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Diaspora - Histoire et diaspora

Randa Tawil explore les périples des migrants en route pour les Amériques

« Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’avant d’arriver à bon port, les migrants qui avaient quitté leur Liban natal ont été confrontés à de nombreuses difficultés qui ne sont pas sans rappeler ce que subissent les migrants d’aujourd’hui », explique la chercheuse.


Un magasin tenu par des Libanais à Vera Cruz au Mexique, 1906. Photo National Archives, Washington DC

« C’est bizarre que je sois aux États-Unis. En fait, j’aurais dû être au Mexique. » Ce type de propos, Randa Tawil, historienne et chercheuse à l’Université Yale, les a souvent entendus au cours de sa jeunesse. Au point que la jeune femme, particulièrement intéressée par les questions qui touchent à la fois à l’origine, au genre et aux migrations, s’est demandé : pourquoi et comment les premiers migrants libanais aux États-Unis ont-ils fini justement aux États-Unis et pas dans un autre pays ? Et quelle était leur situation quand ils ont quitté le Moyen-Orient ? Pour répondre à ces questions, Randa Tawil s’est plongée dans des archives provenant du Liban, de la ville de Marseille en France et des États-Unis. Elle y a trouvé des documents qui lui ont permis de définir les divers obstacles rencontrés par ces migrants.

Au début du XXe siècle, 45 % de la population aurait quitté le Mont-Liban. « Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’avant d’arriver à bon port, ils ont été confrontés à de nombreuses difficultés qui ne sont pas sans rappeler ce que subissent les migrants d’aujourd’hui, explique la chercheuse à L’Orient-Le Jour. Ils étaient sous le joug des trafiquants d’être humains, des passeurs et de leurs pouvoirs illimités. Ils ont traversé des mers et des océans dans des conditions lamentables. Ils ont connu la faim, la peur, la maladie, l’anxiété. Si j’en parle, c’est pour tirer des leçons de cette étape historique importante et parce que je m’intéresse aux migrants », explique la jeune femme qui se dit « critique des politiques restrictives » en matière de migrations. « Il est indispensable de comprendre les conditions dans lesquelles vivait un migrant au moment de son départ, parce que cela façonne à jamais son parcours migratoire. » Or les souffrances de ces migrants ont souvent été passées sous silence.

À bord de la Foria

Durant la période de forte émigration au début du siècle dernier, l’Empire ottoman voulait absolument stopper l’exode massif de la population de la Montagne, en raison notamment de ses répercussions sur l’économie. Les autorités ottomanes avaient ainsi interdit la fourniture de passeports.

Pour surmonter les obstacles à leur départ, les Libanais de la Montagne, déterminés à partir, ont souvent dû payer d’importantes sommes, et ce alors qu’ils étaient pauvres, à un réseau constitué de policiers locaux corrompus et de trafiquants. À titre d’exemple, Randa Tawil cite le voyage à bord de la Foria, le 19 avril 1891, en direction d’Alexandrie. Les policiers locaux avaient certifié qu’aucun habitant de la Montagne ne se trouvait à son bord. Ce qui est hautement improbable, puisqu’une enquête menée par les autorités ottomanes avait montré que des trafiquants du port de Beyrouth avaient facilité la migration de quelque 5 000 villageois aux États-Unis.

Outre le coût du voyage, ces migrants ont dû faire face à nombre de péripéties tout au long de leur long trajet. La première escale, après Beyrouth, était Marseille. Là, les migrants étaient placés en quarantaine sur l’île de Frioul. « Les autorités sanitaires craignant que ces migrants aient attrapé le choléra, elles les envoyaient directement sur l’île. Ils y étaient entassés les uns sur les autres, au milieu des rats, privés d’eau potable. Les maladies s’y répandaient comme des traînées de poudre », souligne Mme Tawil. Une fois la quarantaine terminée, les passagers avaient le droit d’entrer dans Marseille. C’est à ce moment-là qu’ils découvraient qu’ils avaient, souvent, été dupés. Les réservations dont ils pensaient qu’elles avaient été faites, et qu’ils avaient payées, pour quelques nuits dans des hôtels de Marseille, n’existaient pas. Et leurs billets pour le trajet Marseille-New York n’étaient pas valides.

Un crochet par le Mexique

Faute de moyens financiers et sans soutien familial, certains de ceux qui s’étaient fait flouer étaient contraints de rentrer au Liban. D’autres, qui s’étaient liés d’amitié avec des voyageurs, décidaient de changer de destination. À l’instar d’une jeune femme, Sara Élias, dont Randa Tawil raconte l’histoire. Après avoir découvert que son billet pour New York n’était pas valide, Sara Élias avait décidé de changer de destination, et s’est rendue, avec ses nouveaux compagnons de voyage, à Rio de Janeiro. « C’est parfois le hasard, ou les aléas du voyage, qui ont fait que des migrants libanais se sont retrouvés dans tel ou tel autre coin du globe », explique la chercheuse. Avant leur arrivée aux États-Unis, les migrants ont dû faire face à de nouvelles difficultés. Des lois restrictives avaient été promulguées à l’égard des voyageurs en provenance du Moyen-Orient et d’Europe. Le gouvernement américain craignait aussi les migrants venus du Mexique, alors que certains migrants venus du Levant avaient fait un crochet par l’Amérique latine avant d’arriver aux États-Unis. « Ces voyages étaient périlleux, mais beaucoup n’en ont jamais parlé », souligne la chercheuse, qui ajoute : « On ne peut qu’imaginer à quel point ces aventures ont marqué ceux qui les ont vécues jusqu’à la fin de leur vie. »

« C’est bizarre que je sois aux États-Unis. En fait, j’aurais dû être au Mexique. » Ce type de propos, Randa Tawil, historienne et chercheuse à l’Université Yale, les a souvent entendus au cours de sa jeunesse. Au point que la jeune femme, particulièrement intéressée par les questions qui touchent à la fois à l’origine, au genre et aux migrations, s’est...