L’ordre du jour de la séance parlementaire d’aujourd’hui (reportée depuis le 12 novembre sous la pression de la rue, et de nouveau reportée, ce mardi 19, faute de quorum alors que les manifestants s'étaient mobilisés autour du Parlement) comprend plusieurs propositions de lois, toutes superficiellement conçues et bricolées sur mesure pour servir des intérêts purement politiques. Parmi elles, figure la fameuse loi d’amnistie qui fait un tollé depuis plus d’une semaine. Cette loi établit l’amnistie générale comme règle, puis exclut explicitement quelques crimes -tout en prévoyant une réduction des deux tiers de la peine prononcée contre leurs auteurs. La loi couvrirait tous les crimes commis avant le 30 octobre 2019, et s’appliquerait aux personnes condamnées ainsi qu’aux individus sujets à des mandats d’arrêt ou poursuivis par les institutions sécuritaires.
Après plusieurs révisions, la version finale de la proposition de loi a été soumise par les députés Yassine Jaber et Michel Moussa du Bloc de la Libération et du Développement, revêtue du caractère de double urgence (ce qui permet de court-circuiter son examen par les commissions parlementaires). Dans les jours précédant son dépôt initial le 12 novembre, nous en avons obtenu trois versions successives dont l’examen a permis de mieux éclaircir le jeu du pouvoir.
Calculs d’épiciers
L’étude des différents amendements ajoutés ou supprimés laisse ainsi apparaître d’emblée une logique de négociation entre les différents partis politiques au pouvoir sur le choix des crimes exemptés d’amnistie ainsi que sur le taux de réduction de leurs peines. On réduit la peine sur les crimes relatifs à la sécurité par-ci, on exclut les crimes relatifs à la vente de la drogue initialement inclus dans les exemptions par-là, puis on décide d’expulser les étrangers qui ne peuvent pas payer leurs pénalités financières et enfin on limite aux crimes de droit commun. Ainsi, les calculs d’épiciers sont faits, ignorant le suivi et la réhabilitation des détenus, l’équité et la paix sociales, la sécurité, et toutes autres considérations d’intérêt public.
Cette exonération simultanée d'un grand nombre d'individus par amnistie totale ou partielle traduit avant tout la satisfaction d'intérêts clientélistes étroits et pose plusieurs problèmes. Tout d’abord, la proposition de loi contrevient à la logique en énumérant explicitement non pas les crimes et délits bénéficiant de cette amnistie mais ceux qui en sont exemptés, et notamment l’enrichissement illicite, le blanchiment d'argent et détournement de fonds, le recrutement de terroristes, le financement du terrorisme, la collaboration avec Israël, et les crimes intentionnels portant atteinte à la vie de civils ou de militaires.
Par contre, les crimes et délits amnistiés ne sont pas explicitement mentionnés dans la loi, tel que les crimes liés à l’environnement, la fraude fiscale et les crimes relatifs à la corruption, tous les crimes liés à la drogue (y compris le trafic), ainsi qu’un grand nombre de crimes liés aux armes et aux actions terroristes (par exemple l’appartenance à des organisations terroristes, la provocation d’insurrections armées, la formation d’organisations criminelles, le transport, la détention et l’utilisation d’armes).
Au niveau des conséquences, aucun processus n'est mis en place afin d’éviter la récidive sachant qu’un grand nombre de personnes ayant commis des crimes extrêmement dangereux seront libérées. La loi ne prévoit pas non plus de processus pour réhabiliter ces prisonniers qui devront réintégrer leurs familles et leurs communautés dans un contexte socio-économique extrêmement difficile.
Le texte cause une discrimination entre les personnes concernées par l’amnistie puisque les détenus seraient libérés sans que leur casier judiciaire ne soit effacé alors que les personnes ayant des mandats d'arrêt seraient disculpées et s'en tireraient avec un casier judiciaire vierge. La loi cause également une discrimination entre les étrangers car ceux d’entre eux qui ne pourront pas payer leurs pénalités financières seront remis à la Sûreté Générale afin d'être expulsés alors que les autres ne le seront pas, même si leur crime est potentiellement plus dangereux. Enfin, le texte ne prend pas en compte les sentiments d'injustice et les frustrations qui pourraient en résulter, ainsi que les actes de vengeance et de violence qui pourraient se produire à l'intérieur des prisons ou au sein des familles et de la société.
Rue contre rue
Après les critiques et commentaires des plus grands experts juridiques dans le pays depuis le 12 Novembre, qu’est-ce qui empêche le Président de la Chambre de soumettre cette loi à une révision en commission? Pourquoi insiste-t-il à la garder à l’ordre du jour de cette séance?
Une partie de la réponse se trouve sans doute dans l’identité des bénéficiaires de l’amnistie. Selon mes estimations, elle devrait concerner environ la moitié des 7500 détenus et des 50000 mandats d'arrêt. Son impact s'étend aux régions de Tripoli, Denniyé, Akkar, Bekaa, Baalbek et Saida où un grand nombre de familles ont un père, un frère ou un fils qui souffre de conditions de détention inhumaines, de retards dans les procédures judiciaires, de l’interférence des politiques dans la justice et de mandats d'arrêt parfois injustes.
C’est sans doute précisément sur cela que Nabih Berry mise : profondément déstabilisés par le fait qu’une partie de sa « base » communautaire et électorale participe au mouvement ou se montre solidaire de ses revendications, lui et ses alliés entendent ainsi la ressouder par ce biais. Les dizaines de milliers de familles concernées par cette loi devraient ainsi se mobiliser aujourd’hui dans la rue pour réclamer la tenue de cette « promesse » (comme certains l’ont déjà fait lors d’un sit-in, dimanche dans la banlieue-sud). Peu importe pour lui que la loi passe ou ne passe pas, peu importe les prisons, les conditions carcérales et la justice. L’essentiel c’est de mettre la proposition à l’ordre du jour de la séance afin que la rue s’oppose à la rue, et que les protestataires qui cherchent à bloquer l’accès au Parlement pour empêcher le vote de cette loi prennent une leçon.
On aurait pu donc légitimement craindre que le 19 novembre constitue un nouveau tournant, marqué par le retour de la violence. Peut-être est-ce, aussi, ce que Nabih Berry recherche pour étouffer la colère populaire, faute d’alternatives. Mais ce qu’il n’a pas encore compris, c’est que l’ancien régime ne peut plus être ressuscité. Le 17 octobre, le pays a fait un bond dans le vide et on est déjà dans un nouveau paradigme, un paradigme où il n’y a plus de place pour les calculs d’épiciers des vieux chefs de guerre.
Professeur de sciences politiques à l’Université Saint-Joseph.
commentaires (14)
LA REVOLUTION CONTRE L'ETABLISSEMENT 3--0 1) LA DEMISSION DU GOUVERNEMENT 2) L'ELECTION DU PRESIDENT DE L'ORDRE DES AVOCTAS 3) L'ANNULATION FAUTTE DE CORUM DE LA SESSION DU PARLEMENT AUJOURDH'UI ESPERONS QUE LA 4em SERA LA COMPOSITION D'UN CONSEIL DE MINISTRES FORME PAR M HARRIRI AVEC UNIQUEMENT DES SPECIALISTES NON LIES A AUCUN PARTI
LA VERITE
18 h 14, le 19 novembre 2019