, son image orne les billets de banque, la principale artère de la capitale porte son nom ; l’université et le port aussi. Et il fait construire une immense mosquée… qui portera également son nom. Qabous est omniprésent. Les fêtes nationales sont sa prise de pouvoir, le 23 juillet 1970, et son anniversaire, le 18 novembre.

En monarque absolu, il cumule, pendant longtemps les titres de Premier ministre, ministre des Affaires étrangères, ministre de la Défense, chef d’état-major et gouverneur de la banque centrale…

Cet absolutisme, hérité de son père, Qabous va toutefois finir, avec le temps, par l’abandonner progressivement, en lançant, même timidement, des réformes vers une transition démocratique.

Il institue d’abord un Premier ministre et un Conseil bicaméral doté de certains pouvoirs législatifs, et garantissant des libertés civiles de base pour les Omanais. En 2003, la chambre basse du Conseil est librement élue au suffrage universel direct pour la première fois. Celle-ci ne possède néanmoins pas de pouvoirs réels et ses membres n’ont pas le droit de s’assembler en partis politiques.

Il n’en demeure pas moins que la politique du sultan ne satisfait pas tout le monde. En 2005, ses services déjouent un complot organisé par des islamistes pour renverser son gouvernement. Et en 2011-2012, le sultanat connaît son printemps arabe. Le chômage et la corruption sont alors au cœur des revendications des manifestants, pour la plupart jeunes. Mais, contrairement aux autres pays arabes balayés par le souffle de ce printemps, les Omanais ne réclament pas « la chute du régime » mais sa réforme et « la fin de la corruption ». Maniant encore une fois bâton et carotte, Qabous limoge plusieurs ministres cibles des contestataires, tout en faisant jeter en prison, où ils seront torturés, des dizaines de jeunes activistes. Néanmoins, globalement, « les Omanais apprécient le développement et la stabilité sous son règne », estime M. Da Lage.


Le cancer

En 2014, le pays découvre, choqué, que son sultan est traité pour un cancer. Se pose alors la question de la succession, tandis que le souverain est absent durant huit mois, se faisant soigner en Allemagne.

Le sultan n’a pas de descendance. Marié à sa cousine en 1972, il en a rapidement divorcé, sans avoir d’enfants. Des rumeurs le disent homosexuel. Le sultan n’a, en outre, pas de frère.

A sa mort, il incombait à la famille royale, composée d’une quarantaine de membres de choisir un héritier. En cas de désaccord, c’est le Conseil de défense qui devait décider, en se basant sur un nom que Qabous aurait placé dans deux enveloppes scellées avant sa mort. « Le fait que le sultan n’avait pas nommé un successeur de son vivant s’inscrit dans la tradition ibadite, qui considère que le sultan est aussi un imam. Et dans la tradition ibadite, un imam n’a pas de successeur désigné avant sa mort », affirme M. Da Lage.

Samedi, c’est un de ses cousins, Haitham ben Tarek, 65 ans, ministre du Patrimoine et de la Culture, qui lui a té choisi comme successeur. Le commentateur de la télévision publique d'Oman a précisé que la famille royale avait décidé d'ouvrir la lettre dans laquelle le sultan Qabous avait désigné son successeur.


Le Sultan Qabous et l'ancien président iranien Ahmadinejad, le 4 août 2009, lors d'une visite du premier à Téhéran. REUTERS/Raheb Homavandi/File Photo


Fin diplomate

C’est surtout pour ses talents de diplomate et de médiateur que Qabous restera dans l’histoire du sultanat et de la région. Sur le plan diplomatique, il mène une politique d’indépendance du sultanat. De la position géopolitique stratégique de son pays, le sultan Qabous a su tirer profit au maximum. Contrairement aux autres pays du Golfe, Oman n’est pas un important producteur d’hydrocarbures, mais le pays contrôle, avec l’Iran, le détroit d’Ormuz par lequel transite plus de 30 % du pétrole mondial.

Au fil des années, il devient un acteur discret et efficace au Moyen-Orient, apprécié par les puissances occidentales. Il joue, en coulisses, un rôle décisif dans plusieurs crises secouant la région. Mascate a toujours entretenu de bonnes relations avec Téhéran, à l’époque du Chah, mais aussi après la révolution islamique. Qabous a ainsi été l’un des acteurs principaux des négociations entre Washington et Téhéran qui ont abouti à l’accord sur le nucléaire iranien de 2015. Selon Bruce Riedel, ex-responsable au sein de la CIA et chercheur à la Brookings Institution, « les administrations Clinton, Bush et Obama ont toutes eu recours aux bons offices de Mascate pour engager le dialogue avec Téhéran ». Son pays fut un lieu de rencontres périodiques entre rebelles yéménites et responsables Saoudiens suite à l’offensive militaire anti-Houthis. Il a aidé à la libération de plusieurs otages retenus au Yémen ces dernières années, dont une Française et le prêtre indien Thomas Uzhunnalil. C’est aussi chez lui qu’Iraniens et Saoudiens discutaient régulièrement loin des regards. Revendiquant sa neutralité, Oman a également refusé l’embargo imposé par l’Arabie saoudite et ses alliés sur le Qatar en 2017.

« Oman sous son règne était plus facilitateur que médiateur. En outre, il a souvent accueilli des dirigeants ayant fui leur pays, comme la famille de Kadhafi et le président sud-yéménite. Son atout principal est qu’il parlait avec tout le monde, et il n’a jamais rompu le dialogue avec certains régimes », explique encore M. Da Lage.

Sur le dossier syrien, le sultanat d’Oman n’a pas coupé ses relations avec Damas, contrairement à la majorité des pays arabes et du Golfe. Le chef de la diplomatie omanaise a rencontré à plusieurs reprises le président syrien Bachar el-Assad, à Damas. Le ministre syrien des Affaires étrangères a également visité Mascate.


Le Sultan Qabous et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à Mascate, le 26 octobre 2018. AFP PHOTO / HO / OMANI ROYAL PALACE


C’est surtout les liens entre Israël et Oman qui constituent une politique atypique pour un pays de la région. Des relations commerciales officieuses se sont nouées entre Tel-Aviv et Mascate dès 1994 suite aux accords d’Oslo. Si elles se sont refroidies après le déclenchement de la deuxième intifada en 2000, deux Premiers ministres israéliens ont néanmoins visité Oman : Itzhak Rabin en 1994 et Benjamin Netanyahu en 2018. Suite à cette dernière rencontre, Qabous avait déclaré que le « temps est venu d’accepter Israël comme une puissance du Moyen-Orient ».

La mort du sultan, samedi à l’âge de 79 ans, ouvre une nouvelle page dans l’histoire du sultanat. Son successeur aura assurément un lourd défi à relever pour régner sur un pays que Qabous a essayé de façonner à sa mesure.


Sa vie ressemble à un conte de fée. Descendant de la dynastie al-Saïd au pouvoir dans le sultanat d’Oman et de Mascate depuis 1744, Qabous est né en 1940 à Salalah. Le jeune héritier a connu une enfance solitaire et austère. Il lui avait été interdit de jouer, d’aller à la plage… À 16 ans, son père l’envoie en Angleterre pendant cinq ans, d’abord à l’académie privée de...

commentaires (6)

priere lire un leader etc... merci.

LA LIBRE EXPRESSION

13 h 59, le 13 janvier 2020

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Commentaires (6)

  • priere lire un leader etc... merci.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 59, le 13 janvier 2020

  • UN LEASER NATIONAL. LES PAYS DE LA REGION EN MANQUENT. PAIX A SON AME.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 49, le 12 janvier 2020

  • Un grand homme qui va manquer à la diplomatie dans la région. Son successeur a tous les atouts pour continuer avec détermination le chemin de son oncle. Paix à son âme.

    Shou fi

    23 h 10, le 11 janvier 2020

  • Paix a son ame. Qaboos etait incontestablement le meilleur leader de nos regions. D'une sagesse infinie cet homme n'avait a coeur que le bien-etre de son pays et de son peuple. Chez nous, la grosse majorite de nos leaders n'ont a coeur que le bien-etre de leur(s) compte(s) en banque! Amen.

    Fady Challita

    17 h 43, le 11 janvier 2020

  • "un monarque absolu qui règne par consensus ».... en voila une belle définition dont nous pourrions apprendre et changer la contrepartie de notre situation (un peu gauche je l'admets) vu que nous, nous avons un "monarque de consensus qui ne règne absolument pas ». quelle leçon de VRAIE géopolitique nous pourrions apprendre du sultan Qabous! ... et pendant ce temps ... au Liban ... à l'Ouest, rien de nouveau ... quel dommage

    Jeanne Ghanem

    12 h 26, le 11 janvier 2020

  • Il reste encore une petite place pour un pins Mickey là à droite...

    Gros Gnon

    11 h 56, le 11 janvier 2020

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