Rechercher
Rechercher

Idées - Point de vue

Loi d’amnistie : le jeu dangereux de Nabih Berry

Le président de la Chambre des députés, Nabih Berri. Archives Reuters

La fin des pratiques clientélistes et la lutte contre la corruption généralisée sont au cœur des revendications populaires au Liban depuis le 17 octobre. Il est à cet égard particulièrement surprenant que le pouvoir, incapable de trouver une solution politique aux revendications de la rue, ou des solutions urgentes à la crise économique, ait pour premier réflexe de procéder à une amnistie générale fabriquée sur mesure pour relâcher les trafiquants de drogue, les terroristes, et autres criminels. A travers cette amnistie, certains partis politiques espèrent renouer avec leur base fragile et reconquérir le support dans les régions périphériques. Mais ce recours ne fait que confirmer l’affaiblissement et le désarroi du pouvoir.

L’ordre du jour de la séance parlementaire d’aujourd’hui (reportée depuis le 12 novembre sous la pression de la rue, et de nouveau reportée, ce mardi 19, faute de quorum alors que les manifestants s'étaient mobilisés autour du Parlement) comprend plusieurs propositions de lois, toutes superficiellement conçues et bricolées sur mesure pour servir des intérêts purement politiques. Parmi elles, figure la fameuse loi d’amnistie qui fait un tollé depuis plus d’une semaine. Cette loi établit l’amnistie générale comme règle, puis exclut explicitement quelques crimes -tout en prévoyant une réduction des deux tiers de la peine prononcée contre leurs auteurs. La loi couvrirait tous les crimes commis avant le 30 octobre 2019, et s’appliquerait aux personnes condamnées ainsi qu’aux individus sujets à des mandats d’arrêt ou poursuivis par les institutions sécuritaires.

Après plusieurs révisions, la version finale de la proposition de loi a été soumise par les députés Yassine Jaber et Michel Moussa du Bloc de la Libération et du Développement, revêtue du caractère de double urgence (ce qui permet de court-circuiter son examen par les commissions parlementaires). Dans les jours précédant son dépôt initial le 12 novembre, nous en avons obtenu trois versions successives dont l’examen a permis de mieux éclaircir le jeu du pouvoir.

Calculs d’épiciers

L’étude des différents amendements ajoutés ou supprimés laisse ainsi apparaître d’emblée une logique de négociation entre les différents partis politiques au pouvoir sur le choix des crimes exemptés d’amnistie ainsi que sur le taux de réduction de leurs peines. On réduit la peine sur les crimes relatifs à la sécurité par-ci, on exclut les crimes relatifs à la vente de la drogue initialement inclus dans les exemptions par-là, puis on décide d’expulser les étrangers qui ne peuvent pas payer leurs pénalités financières et enfin on limite aux crimes de droit commun. Ainsi, les calculs d’épiciers sont faits, ignorant le suivi et la réhabilitation des détenus, l’équité et la paix sociales, la sécurité, et toutes autres considérations d’intérêt public.

Cette exonération simultanée d'un grand nombre d'individus par amnistie totale ou partielle traduit avant tout la satisfaction d'intérêts clientélistes étroits et pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, la proposition de loi contrevient à la logique en énumérant explicitement non pas les crimes et délits bénéficiant de cette amnistie mais ceux qui en sont exemptés, et notamment l’enrichissement illicite, le blanchiment d'argent et détournement de fonds, le recrutement de terroristes, le financement du terrorisme, la collaboration avec Israël, et les crimes intentionnels portant atteinte à la vie de civils ou de militaires.

Par contre, les crimes et délits amnistiés ne sont pas explicitement mentionnés dans la loi, tel que les crimes liés à l’environnement, la fraude fiscale et les crimes relatifs à la corruption, tous les crimes liés à la drogue (y compris le trafic), ainsi qu’un grand nombre de crimes liés aux armes et aux actions terroristes (par exemple l’appartenance à des organisations terroristes, la provocation d’insurrections armées, la formation d’organisations criminelles, le transport, la détention et l’utilisation d’armes).

Au niveau des conséquences, aucun processus n'est mis en place afin d’éviter la récidive sachant qu’un grand nombre de personnes ayant commis des crimes extrêmement dangereux seront libérées. La loi ne prévoit pas non plus de processus pour réhabiliter ces prisonniers qui devront réintégrer leurs familles et leurs communautés dans un contexte socio-économique extrêmement difficile.

Le texte cause une discrimination entre les personnes concernées par l’amnistie puisque les détenus seraient libérés sans que leur casier judiciaire ne soit effacé alors que les personnes ayant des mandats d'arrêt seraient disculpées et s'en tireraient avec un casier judiciaire vierge. La loi cause également une discrimination entre les étrangers car ceux d’entre eux qui ne pourront pas payer leurs pénalités financières seront remis à la Sûreté Générale afin d'être expulsés alors que les autres ne le seront pas, même si leur crime est potentiellement plus dangereux. Enfin, le texte ne prend pas en compte les sentiments d'injustice et les frustrations qui pourraient en résulter, ainsi que les actes de vengeance et de violence qui pourraient se produire à l'intérieur des prisons ou au sein des familles et de la société.

Rue contre rue

Après les critiques et commentaires des plus grands experts juridiques dans le pays depuis le 12 Novembre, qu’est-ce qui empêche le Président de la Chambre de soumettre cette loi à une révision en commission? Pourquoi insiste-t-il à la garder à l’ordre du jour de cette séance?

Une partie de la réponse se trouve sans doute dans l’identité des bénéficiaires de l’amnistie. Selon mes estimations, elle devrait concerner environ la moitié des 7500 détenus et des 50000 mandats d'arrêt. Son impact s'étend aux régions de Tripoli, Denniyé, Akkar, Bekaa, Baalbek et Saida où un grand nombre de familles ont un père, un frère ou un fils qui souffre de conditions de détention inhumaines, de retards dans les procédures judiciaires, de l’interférence des politiques dans la justice et de mandats d'arrêt parfois injustes.

C’est sans doute précisément sur cela que Nabih Berry mise : profondément déstabilisés par le fait qu’une partie de sa « base » communautaire et électorale participe au mouvement ou se montre solidaire de ses revendications, lui et ses alliés entendent ainsi la ressouder par ce biais. Les dizaines de milliers de familles concernées par cette loi devraient ainsi se mobiliser aujourd’hui dans la rue pour réclamer la tenue de cette « promesse » (comme certains l’ont déjà fait lors d’un sit-in, dimanche dans la banlieue-sud). Peu importe pour lui que la loi passe ou ne passe pas, peu importe les prisons, les conditions carcérales et la justice. L’essentiel c’est de mettre la proposition à l’ordre du jour de la séance afin que la rue s’oppose à la rue, et que les protestataires qui cherchent à bloquer l’accès au Parlement pour empêcher le vote de cette loi prennent une leçon.

On aurait pu donc légitimement craindre que le 19 novembre constitue un nouveau tournant, marqué par le retour de la violence. Peut-être est-ce, aussi, ce que Nabih Berry recherche pour étouffer la colère populaire, faute d’alternatives. Mais ce qu’il n’a pas encore compris, c’est que l’ancien régime ne peut plus être ressuscité. Le 17 octobre, le pays a fait un bond dans le vide et on est déjà dans un nouveau paradigme, un paradigme où il n’y a plus de place pour les calculs d’épiciers des vieux chefs de guerre.

Professeur de sciences politiques à l’Université Saint-Joseph.


La fin des pratiques clientélistes et la lutte contre la corruption généralisée sont au cœur des revendications populaires au Liban depuis le 17 octobre. Il est à cet égard particulièrement surprenant que le pouvoir, incapable de trouver une solution politique aux revendications de la rue, ou des solutions urgentes à la crise économique, ait pour premier réflexe de procéder à une...

commentaires (14)

LA REVOLUTION CONTRE L'ETABLISSEMENT 3--0 1) LA DEMISSION DU GOUVERNEMENT 2) L'ELECTION DU PRESIDENT DE L'ORDRE DES AVOCTAS 3) L'ANNULATION FAUTTE DE CORUM DE LA SESSION DU PARLEMENT AUJOURDH'UI ESPERONS QUE LA 4em SERA LA COMPOSITION D'UN CONSEIL DE MINISTRES FORME PAR M HARRIRI AVEC UNIQUEMENT DES SPECIALISTES NON LIES A AUCUN PARTI

LA VERITE

18 h 14, le 19 novembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (14)

  • LA REVOLUTION CONTRE L'ETABLISSEMENT 3--0 1) LA DEMISSION DU GOUVERNEMENT 2) L'ELECTION DU PRESIDENT DE L'ORDRE DES AVOCTAS 3) L'ANNULATION FAUTTE DE CORUM DE LA SESSION DU PARLEMENT AUJOURDH'UI ESPERONS QUE LA 4em SERA LA COMPOSITION D'UN CONSEIL DE MINISTRES FORME PAR M HARRIRI AVEC UNIQUEMENT DES SPECIALISTES NON LIES A AUCUN PARTI

    LA VERITE

    18 h 14, le 19 novembre 2019

  • PERSONNE NE BLAME LES JUGES QUI FONT DORMIR DANS LES TIRROIRS DES DOSSIERS ? UNE PERSONNE EN PRISON A LE DROIT D'ETRE JUGE RAPIDEMENT PUIS SI IL EST RECONNU COUPABLE DE PURGER SA PEINE ET DE SORTIR EN HOMME LIBRE METTRE DES GENS EN PRISON POUR 5 OU 10 ANS SANS AVOIR ETE JUGE EST IRRESPONSABLE ET UNE HONTE POUR LE CORP JUDICIARE DU LIBAN MM LES JUGES PRENEZ A BRAS LE CORPS CES DOSSIERS ET JUGEZ CES PERSONNES UNE FOIS POUR TOUTE SI LES RAISONS QUI ONT AMENEES A LES METTRE EN PRISON SONT INFERIEURS AU TEMPS PASSE VOUS AVEZ LE DEVOIR DE LES LIBERER IMMEDIATEMENT SINON VOUS AVEZ AUSSI LE DEVOIR DE LES JUGER IMMEDIATEMENT ET DE DEFINIR LEUR PEINE PAS BESOIN DE LOIS STUPIDES NI D'ARRANGEMENTS NOUS AVONS BESOIN DE JUGES QUI FASSENT LEUR TARVAIL IMMEDIATEMENT ET EN TOUTE CONSCIENCE SANS IMPLICATIONS DE POLITICIENS POUR LEURS VASSAUX UN DERNIER MOT QUI DESHONNEUR LA JUSTICE LIBANAISE QUE FAIT LE FILS DE KAZZAFI EN PRISON , IL AVAIT 1 AN PEUT ETRE AU MOMENT DE LA DISPARITION DE L'IMAM MOUSSA SADR? QUEL EST LE CRIME QU'ON LUI REPROCHE? COMMENT VOUS EXPLIQUEZ CET ABUS DE POUVOIR EFFRAYANT VIS A VIS DE LUI? CELA SEUL MONTRE A QUEL POINT LES POLITICIENS INTERVIENNENT SANS VERGOGNE DANN LA JUSTICE AU LIBAN

    LA VERITE

    16 h 54, le 19 novembre 2019

  • JUSQU,A MAINTENANT IL EST PERDANT.

    LA LIBRE EXPRESSION

    15 h 28, le 19 novembre 2019

  • Berry ne prend aucune décision dangereuse ou ne fait jamais une proposition dangereuse. Depuis 30 ans c'est toujours le même jeu avec lui il propose ou décide une solution qui ne sera jamais appliquée cat il veillera pour que cela ne soit jamais appliquer C'est un véritable dictateur dans l'ombre et il est dangereux dans ce jeu

    FAKHOURI

    14 h 04, le 19 novembre 2019

  • Adopter la même stratégie de la terre brûlée de son allié le boucher Assad peut vite se re tourner contre lui et le HB.. Il a la mémoire courte ce Monsieur, il oublie que ceux qui ont combattu ces gens là seront les premiers à faire les frais de leur indulgence. S'il le fait en connaissance de cause, c'est qu'il veut se suicider en emportant le pays avec lui et ça on ne laissera pas faire. Il ira seul dans la tombe qu'il aurait creuser pour enterrer les libanais.

    Sissi zayyat

    14 h 03, le 19 novembre 2019

  • Berri veut utiliser les mêmes méthodes que Bachar. En 2011 tous les leader de ISIS étaient en prison chez lui. Ils les a tous libérés et chassés chez les insurges et a fini par retourner l'image du dictateur criminel en une personne qui tenait bien en laisse ces criminels, indispensables pour la sécurité de la région et du monde. C'est pourquoi , il ne faut en aucun cas accepter de voir libéré un seul de ces gens la par une amnistie. S'il ont fait quelque chose ce serait criminel de les laisser courir en liberté et s'il sont innocents ils auront un casier judiciaire pour la vie. Il vaut mieux qu'ils patientes en restant dans leur cellule en résistance a l'injustice que ces imbéciles se préparaient a commettre.

    Pierre Hadjigeorgiou

    13 h 59, le 19 novembre 2019

  • Jeu dangereux ? Vous pouviez même écrire pervers et irresponsable. On avait déjà vu ce monsieur à l'œuvre quand il mettait les clés du Parlement dans sa poche pour empêcher l'élection d'un président qui n'avait pas sa bénédiction mais là, ça dépasse tout entendement. Excellent article d'ailleurs.

    Marionet

    13 h 30, le 19 novembre 2019

  • "...’un grand nombre de personnes ayant commis des crimes extrêmement dangereux seront libérées..." Mais alors!!?!! pourquoi ils les libèrent???

    Eddy

    12 h 47, le 19 novembre 2019

  • Si tel est son calcul, c'est criminel ... mais en a t-il quelque chose à faire, je ne pense pas car il y a tous les acquis de toute leur clique à préserver avant tout et contre tous ...

    Zeidan

    12 h 47, le 19 novembre 2019

  • Excellent article, vraiment. La justice n'a pas besoin d'une loi d’amnistie générale pour libérer des prisonniers ayant purgé la moitié ou 2/3 de leurs peines, ou ceux qui sont détenus sans jugement pour une période qui dépasse le maximum prévu pour le crime ou le délit dont ils sont suspectés. De même pour les prisonniers politiques, sympathisants de tel ou tel autre groupe, s'ils en existent. Pour les crimes et délits liés à la production, trafic et distribution de la drogue; le risque de récidive et de vengeance sont grands. Un vrai casse-tête.

    Shou fi

    11 h 48, le 19 novembre 2019

  • Des calculs extrêmement dangereux. Prendre le risque de mettre le pays à feu et à sang,juste pour regagner un peu d'une popularité en déliquescence. J'espère sincèrement cette analyse erronée car ce serait vraiment criminel.

    Yves Prevost

    11 h 36, le 19 novembre 2019

  • Calculs d'épiciers c’est leur faire trop d’honneur. Calculs de délinquants et de traitres voilà le qualificatif qui leur sied à Merveille. Leurs agissements dépassent tout entendement Ils persistent st signent en détruisant le peu qui reste de notre état et en piétinant tous les décrets de la législation et croient à tort qu’ils réussiront dans leur sale besogne. Ca prouve à quel point ils méconnaissent le peuple qu’ils dirigent depuis des décennies. Ils n’ont plus pour longtemps et ça ils le savent aussi. D’où Leur précipitation pour voter un maximum de lois qui les protégeront ultérieurement mais ça c’est un calcul d’idiots dans le cas où on ne pourrait pas annuler leurs dernières lois, on pourrait toujours en voter d’autres à l'encontre de ces dernières pour les juger et le tour sera joué.

    Sissi zayyat

    11 h 22, le 19 novembre 2019

  • Une révolution ne peut pas au Liban atteindre ses objectifs sans une longue et atroce guerre civile .

    Chucri Abboud

    11 h 18, le 19 novembre 2019

  • C'est là où on touche au doigt les ramifications mafieux des hommes politiques ainsi que des députés qui sont censés nous représenter.

    Citoyen

    11 h 09, le 19 novembre 2019

Retour en haut