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Culture - Littérature

Quand Karine Tuil dépeint la fragilité des hommes à l’ère du #MeToo

Dans son dernier roman « Les choses humaines », l’auteure française lauréate du prix Interallié et du Goncourt des Lycéens 2019 interroge les nouveaux rapports hommes/femmes dans une société contemporaine désormais dominée par le féminisme et la puissance des réseaux sociaux...


Karine Tuil. Photo Wikimedia

« On naissait, on mourait ; entre les deux, avec un peu de chance, on aimait, on était aimé, cela ne durait pas, tôt ou tard, on finissait par être remplacé. Il n’y avait pas à se révolter, c’était le cours invariable des choses humaines. » C’est sur cette note fataliste que se clôture le dernier roman de Karine Tuil, justement intitulé Les choses humaines* (Gallimard), mettant en scène des personnages archétypaux enferrés dans la vie. Des personnages de tragédie grecque revisitée à la sauce contemporaine. Avec des puissants, des victimes, l’incursion du destin et l’imprévue descente aux enfers. Sauf que la tragédie se noue à l’ère du féminisme version #MeToo, des réseaux sociaux et de leur lynchage médiatique.


Petits arrangements de couple...

Claire et Jean Farel forment un couple en vue. Lui est un journaliste célèbre, installé depuis des années aux commandes de la grande émission politique du paysage audiovisuel français. Elle est une essayiste féministe reconnue. Leur fils unique Alexandre, étudiant dans une prestigieuse université américaine, s’achemine vers un bel avenir. Mais derrière cette harmonieuse façade familiale, la réalité est plus contrastée.

Jean et Claire mènent chacun sa vie de son côté. À 70 ans, l’homme des médias ne veut « rien lâcher », ni les feux des projecteurs et le pouvoir qu’ils lui procurent ni les jeux de séduction qui rassurent son ego, alors qu’en vérité, il aime (en cachette du public) une femme de son âge.

Idem pour son épouse qui, elle, a discrètement déménagé chez son amant. Quant au fils, sous son apparent équilibre, il vit très mal le délitement du couple parental, d’autant qu’il expérimente aussi son premier grand chagrin d’amour.

Ce trio, parfaite incarnation d’une certaine bourgeoisie intellectuelle parisienne et de ses petits arrangements avec la vie, va brutalement se retrouver propulsé en plein fait divers, lorsque Alexandre va être accusé de viol.

À partir de là, c’est dans le collimateur de la justice et de ses achoppements avec le tribunal populaire des réseaux sociaux que l’auteure entraîne les lecteurs à la suite des mésaventures de son (anti)héros.


Zone grise

Comme souvent dans ses précédents romans, Karine Tuil a puisé dans le réel et les grands enjeux sociétaux le terreau romanesque de ce dernier opus. Dans L’insouciance (qui lui avait valu, il y a quelques années, le prix Landerneau des lecteurs), elle dépeignait l’omniprésence du racisme. Pour Les choses humaines (Gallimard), doublement couronné, en cette rentrée, du prix Interallié et du Goncourt des Lycéens, elle s’est inspirée, dit-elle, « de l’affaire d’une jeune femme victime d’un viol sur le campus de l’université de Stanford en 2015 ». Ce cas avant-coureur des scandales Weinstein et Epstein, l’auteure française, en parfaite observatrice de son temps, s’en est servi pour croquer le personnage de la jeune femme timorée, victime présumée d’Alexandre. Pour évoquer notamment cette fameuse « zone grise » entre consentement et refus sidéré de la victime, si difficile à déterminer et sujette à tant de controverses.


« Vivre, c’est revoir ses prétentions à la baisse »

D’ailleurs le roman est divisé en deux parties. La première dépeint les protagonistes, les jeux de pouvoir et la situation de chacun d’eux sur l’échiquier social. Tandis que la seconde retranscrit les grandes phases du procès et des audiences tels que vécues par l’agresseur et sa famille. Car, « on l’oublie souvent, tout procès est celui de l’accusé avant tout », rappelle Karine Tuil.

Au fil des pages se dessinent les tensions des rapports hommes/femmes, la violence et parfois l’imposture de l’univers des médias, l’impact des réseaux sociaux sur les décisions de justice, la brutalité d’une société qui valorise la performance au détriment de toute autre valeur ou encore l’affrontement des classes et des milieux. Mais aussi, à un niveau plus intimiste, les amours, désirs, ambitions, chutes et faux-semblants des individus. Montrer la fragilité des êtres humains et raconter les maux de la société contemporaine, c’est ce que réussit admirablement Karine Tuil dans ce roman où elle fait d’ailleurs dire, si justement, à l’un de ses personnages : « Vivre, c’était s’habituer à revoir ses prétentions à la baisse. »

Une lecture prenante de bout en bout.

*Disponible à la Librairie Antoine.


Pour mémoire

Karine Tuil, lauréate du prix Interallié

« On naissait, on mourait ; entre les deux, avec un peu de chance, on aimait, on était aimé, cela ne durait pas, tôt ou tard, on finissait par être remplacé. Il n’y avait pas à se révolter, c’était le cours invariable des choses humaines. » C’est sur cette note fataliste que se clôture le dernier roman de Karine Tuil, justement intitulé Les choses humaines*...

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