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Culture - Témoignage

Philippe Aractingi : quand la ligne de démarcation devient un trait d’union

« La révolution du 17 octobre 2019 a un seul discours, celui de l’amour et de la réconciliation... La guerre civile est terminée. Nous avons gagné une bataille », affirme le cinéaste qui s’est armé de son appareil photo pour accompagner cette « révolution » à tous les niveaux.

Philippe Aractingi a superposé deux photos du pont Fouad Chéhab, appelé aussi le Ring : l’une datant de la guerre et l’autre de la révolution d’octobre 2019. ©Philippe Aractingi

Il est de la génération de la guerre. La guerre haineuse, fratricide et révoltante. Un jour, adolescent, Philippe Aractingi a pris sa caméra pour descendre dans la rue observer et témoigner. Le jeune garçon est devenu un homme, un photographe, un cinéaste pétri d’humanité et de clairvoyance, avec une empathie, une faculté d’écoute et une seule arme en bandoulière depuis trente-cinq ans : le cinéma ! « On a tous à l’intérieur de nous un discours d’amour. On a tous à l’extérieur un discours de haine. On a tous la même plaie, celle de l’exil. Les mêmes points communs : la langue, le sol et les habitudes quotidiennes. On souffre des mêmes maux : l’injustice, la faim, la pollution, la corruption du pouvoir. On partage aussi les mêmes préoccupations pour l’avenir de nos enfants. Nous, Libanais, on est tous semblables. Et pourtant, ils ont longtemps essayé de nous endoctriner et de nous soulever les uns contre les autres, alors que nous avions plus d’idéaux qui nous rapprochaient que de points qui nous séparaient. La révolution du 17 octobre 2019 a un seul discours, celui de l’amour et de la réconciliation. En descendant ensemble dans la rue et en fustigeant toutes les différences, nous nous sommes unis. personne ne réussira plus jamais à nous faire prendre les armes les uns contre les autres. La guerre civile est terminée. Nous avons gagné une bataille. Nous avons brisé les peurs pour commencer à s’aimer à nouveau. » Pour Philippe Aractingi, le cinéma libanais a un rôle fédérateur grâce auquel le spectateur réussit une opération d’introspection pour pénétrer par la suite la pensée de l’autre, traverser ses champs de bataille et réaliser qu’ils sont les mêmes. « On s’associe, on se dissocie, mais au moins on se rapproche. Le Libanais est dans une totale dissonance cognitive. Lorsque le citoyen est convaincu depuis son enfance que la chose n’existe que parce qu’il lui a donné un sens et que ce sens s’incarne dans le chef de parti qu’il suit aveuglément, on est dans le mensonge. » Accepter donc de bousculer ses propres convictions relève du courage, de la maturité et surtout du patriotisme, le vrai, pas celui scandé à partir des palais et des bunkers.

Cette révolution est aussi fédératrice. C’est une même énergie qui embrasse tous ceux qui partagent un même drapeau. « Ce qui s’est produit d’extraordinaire dans cette révolution, ajoute Aractingi, c’est que le citoyen a retrouvé sa fierté d’être libanais et surtout s’est arraché du “je” pour s’aimer à nouveau et par conséquent aimer l’autre. Les murs de la peur de la honte sont ainsi tombés. »


(Lire aussi : Le poing d’honneur de Tarek Chehab)



La mémoire de chacun

Pour avoir fait un travail sur soi et sur la mémoire, le metteur en scène avoue avoir cessé en 1992 de diaboliser l’autre. « J’ai grandi en pensant que l’autre était le méchant. En visitant la mémoire des mères (toutes confessions confondues) qui avaient perdu un enfant, j’ai réalisé que la douleur et les larmes n’ont pas de religion. Depuis, mon travail s’inscrit dans la lignée de cette dynamique : celle de tendre la main à l’autre et de l’écouter en sondant la mémoire. Sauf que la jeunesse d’aujourd’hui, celle qui est descendue dans la rue, est celle de la témérité, de la sagesse et du courage, celle qui affronte tous ceux qui vilipendent ses droits. Cette jeunesse-là n’a pas de mémoire et ne veut pas de la nôtre. Elle se bat pour réécrire l’histoire avec son encre et ses propres mots et refuse une mémoire truffée de mensonges, les réseaux sociaux lui donnant une universalité de pensée et une liberté d’agir. »


(Lire aussi : Cet élan collectif des artistes aussi...)



Le féminin en chacun

Pour le cinéaste, le féminin en tant que qualité est cette empathie et cette capacité d’ouverture et d’écoute. Le côté féminin, on le retrouve chez l’homme et la femme, le concave et non le convexe. Réussir à entendre l’autre sans forcément essayer de le convaincre. Ne pas avoir un clocher plus haut qu’un minaret, ou l’inverse, mais être fier d’avoir les deux. « Il n’y a que les enthousiastes qui réussissent à voir que même dans l’impossible, il y a une possibilité, et dans l’idéalisme, de l’espoir. » Le terme enthousiasme n’implique-t-il pas selon son étymologie cette inspiration divine ? « La révolution d’aujourd’hui est cette force divine qui a libéré toutes les facultés : celle de parler, de s’écouter, de peindre, de créer, mais surtout celle d’aimer. On s’est tendu la main, on s’est regardés et on s’est finalement vus. Faire le pari de Pascal et croire que tout est possible, telle est la véritable foi, celle d’un million d’enthousiastes dans la rue. »


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