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Moyen Orient et Monde - Décryptage

Entre la France et l’Afrique, une page d’histoire se tourne

Avec l’abandon du franc CFA, le président français cherche à débarrasser l’histoire franco-africaine des « oripeaux du passé ».

Le président français Emmanuel Macron et son homologue ivoirien Alassane Ouattara en marge d’une conférence de presse au palais présidentiel, à Abidjan, le 21 décembre 2019. Ludovic Marin/AFP

Abidjan, samedi 21 décembre. Dans la plus grande ville de Côte d’Ivoire, une décision historique vient d’être prise : l’abandon du franc CFA (franc de la Communauté financière en Afrique) – monnaie de plusieurs États de l’ouest et du centre du continent – ainsi que la suppression de la réserve d’argent des États africains à la Banque de France.Après de nombreux mois de négociations, le franc CFA sera remplacé à l’horizon 2020 par une nouvelle monnaie : l’Eco. À l’heure de mettre sous presse, aucune information quant à la circulation des premiers billets n’a été divulguée.

Le changement de devises ne concernera dans un premier temps que les huit pays de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA) : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, à condition que ceux-ci respectent les critères de convergence. L’Afrique centrale reste pour l’heure tenue à l’écart.Les présidents français et ivoirien, Emmanuel Macron et Alassane Ouattara, ont cependant fait bien plus qu’acter une simple décision économique. Ils rompent avec près de trois quarts de siècle de ce qui est considéré aujourd’hui par certaines opinions publiques locales comme l’une des dernières « marques » de la France coloniale sur le continent africain. Le franc CFA est dénoncé comme une monnaie « postcoloniale » par certaines populations, mais aussi par certains pays européens comme l’Italie, qui accuse la France de ne pas vouloir « décoloniser » et de freiner le développement de ses anciennes colonies africaines.

« C’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme. Le franc CFA cristallise de nombreuses critiques sur la France. Je vois votre jeunesse qui nous reproche une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres », a ainsi déclaré Emmanuel Macron signifiant qu’il avait été à l’initiative de cette avancée « historique ». À ses côtés, Alassane Ouattara a de son côté tenu à préciser que « c’est une décision prise en toute souveraineté ».


Modernisation des relations
Le franc CFA avait vu le jour en 1945, par un décret de Charles de Gaulle. La monnaie portait alors le nom de « Franc des colonies françaises d’Afrique » jusqu’en 1958, où « CFA » devient « Communauté française d’Afrique ». Le franc CFA « actuel » date de 1960. Après l’indépendance des pays d’Afrique de la France, ces derniers ont conservé cette monnaie bien qu’elle « représentait » l’époque coloniale.

« À l’époque, l’essentiel, pour ne pas dire la quasi-totalité des échanges commerciaux de ces pays, se faisait avec l’ex-métropole, la France, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui », explique Michaël Cheylan, analyste spécialisé sur le continent africain, contacté par L’Orient-Le Jour. Des acteurs comme la Chine, la Russie, l’Inde et les États-Unis sont, depuis les années 1990, devenus d’autres partenaires majeurs du continent africain.L’évolution concernant le franc CFA s’inscrit par ailleurs dans la continuité de la politique française à l’égard de l’Afrique depuis l’accession à la magistrature suprême d’Emmanuel Macron en 2017, tant vis-à-vis des relations franco-africaines que de l’histoire de celles-ci. Le président français, qui avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » lors d’un déplacement de campagne en Algérie en février 2017, a regretté que la France soit encore lestée d’« un regard d’hégémonie et des oripeaux d’un colonialisme qui a été une erreur profonde, une faute de la République ».

Lors de la conférence de presse de samedi, aux côtés de son homologue ivoirien, le président français a salué « une page nouvelle de notre histoire commune qui (met) fin aux oripeaux du passé, aux malentendus, parfois à des dispositifs qui n’avaient plus beaucoup de sens ». « Emmanuel Macron, jeune président né bien après l’époque coloniale, a d’emblée affiché sa volonté de “moderniser” et d’aborder de manière “décomplexée” la relation entre les pays d’Afrique francophone et la France, autrement dit de les débarrasser des fantômes du passé », note Michaël Cheylan. « L’évolution du franc CFA en Afrique de l’Ouest s’inscrit dans cette optique », ajoute-t-il, expliquant qu’il y a une volonté de « passer » davantage par l’Union européenne, ainsi que par l’Union africaine pour éviter le tête-à-tête direct entre la France et ses ex-colonies.


Un mythe ébranlé ?
« C’est à Ouagadougou, en novembre 2017, que M. Macron avait dit pour la première fois que si les gouvernements africains souhaitaient changer le système du franc CFA, la France les soutiendrait », rappelle pour L’OLJ Paul Melly, spécialiste des relations entre l’Europe et l’Afrique au think tank Chatham House.

Avec l’abandon du franc CFA, l’idéologie de la « Françafrique » – terme utilisé pour désigner de façon péjorative la relation, parfois qualifiée de néocoloniale par ses détracteurs, entre la France et ses anciennes colonies, mais aussi les liens et réseaux entre les élites africaines et les dirigeants français – semble avoir pris un sérieux coup, sans pour autant s’être effacée des consciences locales.

La présence militaire française au Sahel, dans le cadre de l’opération Barkhane, est par exemple considérée par certaines populations et activistes locaux comme une « force d’occupation ». Plusieurs manifestations, notamment au Niger, ont éclaté depuis le début de l’année contre la présence française sur place. « Même avec la fin du franc CFA, les rapports entre l’Afrique et la France seront toujours empreints d’une histoire douloureuse », expliquait hier l’économiste Stéphane Madaule, dans une tribune au journal Le Monde. « Il subsiste encore quelques reliques du mythe de la “Françafrique” (le franc CFA en fait partie) mais dans les faits le système d’interpénétration des relations politiques et économiques entre la France et l’Afrique a vécu. Un tournant s’est opéré en 1990 et les choses se sont accélérées au début des années 2000 », résume Michaël Cheylan. « Bien que des aspects de la “Françafrique” persistent en Afrique centrale, les relations entre la France et les pays de l’Afrique de l’Ouest sont déjà largement modernisées depuis pas mal d’années », poursuit Paul Melly, précisant par ailleurs que « pour les pays de l’UEMOA, la France restera un partenaire très important ». Cela est vrai en termes stratégiques, notamment dans le cadre de la coopération sécuritaire contre le jihadisme dans la région du Sahel ou encore dans « les très forts liens sociaux, culturels et / ou personnelles entre des milliers de familles et amis en Afrique de l’Ouest et en France », conclut l’expert.


Pour memoire
Macron veut établir une "relation décomplexée" entre la France et la Côte d'Ivoire

Abidjan, samedi 21 décembre. Dans la plus grande ville de Côte d’Ivoire, une décision historique vient d’être prise : l’abandon du franc CFA (franc de la Communauté financière en Afrique) – monnaie de plusieurs États de l’ouest et du centre du continent – ainsi que la suppression de la réserve d’argent des États africains à la Banque de France.Après de nombreux mois...

commentaires (1)

Si l’abandon du franc CFA est un geste positif, qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité » et « d’erreur de la République » comme l’a fait Emmanuel Macron est une marque excessive de repentance. La France n’a d’ailleurs pas été le seul acteur de cette phase historique aujourd’hui dépassée, et son bilan est loin d’avoir été entièrement négatif. .

Tabet Ibrahim

10 h 47, le 24 décembre 2019

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Commentaires (1)

  • Si l’abandon du franc CFA est un geste positif, qualifier la colonisation de « crime contre l’humanité » et « d’erreur de la République » comme l’a fait Emmanuel Macron est une marque excessive de repentance. La France n’a d’ailleurs pas été le seul acteur de cette phase historique aujourd’hui dépassée, et son bilan est loin d’avoir été entièrement négatif. .

    Tabet Ibrahim

    10 h 47, le 24 décembre 2019

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