Le directeur pour Israël et la Palestine à Human Rights Watch, Omar Shakir (à gauche), et le directeur de HRW, Kenneth Roth (à droite), hier à l’aéroport Ben Gourion. Jack Guez/AFP
Human Rights Watch (HRW) n’avait jamais été confronté à une pareille situation dans un pays dit démocratique. Conformément à la décision de la Cour suprême israélienne du 5 novembre dernier, le directeur de HRW pour Israël et la Palestine, Omar Shakir, a été expulsé hier soir du territoire israélien. Citoyen américain en poste depuis près de deux ans et demi, il s’est vu refuser le renouvellement de son visa de travail à la fin de l’année 2018, accusé par Israël de soutenir le mouvement Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS). Une décision alors justifiée par la Cour du district de Jérusalem par les activités d’Omar Shakir qualifiées d’ « anti-Israël » entre 2010 et 2017, une période incluant ses années d’études sur les bancs de l’université de Stanford. L’État hébreu estime que Omar Shakir aurait poursuivi ces activités à travers son travail à HRW ainsi que sur les réseaux sociaux, une accusation que réfute catégoriquement l’organisation.
« Cette décision est une menace pour les valeurs démocratiques en Israël et pour l’image du pays à l’étranger car il n’arrête pas de prétendre être la seule démocratie dans la région et se considère comme une démocratie libérale », affirme à L’Orient-Le Jour Éric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Right Watch. « Ce n’est que le début de ce que va essayer de faire ce gouvernement pour rétrécir l’espace alloué aux voix critiques et aux défenseurs des droits humains », estime-t-il. « Israël, comme n’importe quel pays sain, a le droit de décider qui peut entrer et travailler à l’intérieur de ses frontières », a insisté hier le ministère israélien des Affaires stratégiques.
Campagne internationale propalestinienne appelant au boycott de l’Etat hébreu dans différents domaines, BDS a été formalisé lors de l’appel du 9 juillet 2005 formulé par la société civile palestinienne et rassemblant les signatures de 172 organisations. Par le biais d’actions pacifiques, BDS lutte contre l’occupation israélienne, œuvre pour la reconnaissance des droits des Arabo-Palestiniens d’Israël « à une égalité absolue » et pour le respect de la résolution 194 de l’ONU pour le retour des réfugiés Palestiniens souhaitant « rentrer dans leurs foyers ». À l’instar de nombreuses organisations dans la région, HRW appelle les entreprises présentes dans les colonies israéliennes en Cisjordanie à s’en retirer pour ne pas se « rendre complice » de violations des droits humains dans la région. « La fausse accusation qui vise à lier Omar Shakir au mouvement BDS montre à quel point Israël est terrifié par le mouvement de boycott et à quel point il craint toute personne susceptible de défendre le droit au boycott », souligne à L’OLJ Yara Hawari, chercheuse à al-Shabaka, un think tank palestinien indépendant. « Israël a toujours été hostile à BDS mais les attaques sont devenues plus institutionnalisées à l’égard du mouvement lorsqu’il a commencé à avoir du succès », ajoute-t-elle.
Droitisation progressive
Au cours de ces dernières années, les autorités israéliennes ont développé un discours virulent contre les organisations de défense des droits humains, qu’elles soient locales ou internationales. En juillet 2016, les députés israéliens ont adopté un texte de loi forçant les ONG recevant plus de la moitié de leurs financements de gouvernements étrangers à le déclarer publiquement et à le rappeler systématiquement à chaque nouvelle publication, sous peine d’amende. S’il n’est fait explicitement mention des organisations qui défendent les droits humains en Israël et dans les territoires palestiniens, ce sont bel et bien celles-ci qui sont en ligne de mire puisque les organisations d’extrême droite sont, de leur côté, financées par des fondations ou des individus basés à l’étranger. Deux ans plus tard, en octobre 2018, un projet de loi permettant de mettre un terme aux financements étatiques des organisations culturelles qui œuvreraient « contre les principes de l’État » a été voté par le comité ministériel pour lutter contre le financement d’événements ou d’organismes qui contesteraient, entre autres, « le caractère juif et démocratique de l’État d’Israël » ou qui célébreraient « la Journée de l’indépendance appréhendée sous l’angle du deuil » – une attaque directe contre la commémoration de la Nakba ou catastrophe en arabe, soit de l’exode de 700 000 Palestiniens en 1948 à la création d’Israël. « Ce sont toutes des tentatives délibérées de limiter notre travail. Toutes les organisations palestiniennes en font l’expérience, dans tous les secteurs, y compris les ONG, les universitaires et les personnels de santé », dénonce Susan Power, chercheuse juridique à al-Haq, une organisation palestinienne des droits humains. « Cela fait partie d’un plan plus vaste et systématique visant à paralyser le territoire palestinien et à le maintenir à un niveau qui fonctionne à peine », poursuit-elle.
L’expulsion de Omar Shakir semble être révélatrice de la droitisation progressive de la société israélienne depuis les années 2000 et de son accélération au cours de ces dernières années. Les résultats des dernières élections législatives de septembre 2019 ont mis en lumière les crispations identitaires et politiques qui traversent la société israélienne. « Les élections israéliennes n’ont pas opposé la droite et la gauche en Israël mais une compétition entre une droite laïque et une droite religieuse, un candidat de droite à un autre candidat plus à droite encore », observe Yara Hawari. Les deux principaux candidats, Benjamin Netanyahu pour le Likoud et Benny Gantz pour la coalition Bleu et Blanc, se sont distingués par la similarité de leurs programmes concernant la question palestinienne. Alors en campagne, le premier promettait l’annexion unilatérale de la vallée du Jourdain quand le second entendait renforcer les blocs de colonies en Cisjordanie et garder la responsabilité de la sécurité à l’est du Jourdain. L’année dernière, une loi fondamentale du 19 juillet 2018 a cristallisé que les Juifs ont un droit exclusif à l’autodétermination en Israël, déniant par là ce même droit aux citoyens non juifs. « Cette nouvelle loi dit bien que seuls les Juifs israéliens ont le droit à l’autodétermination. Elle met noir sur blanc ce qui existait déjà. La discrimination contre les Arabes israéliens existe depuis 1948 (NDLR date de la création de l’État d’Israël). Sauf qu’en 2018, les discriminations ont été érigées en loi », avance Riccardo Bocco, professeur à l’Institut des hautes études internationales et du développement basé à Genève. Israël bénéficie d’un contexte international favorable avec une administration américaine qui s’est défaite de ses engagements officiels passés en faveur de la solution à deux États. « Cette décision de la Cour suprême israélienne d’expulser M. Shakir intervient dans un nouveau contexte. Il y a quelques jours, Mike Pompeo, secrétaire d’État américain, a déclaré que, juridiquement parlant, pour les États-Unis, les colonies ne sont pas illégales. Cela valide l’annexion de la Cisjordanie par Israël. Dans la mesure où les États-Unis soutiennent Israël sur cette question, pourquoi s’embarrasser d’un activiste de Human Rights Watch qui dérange. Ils peuvent interpréter de manière extensive la loi sur le BDS de 2017 », remarque Riccardo Bocco.
Pour mémoire
N'importe quel pays a le droit de declarer une personne "persona non grata"et l'expulser si cette personne ne fait que travailler de facon contraire a l'etique. Ce mec n'a jamais emis aucune critique contre la PA, mais s'est evertue a delegitimer le pays qui l'acceuille. Bien fait pour lui.
17 h 10, le 26 novembre 2019