Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole - Nay ABI SAMRA

Cette femme libanaise

Il y a quelques années encore, j’écrivais que « la femme libanaise émancipée que l’on applaudit tant, ses chirurgies esthétiques et ses sacs lui ont coûté tellement cher qu’elle n’a plus assez d’argent pour payer l’avocat qui devra la défendre lorsqu’elle sera victime de violences conjugales ». Aujourd’hui, j’ai envie de modifier ces mots, de transformer leur sens. Aujourd’hui, la femme libanaise déchire par elle-même ses prothèses mammaires, retrouve son nez crochu, revêtit ses rides, casse ses talons aigus, s’approprie ses cheveux blancs. Elle se réapproprie son corps, son être, elle est révolutionnaire. Elle n’a jamais été aussi belle, aussi élégante, aussi gracieuse. C’est aujourd’hui qu’on devrait parler, à travers le monde, de sa beauté, de son indépendance et de sa force. Elle est féroce, elle ne lâche rien. Elle le sait, ce pays, elle le porte et elle l’a toujours porté. Elle a toujours été la mère aimante d’un pays au bord de la faillite. Elle a toujours été l’épaule solide sur laquelle ce pays pouvait se reposer. Pourtant, personne ne la voyait. Elle essayait alors de se faire belle, on lui offrait des sacs en échange des coups qu’elle encaissait. Aujourd’hui, c’est fini, elle dit non. Aujourd’hui, c’est le pays qui va la suivre, elle et ses idées, plus jamais l’inverse. Les temps sont révolus. Aujourd’hui, c’est par sa férocité qu’elle est belle.

On a souvent voulu aimer cette femme libanaise parce qu’elle était mère de, fille de, sœur de, femme de. On a essayé de la respecter, pas souvent, mais parfois, quand même, pour ces mêmes raisons. Aujourd’hui, casserole dans une main, drapeau libanais dans l’autre, elle défile dans les rues et les ravage de sa voix stridente. Elle entame les chants, les uns après les autres, en chœur, et elle y croit. Elle croit à son avenir qu’elle va construire de ses propres mains, comme elle a construit tout ce pays. Ce pays lui appartient, son avenir lui appartient et ses droits aussi. On ne les lui arrachera plus. Sa nationalité, elle va la transmettre à qui bon lui semblera. Ses enfants, ils ne quitteront plus ses bras sans son accord. Son sexe, on ne le pénétrera plus sans son consentement. Son corps, on ne le rouera plus jamais de coups. Sa vie, elle n’appartiendra plus qu’à elle, et à elle seule. Elle n’est plus mère, sœur, fille ou femme de, elle est citoyenne. Citoyenne libanaise.

Depuis Paris, je m’émerveille tous les jours. Moi qui ai grandi avec Mulan comme personnage favori, avec une mère libre et forte, je me suis toujours apitoyée sur le sort de cette Libanaise à laquelle je n’ai jamais voulu ressembler. Je ne voulais pas être identifiée à une femme superficielle, fragile et sans intérêt, je voulais être une personne à part entière. J’ai toujours regardé cette femme libanaise de haut parce qu’elle n’était pas comme moi ou parce que je n’étais pas comme elle, je ne sais plus. Je me suis toujours définie par opposition à elle, à tout ce qu’elle représentait à mes yeux. Aujourd’hui, d’un sursaut violent, je m’aperçois que je suis cette femme libanaise et que je l’ai toujours été. Aujourd’hui, cette femme libanaise, je la vois dans toutes les rues du Liban, de Tripoli à Tyr, en passant par Beyrouth. Elle hurle. Des cris de colère que j’ai tant exprimés avant de partir, de déguerpir. Aujourd’hui, cette femme libanaise est moi, et je suis cette femme libanaise. Cette femme libanaise avec son voile, sa petite croix, son maillot de bain, sa bonté, sa beauté, sa force, sa misère, sa richesse, mais surtout son espoir.

Depuis le 17 octobre, cette femme libanaise mène une révolution. Sur le Ring, elle s’accroche audacieusement aux hommes pour que les forces de l’ordre ne les arrêtent pas. À Riad el-Solh, elle fait une première ligne de barrage entre les forces de l’ordre et les manifestants. À Tripoli, elle danse sur une place autour du nom d’Allah. À Tyr, elle fait face aux armes des mafieux. À Damour, elle enlace son enfant devant le corps meurtri de son mari. À Beirut Souks, elle donne un coup de pied à un homme armé. Sur le Ring, elle revient, téléphone à la main, sourire magnifique, prête à couvrir les évènements sans même plus être affiliée à une chaîne d’information. Dans toutes les villes, tous les villages, toutes les rues, elle, femme libanaise, reconquiert sa dignité, ses droits, sa vie. Depuis Paris, je ne l’ai jamais trouvée aussi belle, sacrée femme libanaise.

Maya. Hélène. Christelle. Fatima. Nadine. Rima. Nermine. Bouthaïna. Nahida. Joumana. Nayla. Dima. Michelle. Manal. Tania. Magalie. Rania. Nour. Hayfa. Randa. Hind. Roula. Mariam. Sarah. Joya. Noël. Isabelle. Yara. Darine. Houda. Karen. Pascale. Joëlle. Ghida. Laura. Loubna. Souraya. Rime. Ghinwa. Paula. Joude. Aïda. Mira. Sandra. Olga. Éva. Nicole…

Ces femmes libanaises, qu’elles sont belles aujourd’hui.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Il y a quelques années encore, j’écrivais que « la femme libanaise émancipée que l’on applaudit tant, ses chirurgies esthétiques et ses sacs lui ont coûté tellement cher qu’elle n’a plus assez d’argent pour payer l’avocat qui devra la défendre lorsqu’elle sera victime de violences conjugales ». Aujourd’hui, j’ai envie de modifier ces mots, de transformer leur...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut