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Liban - Respect

Un conte de Noël made in Lebanon...

Il est près de 20 heures, ce mardi soir. Au domicile de Samira Hobeika Bou Saab, mère du lieutenant Georges Bou Saab tombé dans les combats de Abra, la famille réunie s’apprête à passer à table pour entamer le repas du réveillon de Noël. Les enfants et les petits-enfants sont là, entourant la doyenne de cette famille si durement éprouvée par la perte irremplaçable de l’officier. En fait, il ne manque plus que la benjamine. Soudain, la sonnette de la porte d’entrée se fait entendre. L’Éthiopienne, qui fait désormais partie de la famille, ouvre la porte, croyant qu’il s’agit de la personne qui manquait. Quelle n’est sa surprise en découvrant trois hommes un peu fatigués et embarrassés devant la porte. Joumana, devenue l’aînée des enfants après la mort de Georges et aussi une militante active sur les réseaux sociaux, reconnaît immédiatement le bâtonnier Melhem Khalaf et se précipite pour l’accueillir.

Ce dernier se présente quand même et introduit ses deux compagnons, des amis avocats. Cela fait plus d’une heure que tous les trois tournent dans la région de Dbayé pour trouver la maison. Le bâtonnier n’a pas voulu demander l’adresse exacte à la famille pour que la surprise soit totale. De fait, tous les présents sont pris de court. Le bâtonnier se dirige directement vers la maîtresse de maison et s’adresse à elle avec une grande émotion : « Votre martyr est le mien, dit-il. Je n’ai pas pu supporter l’idée que vous vous sentiez blessée par mes propos. J’ai voulu partager avec vous ce moment et vous dire l’immense respect que je vous porte. »

Samira Bou Saab a les larmes aux yeux. Elle entraîne sans un mot ses visiteurs vers un coin de la salle à manger où, à côté du sapin de Noël et sur un beau dressoir, trônent les photos du lieutenant Georges Bou Saab. Elle est trop émue pour parler. C’est donc Joumana qui prend la parole. Elle se sent d’ailleurs directement concernée parce que c’est elle qui a été l’origine des critiques qui ont été adressées au bâtonnier après la déclaration qui a suivi sa visite à l’aile des détenus islamistes à la prison de Roumieh. Melhem Khalaf avait alors déclaré qu’il avait rencontré tous les détenus, dont Ahmad el-Assir, et il avait trouvé celui-ci en bonne santé.

Cette petite phrase, sortie hors de son contexte, a provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, notamment parmi les nombreux partisans de l’armée et proches des 23 militaires tombés sur le champ d’honneur lors de la bataille de Abra de si triste mémoire (en juin 2013, lorsque les hommes d’Ahmad el-Assir ont attaqué un barrage de l’armée près de Saïda pour déloger les soldats et se tourner ensuite vers les partisans du Hezbollah et couper ainsi la route du Sud), dont le lieutenant Georges Bou Saab. C’est en effet un sujet particulièrement délicat puisque, depuis l’ouverture du procès du cheikh Ahmad el-Assir et de ses partisans impliqués dans les attaques de Abra, les proches des militaires font face à une véritable campagne destinée à innocenter le cheikh et ses partisans ou, au pire des cas, à les faire bénéficier d’une éventuelle loi d’amnistie en les incluant dans le dossier de ceux qu’on appelle « les détenus islamistes ».


(Lire aussi : Confinés et désœuvrés, souvent battus, « alors parfois les détenus explosent ! »)


Depuis l’arrestation du cheikh à l’aéroport, alors qu’il s’apprêtait à fuir le pays en août 2015, son procès a, selon les partisans de l’armée, traîné en longueur, Ahmad el-Assir et ses avocats trouvant sans cesse des excuses pour multiplier les reports, dans le but de laisser la voie ouverte à un compromis. Une des excuses invoquées était justement l’état de santé du détenu. C’est donc la raison pour laquelle le bâtonnier Melhem Khalaf, qui avait entrepris avec ses collègues une tournée dans toutes les prisons pour un état des lieux précis, a précisé avoir rencontré Ahmad el-Assir qu’il a trouvé, a-t-il dit, « en bonne santé ». Son but était donc de démentir les allégations sur une prétendue fatigue ou maladie pour reporter encore les audiences du procès. C’est ainsi muni de la vidéo complète de sa déclaration à la fin de la visite de l’aile des détenus islamistes à Roumieh que Melhem Khalaf est venu chez Mme Bou Saab.

Il a passé près d’une heure et demie avec la famille, assurant qu’il fera de son mieux pour accélérer les procès et ajoutant que tout ce qu’il souhaite, c’est que justice soit faite, c’est-à-dire que le coupable ait une condamnation et l’innocent un acquittement. À plusieurs reprises, la famille Bou Saab (la mère, le fils et les trois filles) l’ont senti comme un des leurs. Il parlait avec émotion et il avait visiblement fait des recherches sur le dossier avant de prendre l’initiative de se rendre chez eux, le 24 décembre au soir. Selon un des deux avocats qui l’accompagnait, Melhem Khalaf avait insisté pour venir chez les Bou Saab le soir du réveillon, en raison du symbole religieux que représente cette soirée, même s’il devait tourner encore trois heures dans le quartier avant de trouver la maison. Tout au long de la discussion, le bâtonnier n’a pas évoqué la campagne qui l’a visé sur les réseaux sociaux, se contentant d’affirmer que tout ce qui compte pour lui, c’est que la mère du lieutenant tombé au combat ne soit pas blessée. D’ailleurs, avant de partir pour laisser la famille reprendre son repas du réveillon, il a remis à Samira Bou Saab un chapelet que lui avait donné personnellement le pape François au cours d’une de ses visites au Vatican. C’est un cadeau précieux sur les plans spirituel et affectif, et c’est pour cela que Melhem Khalaf a tenu à le remettre à la mère de Georges Bou Saab. C’est sa façon de rendre hommage non seulement à l’officier tombé, mais aussi à sa mère car ceux qui restent portent souvent le fardeau le plus lourd.


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Il est près de 20 heures, ce mardi soir. Au domicile de Samira Hobeika Bou Saab, mère du lieutenant Georges Bou Saab tombé dans les combats de Abra, la famille réunie s’apprête à passer à table pour entamer le repas du réveillon de Noël. Les enfants et les petits-enfants sont là, entourant la doyenne de cette famille si durement éprouvée par la perte irremplaçable de l’officier....

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Chère Scarlett, Je suis votre rubrique avec assiduité, régularité et grand plaisir depuis des années. Un petit commentaire sur le Conte de Noel, si vous me permettez. Dans ces temps où la révolution nous pousse a briser les habitudes du passé, ne pensez-vous pas que "l’Éthiopienne" mérite enfin d'être désignée par son nom? D'autant plus qu'elle fait partie de la famille... Cordialement.

Ziad Namani

09 h 17, le 28 décembre 2019

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Commentaires (1)

  • Chère Scarlett, Je suis votre rubrique avec assiduité, régularité et grand plaisir depuis des années. Un petit commentaire sur le Conte de Noel, si vous me permettez. Dans ces temps où la révolution nous pousse a briser les habitudes du passé, ne pensez-vous pas que "l’Éthiopienne" mérite enfin d'être désignée par son nom? D'autant plus qu'elle fait partie de la famille... Cordialement.

    Ziad Namani

    09 h 17, le 28 décembre 2019

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