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Moyen Orient et Monde - Irak

Le Premier ministre annonce sa démission, et après ?

Adel Abdel Mahdi a cédé aux exigences de la rue suite au sermon de l’ayatollah Sistani.

À Bagdad, les Irakiens célébraient hier l’annonce de la démission du Premier ministre Adel Abdel al-Mahdi. Ahmad al-Rubaye/AFP

Vers 16h (heure irakienne) hier, sur la place Tahrir à Bagdad, épicentre du mouvement antigouvernemental qui secoue l’Irak depuis maintenant deux mois, les habitants ont explosé de joie. Ils ont appris que leur Premier ministre, Adel Abdel Mahdi, remettra sa démission au Parlement, sans toutefois indiquer de date précise. Abou Jihad Hachemi, directeur de cabinet du Premier ministre, a également annoncé sa démission. Cette décision intervient après deux mois de manifestations qui ont tué 420 personnes et blessé 15 000 autres. « C’est notre première victoire et on en aura encore plus face aux autres » politiciens, a dit un manifestant à Bagdad à l’AFP. C’est par ailleurs un moment unique dans l’histoire récente de l’Irak, puisque aucun Premier ministre n’a renoncé à son poste depuis 2003, année du renversement de Saddam Hussein.

Ce qui a fait pencher la balance ? Les déclarations de l’ayatollah Ali al-Sistani. La plus grande autorité religieuse d’Irak, l’homme capable de faire et défaire un gouvernement, a pris pour la première fois sans nuance parti pour les manifestants antigouvernementaux et a estimé dans la matinée que le gouvernement semblait « avoir été incapable de faire face aux événements de ces deux derniers mois », appelant les parlementaires à réexaminer leur soutien au gouvernement de M. Mahdi. « Le Parlement dont a émergé le gouvernement actuel est appelé à revoir le choix qu’il a fait à ce sujet et à agir dans l’intérêt de l’Irak pour préserver le sang de ses enfants et éviter que (le pays) ne glisse dans la violence, le chaos et la destruction », affirmait-il dans son sermon du vendredi, lu à Kerbala par un de ses représentants, Ahmad al-Safi. Dans un communiqué, les services de M. Mahdi ont confirmé que sa décision est une réponse directe à l’appel de M. Sistani.

La démission de M. Mahdi survient au lendemain de l’une des journées les plus marquantes et sanglantes depuis le début de la contestation le 1er octobre, qui a vu le consulat iranien de Najaf – ville sainte du chiisme – incendié par des protestataires et la mort de plus de 40 d’entre eux dans des combats contre les forces de l’ordre irakiennes. Mais pendant qu’à Bagdad les habitants célébraient la démission de M. Mahdi, les violences continuaient encore dans le reste du pays. Des combats entre manifestations et forces de l’ordre ont fait 16 morts à Najaf et Nassiriya (à environ 370 km au sud-est de Bagdad).

La balle est maintenant renvoyée dans le camp du Parlement irakien. Celui-ci doit se réunir dimanche pour une session durant laquelle il devrait voter en faveur ou non de la démission de M. Mahdi. Selon les analystes, c’est le premier scénario qui semble le plus envisageable. Des sources médiatiques ont affirmé que « la plupart des partis irakiens ont pris la décision de renvoyer le Premier ministre ». Si le Parlement accepte la démission de M. Mahdi, le gouvernement actuel expédiera les affaires courantes jusqu’à ce qu’un nouveau gouvernement soit nommé. Le président irakien Barham Saleh disposera alors de quinze jours pour désigner un nouveau candidat au poste de Premier ministre. Ce dernier disposera ensuite de trente jours pour former un gouvernement et le présenter avec un programme au Parlement pour un vote de confiance. S’il échoue, le président devra nommer un autre candidat, et ainsi de suite. À l’instar de ce qui se passe aujourd’hui au Liban, cela risque de ne pas être une tâche aisée.


(Lire aussi : Dénoncé par la rue irakienne, l'Iran "bétonne" son influence au sein du pouvoir)



Quels enjeux ?

Il aura en effet fallu huit mois à la classe politique irakienne pour nommer un gouvernement après les élections législatives de mai 2018, à l’issue desquelles la formation du leader populiste chiite Moqtada al-Sadr « Sairoun » était arrivée en tête et est devenue le plus gros bloc politique du Parlement irakien avec 54 sièges. Un score très loin de la majorité, fixée à 165 sièges.

Des blocages risquent par ailleurs de naître, notamment de la part des principaux blocs politiques du pays : celui de M. Sadr, d’un côté, et celui des milices pro-Téhéran (Fatah), dirigé par Hadi el-Améri, de l’autre. Le clerc tribun a très rapidement pris parti pour les revendications de la population et s’est dit prêt à retirer sa confiance envers le Premier ministre. Si un nouveau gouvernement doit être formé, il va devoir « choisir son camp », ayant à la fois un pied dans le gouvernement et un dans les rues d’Irak.

Téhéran, dont l’influence est fortement contestée par la rue, n’est de son côté pas prêt à lâcher son emprise en Irak et l’a montré à de multiples reprises. L’un des exemples les plus marquants a été la visite le 30 octobre dernier du général Kassem Soleimani – chef de la brigade al-Qods (unité d’élite des gardiens de la révolution) et véritable représentant de la République islamique dans la région – pour s’assurer du soutien qu’apportait le Fatah au Premier ministre irakien. Les paramilitaires pro-Iran du Hachd al-chaabi, 2e bloc au Parlement qui jusqu’ici soutenait fortement le gouvernement, ont appelé néanmoins hier aux « changements nécessaires dans l’intérêt de l’Irak ».


(Lire aussi : Un nouveau palier est franchi après l’incendie du consulat iranien à Najaf)



Aucun nom n’apparaît au sein de la classe politique irakienne pour un potentiel remplacement de M. Mahdi. Les analystes mettent également en avant qu’avec la démission du gouvernement actuel, aucune réforme politique majeure ne pourra être entreprise (qu’il s’agisse de l’adoption d’une nouvelle loi électorale, d’une nouvelle commission électorale, de nouvelles élections, etc.). Cette période d’incertitude politique pourrait par ailleurs ouvrir une nouvelle voie à d’autres violences dans le pays. « La démission du Premier ministre ne fera que déclencher encore plus de conflits internes à Bagdad, alors que les groupes armés et les partis se disputent le choix du remplaçant », écrivait hier sur Twitter Hayder al-Khoei, spécialiste de l’Irak, notant que « pendant ce temps, les manifestants suivront de près et ne se contenteront pas d’un autre remaniement tant que le même système corrompu restera ». La population irakienne continue pour sa part de réclamer, malgré l’annonce de M. Mahdi, le départ de « tous les partis ».


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