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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Pourquoi le Hamas se tient-il à l’écart du conflit opposant Israël au Jihad islamique ?

La dernière offensive militaire israélienne a consciemment évité de cibler le mouvement au pouvoir à Gaza, tout en concentrant ses forces sur son concurrent.

Des militants du Jihad islamique palestinien participant aux funérailles de l’un des leurs dans le sud de la bande de Gaza, le 14 novembre 2019. Ibraheem Abu Mustafa/Reuters

Le Hamas est-il en train de changer de stratégie face à Israël ? Pour la première fois en plus de 10 ans, l’État hébreu a bombardé Gaza en laissant le Hamas à l’écart des hostilités. Les forces israéliennes ont conduit mardi dernier un assassinat ciblé contre Baha Abou al-Ata, un haut commandant du Jihad islamique tenu responsable par Israël d’une série d’attaques récentes contre l’État hébreu. En réaction, le Jihad islamique a lancé plus de 360 roquettes sur Israël, qui a répliqué en multipliant les frappes aériennes contre les positions de ce mouvement à Gaza, enclave palestinienne dirigée de facto par le Hamas depuis qu’il y a pris le pouvoir par la force en 2007, tout en évitant de cibler ce dernier.

« Au cours de l’opération, nous avons établi une distinction entre le Hamas et le Jihad islamique », a affirmé le porte-parole de l’armée israélienne Jonathan Conricus. Cette déclaration fait suite à l’accord de cessez-le-feu qui a mis fin à 50 heures d’affrontement ayant fait 34 morts.

Si le Hamas s’est, à diverses reprises par le passé, joint au Jihad islamique au nom de la lutte contre l’« ennemi sioniste », il semble bien décidé à appliquer le choix stratégique entériné en avril 2018 par le nouveau leader du mouvement Yahya Sinwar, qui a succédé à Ismaël Haniyé en février 2017. Il avait choisi de mettre un terme au lancement de roquettes contre Israël et de ne pas répliquer militairement à la destruction des tunnels transfrontaliers par les forces israéliennes.

La stratégie du Hamas s’inscrit dans l’évolution progressive du mouvement au cours des dernières années et son accession aux responsabilités politiques. Elle ne répond pas toutefois à un changement de paradigme idéologique. Le nouveau leader, Yahya Sinwar, a été incarcéré près de 20 ans par Israël. Mais pour accroître l’influence de son mouvement sur la société palestinienne et sérieusement concurrencer le Fateh, le parti du président palestinien Mahmoud Abbas et son principal adversaire sur la scène palestinienne, il fallait renforcer son emprise à Gaza et prévenir ce qui pourrait la saper. En se présentant comme une force stabilisatrice pour Israël, le Hamas s’épargne des représailles militaires avec son lot de destructions à grande échelle. « Au cours de la dernière décennie, et surtout depuis la grande marche du retour, le Hamas a de plus en plus joué le rôle d’une force de stabilisation plutôt que d’un “fauteur de troubles”. Il a été très efficace dans la gestion du front de la résistance à partir de la bande de Gaza et a respecté ses obligations sous l’accord de cessez-le-feu qu’il a négocié avec Israël, même si ce dernier n’a pas respecté son engagement d’alléger le blocus », observe Tarek Baconi, analyste auprès de l’International Crisis Group. Le Hamas maintient un discours de confrontation face à Israël tout en assumant un certain pragmatisme. Le mouvement a ainsi signé le communiqué du rassemblement des groupes de la « résistance » palestinienne, qui précise ne pas « rester silencieux » face aux bombardements israéliens. L’un des cadres du mouvement, Bassem Naïm, a déclaré à l’AFP jeudi que « le Hamas croit au droit des Palestiniens à se défendre et à résister à l’occupation, mais nous devons gérer nos relations avec les forces d’occupation et prendre en considération un contexte complexe », ajoutant : « Ce qui signifie parfois de devoir modérer notre réponse, dans l’intérêt suprême de la Palestine. »

Il serait toutefois erroné de croire à une opposition politique entre Hamas et Jihad islamique. Les deux mouvements sont perçus comme terroristes par Israël et les États-Unis. Lors des diverses offensives israéliennes précédentes, comme celle de 2014, les deux mouvements ont lutté ensemble.

Leurs leaderships respectifs ont une relation solide et coordonnent notamment leurs efforts dans la résistance à Israël. Mais leurs liens ont tout de même eu affaire à plusieurs défis par le passé. « Plusieurs factions au sein même du Jihad islamique ont pu avoir un rôle destructeur et se sont clairement démarquées du Hamas et du Jihad islamique plus d’une fois pour lancer leurs roquettes, quand bien même le Hamas aurait accepté l’idée d’un cessez-le-feu avec Israël », explique Tarek Baconi.

Les deux mouvements se différencient également par leurs liens au parrain iranien. Alors qu’ils sont tous deux financés par Téhéran, les relations entre le parti au pouvoir à Gaza et l’Iran se sont refroidies ces dernières années du fait du positionnement politique ambigu du Hamas face à la crise syrienne. Lors du déclenchement du soulèvement syrien en 2011, le Hamas, issu des Frères musulmans mais soutenu par l’axe chiite qui inclut l’Iran, la Syrie et le Hezbollah, se retrouve face à un dilemme qu’illustre la décision du mouvement en janvier 2012 de se couper du régime et de quitter son quartier général à Damas. De son côté, le Jihad islamique épouse les positions iraniennes sur les dossiers internationaux.


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En étau entre deux blocus

Depuis sa prise du pouvoir à Gaza en 2007, le Hamas œuvre à maintenir le calme et tente d’empêcher des factions armées tel le Jihad islamique de lancer des roquettes contre Israël. La situation sociale et économique dans l’enclave palestinienne, prise en étau entre le blocus israélien et le blocus égyptien, s’est considérablement détériorée ces dernières années, suscitant la colère et la frustration de la population qui s’élève à deux millions de personnes. Selon des chiffres de la Banque mondiale (BM), le taux de chômage serait passé de 43 % à 47 % au deuxième trimestre 2019. Depuis 2018, l’administration américaine a décidé de couper plus de 500 millions de dollars d’aide aux Palestiniens et d’arrêter de soutenir financièrement l’Agence onusienne pour les réfugiés palestiniens – Unrwa –, l’un des acteurs principaux à Gaza. Selon la BM, l’aide étrangère décline quand le secteur privé reste contraint par les restrictions de mouvement et des limitations sur l’accès aux matériaux de base et sur le commerce. Dans ce contexte délétère, le Hamas ne peut se permettre les conséquences d’une nouvelle guerre contre Gaza qui aggraverait davantage la situation.

« Ce que nous voyons aujourd’hui est donc la continuation de la politique du Hamas depuis un bout de temps », explique Tarek Baconi. « S’il ne rejoint pas le Jihad islamique en ce moment, c’est parce que s’il participait à l’escalade, il n’y aurait aucun moyen pour lui de la contenir et que nous irions certainement en direction d’une guerre majeure », poursuit-il.


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Le fait que le Hamas prenne la place d’une force de stabilisation alors que le Jihad islamique joue le rôle de fauteur de troubles fait les affaires de l’État hébreu. « Le changement que nous voyons ne vient pas du Hamas. Il vient d’Israël. De plus en plus, on observe qu’il perçoit le mouvement comme un adversaire “responsable”. A contrario, le Jihad islamique est vu comme un perturbateur. Cette tactique sert les intérêts d’Israël car cela permet de diviser les Palestiniens dans la bande de Gaza et permet aux Israéliens de se dédouaner d’une des critiques qui leur est faite, celle de conclure des accords indirectement avec le Hamas », analyse Tarek Baconi.

La situation actuelle rappelle l’évolution progressive du Fateh, à la faveur des négociations d’Oslo dans les années 90, comme un interlocuteur de confiance pour les Israéliens, par opposition au Hamas de l’époque, perçu comme un groupe extrémiste et « terroriste ». Depuis l’instauration de l’Autorité palestinienne en 1994, la résistance armée à Israël a longtemps constitué pour le Hamas un outil pour se distinguer du Fateh.

« On voit des factions palestiniennes qui jouent le rôle de “fauteurs de troubles”. Et quand elles viennent au pouvoir, elles développent leurs responsabilités et doivent à un moment tisser des formes d’accords avec les Israéliens, que ce soit des accords directs de coordination sécuritaire avec l’Autorité palestinienne ou indirects comme avec le Hamas », conclut M. Baconi.


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