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Culture - Littérature

« Rendons la ville aux gens, ils sauront quoi en faire »

« Ougarit » (éditions Inculte, août 2019) est le premier roman de Camille Ammoun. Dans le contexte actuel libanais, ce texte, qui interroge la dialectique entre les hommes et les pierres, semble avoir été publié à point nommé.

Camille Ammoun : le fabuleux destin d’Ougarit Jérusalem. Photo DR

Avez-vous déjà essayé d’aborder votre ville dans une perspective globale, qui embrasserait ses aspects les plus confidentiels, et qui saisirait l’essence de son âme ? C’est de cette approche ontologique de l’espace urbain que traite le récit de voyage polyphonique de Camille Ammoun. Consultant en politiques publiques, l’auteur a passé dix ans à Dubaï, avant de rentrer à Beyrouth, où il travaille actuellement pour des organisations internationales et des ONG sur des questions de résilience, de durabilité et de changement climatique.

Ougarit (éditions Inculte, août 2019), qui a été sélectionné cette année pour le prix de la littérature arabe de l’Institut de monde arabe, est centré sur un protagoniste originaire d’Alep, parisien d’adoption, qui est spécialiste en urbanologie. « C’est une discipline que j’ai inventée, au croisement de l’archéologie, de la sociologie et de la littérature. Une ville est constituée de bâtiments physiques, mais aussi de liens sociaux. Le centre-ville actuel de Beyrouth en est un bon contre-exemple : on a reconstruit les pierres, mais le tissu social ne s’est pas reconstitué. C’est un cliché du passé, sans les gens », précise le romancier.

D’ailleurs, celui qui a participé au soulèvement de la rue libanaise de ces dernières semaines insiste sur l’enjeu urbanistique de ce mouvement. « On assiste à la réappropriation par le peuple libanais de l’espace public. Dans certains quartiers du Grand Beyrouth, sinistrés par l’étalement urbain sauvage et cruellement dépourvus d’espaces publics, comme Jal el-Dib, les citoyens ont transformé une portion d’autoroute en espace de contestation. Des tentes ont été dressées sur les places, des tribuns sont apparues. On y vend des épis de maïs grillés, de l’eau, du café, on y fume le narguilé. Les gens discutent, participent, débattent, s’engueulent. La démocratie est dans la rue. »



« Le privilège suprême de découvrir l’aleph »
Dans le roman, le personnage éponyme, Ougarit Jérusalem, est envoyé en mission dans « la ville de tous les superlatifs », qui s’apprête à recevoir l’Exposition universelle de 2020. Il est censé mettre en valeur, ou tout au moins rechercher, l’âme de Dubaï, avec des détours à Paris, Barcelone, la montagne du Chouf, Alep... « J’ai essayé de transformer Dubaï en texte littéraire, et chaque personnage en représente une facette : le vieil Émirati pêcheur de perles, la galeriste iranienne Azadeh, des hommes d’affaires, des personnages mafieux, des marins... Ougarit, avec son activité atypique, sert de catalyseur narratif et rassemble tous ces gens qui ne sont pas programmés pour se rencontrer », explique l’écrivain. L’écriture chirurgicale et visuelle de l’auteur tisse avec dextérité une trame de roman d’aventure, parfois rocambolesque, et une analyse minutieuse de la texture urbaine et de sa symbolique.

Progressivement, Ougarit prend des allures de quête du Graal, autour d’une exploration volontairement mystérieuse : le héros recherche l’aleph de la ville de Dubaï. Ce terme, qui fait écho à l’œuvre de Borges, incarne un point de vue qui permettrait de regarder la ville dans son ensemble et qui en saisirait l’âme et l’identité culturelle, vitales pour ses habitants. C’est dans cette optique que le jeune consultant envisage le soulèvement libanais qui est né le 17 octobre, au-delà des revendications politiques, économiques et sociales. « La révolution a ramené dans des territoires froids et dépeuplés une partie de l’âme urbaine qui les avait désertés. En l’espace d’une soirée, la place des Martyrs est redevenue cette Sahat el-Bourj grouillante et populaire, et la très sérieuse Tripoli a dansé pour appeler au changement. La texture même de ces lieux s’altère lorsque leur utilisation est modifiée, ils font ville. Ils ramènent dans la cité ceux qui la peuplent, le temps de leur contestation. Si cette révolution doit aboutir à une seule conclusion, c’est bien celle-ci : rendons la ville aux gens, ils sauront quoi en faire. »

Camille Ammoun propose dans son premier opus un voyage en Orient post-moderne, au cours duquel le héros découvre le pouvoir de l’écriture, qui semble être la plus à même d’esquisser la saveur irréductible d’une ville, et l’attachement qu’elle génère.



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