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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Irak, Liban, Iran : la prudence et l’inquiétude de Moscou

En tant que régime autoritaire ayant lui-même subi des mouvements de contestations par le passé, la Russie demeure sur ses gardes face aux révoltes populaires, mais la grille de lecture semble avoir évolué.

Le président russe Vladimir Poutine est obsédé par la politique du « regime change ». Sputnik/Mikhail Klimentyev/Kremlin via Reuters

Depuis son intervention en Syrie en septembre 2015, la Russie a effectué un retour en force dans la région qui fait aujourd’hui d’elle l’une des grandes puissances au Moyen-Orient. Paradoxalement, le nouvel arbitre de la région, qui parle aussi bien à la Turquie qu’aux Kurdes, à Israël qu’à l’Iran, est resté très discret depuis le début des révoltes libanaise, irakienne et, plus récemment, iranienne. Moscou s’est contenté de quelques prises de position officielles prônant un « retour à la normale » et mettant en garde contre les « ingérences extérieures ». Si la Russie n’est pas directement concernée par ces révoltes populaires, que ses intérêts dans la région ne sont pas non plus clairement menacés par les critiques adressées aux pouvoirs en place, plusieurs raisons peuvent expliquer sa circonspection.

La Russie a tendance à regarder les mouvements populaires avec un œil géopolitique. Le fait que ces trois événements qui se déroulent simultanément constituent une menace pour l’influence de l’Iran dans la région n’est pas sans susciter chez elle une certaine inquiétude. Alliés en Syrie, la Russie et l’Iran ne partagent pas les mêmes objectifs stratégiques dans la région, mais la fragilisation de l’axe chiite, qui relie Téhéran à Beyrouth via Bagdad et Damas, peut être perçu par l’Ours russe comme pouvant être profitable à son rival américain. La volonté de voir les Américains quitter la région est « un point de convergence très fort entre Moscou et Téhéran », explique Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.

Le gouvernement russe ne s’est pas directement prononcé à propos des manifestations en Iran, étouffées par le régime. Le ministère des Affaires étrangères a néanmoins publié, le 19 novembre, un communiqué incendiaire envers les États-Unis à propos de l’accord sur le nucléaire et du renouvellement des sanctions : « Les États-Unis n’ont aucun scrupule à violer ouvertement ces engagements et tentent même d’empêcher leur mise en œuvre par d’autres pays. Ce comportement arrogant de l’un des plus grands pays, qui revendique le leadership mondial, mérite une condamnation résolue. »




(Lire aussi : Sous pression en interne,Téhéran va-t-il resserrer l’étau autour du Liban et de l’Irak ?)



La vision russe
En tant que grande puissance, la Russie tente de diffuser sa propre vision du monde qui prône un contre-modèle de l’Occident et repose en grande partie sur l’ordre et la stabilité. Outre l’affaiblissement de son allié, la situation en Iran affecte l’efficacité du discours russe. « Beaucoup de contestations en Iran sont causées par les sanctions occidentales, et la Russie lutte depuis longtemps pour prouver au monde que ces sanctions ne sont pas efficaces », analyse Timur Akhmetov, expert au Russian International Relations Council.

Si Moscou demeure prudent dans sa communication, il laisse entendre, à l’instar de ce que font l’Iran et ses alliés dans la région, que les manifestations ne sont pas complètement spontanées et qu’elles répondent à des agendas extérieurs. « Ce qui est frappant, c’est de voir que le narratif est le même pour l’Iran et la Russie, à savoir la suspicion de forces extérieures qui suscitent, attisent, manipulent ces mouvements de contestation en Iran », observe Igor Delanoë.

Moscou tente néanmoins de laisser toutes ses options ouvertes en attendant d’y voir plus clair sur la suite des événements. « Il y a un schéma bien défini pour les cercles diplomatiques russes : ils ne condamneront jamais ces contestations, mais ils ne condamneront pas non plus la réponse du gouvernement », analyse Yuri Barmin, directeur Moyen-Orient et Afrique du Nord au Moscow Policy Group, qui explique que « la stratégie est de n’exprimer aucune position ».

Obsédée par la politique du « regime change », la Russie avait vu d’un mauvais œil le printemps arabe en 2011, qu’elle percevait comme une déclinaison des révolutions de couleurs qui avaient agité plusieurs pays de l’espace postsoviétique dans les années 2000. En tant que régime autoritaire ayant lui-même subi des mouvements de contestations par le passé, la Russie demeure sur ses gardes face aux révoltes populaires mais la grille de lecture semble avoir évolué. « Les Russes ne sont pas aussi inquiets aujourd’hui qu’ils l’étaient en 2011 parce que la situation actuelle dans leur pays est stable et qu’il n’y a pas de réelle contestation », observe Yuri Barmin. « Bien que les diplomates russes déclarent parfois que le printemps arabe a été causé par une ingérence extérieure, les conseillers du Kremlin savent que la crise a des racines endogènes : mauvaise gestion, corruption, népotisme, absence de représentation démocratique », décrypte Timur Akhmetov.



(Lire aussi : L’axe chiite dans la tourmente)



Plusieurs réactions
Dans la presse russe, les réactions divergent. Le journal Kommersant exprimait dans l’un de ses articles la solidarité russe envers l’Iran et rapportait les propos de Novosti Zamir Kabulov, directeur du deuxième département asiatique du ministère russe des Affaires étrangères : « La situation est difficile et tendue : une augmentation significative du prix de l’essence a bien sûr ajouté de l’huile sur le feu. Mais les forces extérieures travaillent aussi activement, alors nous sommes solidaires. » D’autres journaux ont interprété les événements comme des révoltes internes, liées uniquement à des problématiques économiques.

En Irak, la situation est préoccupante pour des raisons géostratégiques. « Moscou regarde principalement ses intérêts dans le secteur pétrolier ainsi que la position de Bagdad dans le conflit syrien, surtout en terme de coopération à propos du contre-terrorisme et de la sécurité aux frontières », indique Timur Akhmetov. Mikhaïl Bogdanov, ministre adjoint des Affaires étrangères, a néanmoins exprimé son souhait d’un « retour à la normale » le plus rapidement possible. Au Liban, la réaction s’est fait attendre : les Russes n’ont pris parole à ce sujet qu’après la démission de Saad Hariri et se sont contentés d’une mise en garde contre une potentielle influence extérieure. « Je ne pense pas que la Russie soit très inquiète à propos des contestations au Liban car elles sont dues principalement à des problématiques internes », observe Timur Akhmetov.

Néanmoins, l’ancien ambassadeur américain au Liban Jeffrey Feltman a affirmé mardi dernier que la Russie pourrait « faciliter la restauration de l’hégémonie du régime syrien sur son petit voisin (…) surtout en tant que couverture pour ses propres objectifs au Liban ».


Pour mémoire
De Beyrouth à Bagdad, en passant par Téhéran

Les enjeux de la contestation en Iran

Depuis son intervention en Syrie en septembre 2015, la Russie a effectué un retour en force dans la région qui fait aujourd’hui d’elle l’une des grandes puissances au Moyen-Orient. Paradoxalement, le nouvel arbitre de la région, qui parle aussi bien à la Turquie qu’aux Kurdes, à Israël qu’à l’Iran, est resté très discret depuis le début des révoltes libanaise, irakienne et,...

commentaires (2)

L'armée russe , toujours présente et en état d'alerte dans une Syrie quasi pacifiée, n'a plus grand chose à faire chez le voisin : Elle est appelée à y rester , afin de servir de garde-fou devant tout changement volcanique au Liban , et qui irait contre les interêts vitaux de sa politique réussie au Moyen-Orient .: Un énorme chat qui fait semblant de dormir et qui attraperait tout ce qui sortirait du trou libanais . Poutine ne laissera pas les chrétiens sans protection .

Chucri Abboud

10 h 02, le 25 novembre 2019

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Commentaires (2)

  • L'armée russe , toujours présente et en état d'alerte dans une Syrie quasi pacifiée, n'a plus grand chose à faire chez le voisin : Elle est appelée à y rester , afin de servir de garde-fou devant tout changement volcanique au Liban , et qui irait contre les interêts vitaux de sa politique réussie au Moyen-Orient .: Un énorme chat qui fait semblant de dormir et qui attraperait tout ce qui sortirait du trou libanais . Poutine ne laissera pas les chrétiens sans protection .

    Chucri Abboud

    10 h 02, le 25 novembre 2019

  • EN TANT QUE STRATEGE EXPERIMENTE POUTINE S,ATTENDAIT A CE SCENARIO. PAS SITOT PEUT-ETRE ! IL EST PRIS DE COURT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    01 h 02, le 25 novembre 2019

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