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Scan TV - SCAN TV

Cher Président, allumez votre télévision...

Cher Président de la République,

choisissez votre coin préféré et votre fauteuil le plus reposant. Mettez vos lunettes, installez-vous confortablement, enfermez-vous dans votre chambre et ne laissez personne entrer. Puis mettez votre téléviseur en marche.

Zappez les chaînes. Commencez par les chaînes que vous supportez le moins, c’est ce que je fais d’habitude.

Commencez par la MTV, votre bête noire, qui a pris en charge, même durant ses pauses publicitaires, de renflouer la révolte populaire initiée le 17 octobre et ne cesse de faire passer en boucle le même slogan : un nouveau gouvernement indépendant des partis politiques, des élections législatives anticipées et, pourquoi pas, un changement constitutionnel (Chebli Mallat). Ces journalistes et reporters, ces talk-shows, ces intervenants et ces animateurs font de leur mieux aujourd’hui pour donner la parole aux citoyens de toutes les tendances. Leur micro est ouvert à tous, aux jeunes et à toutes les classes sociales. Vous pensez peut-être, à raison, que certaines questions sont provocatrices, voire manipulatrices ou encore manquant de professionnalisme, cependant n’y a-t-il pas une part de vérité dans ce marécage qui vous répugne tant ? Les larmes des invités, des artistes, des gens dans la rue qui coulent sont-elles, toutes, des larmes de crocodile ? La hargne et la passion qui en découlent ne vous rappellent-elles pas une ancienne flamme qui a animé, par le passé, votre parcours ?

Changez de chaîne, arrivons à la LBCI. C’est presque le même scénario, mais avec moins d’acharnement. Vous sentez l’enthousiasme certes pour un changement, mais avec plus de modération. Des messages adressés à votre personne sont nombreux. On croyait en vous. Vous sentez-vous dans la rue à présent ? Sentez-vous cette chaleur humaine qui réchauffe le cœur ? Ces rencontres à l’improviste ? Les danses, les accolades, les drapeaux ? Ceci vous rappelle-t-il quelque chose ?



(Lire aussi : Une révolution pour quelle démocratie ?)


Passez sur al-Jadeed, le message est tout aussi clair que celui de la MTV. Des introductions de journaux télévisés un peu enflées, je l’avoue, mais qui rapportent toutefois une certaine part de vérité en dénonçant dans le fond, même si on peut critiquer la forme, un malaise socioéconomique assez inquiétant. Même si des propos indignes et des chansons, sympathiques pour certains mais scandaleuses pour d’autres, fusent de partout, le message reste clair, des réformes sont attendues de votre part ainsi que de la part du gouvernement qui doit, selon eux, démissionner. Vous sentez la rage monter en vous ? Vous pensez que vous n’y êtes pour rien ? Vous voulez leur crier que vous avez tout essayé mais que vous n’arrivez pas à faire appliquer la loi et mettre fin à la corruption et que vous aussi vous voulez récupérer l’argent volé des caisses de l’État et des contribuables ? Ne le leur demandez surtout pas ! Ils vont vous demander de céder votre place à quelqu’un qui pourrait le faire. Une place qui vous est si chère et que vous avez si ardemment désirée après le départ des troupes syriennes. Un triomphe auquel vous avez participé si activement. Voyez-vous combien ils sont nombreux dans les rues ? Inutile d’essayer de chercher l’appui des partisans des partis politiques. Ils sont nombreux, je le sais, mais il y a aussi les autres. Les victimes d’un système politique confessionnel et corrompu jusqu’aux os. Si vous en avez assez et que vous ne voulez pas y croire, vous pouvez toujours zapper de chaîne et retrouver al-Manar qui ne semble s’intéresser qu’à la réduction du nombre des effectifs des manifestants, à la médiocrité des chansons populaires et au langage des rues, passant outre le message fondamental. Ça y est, vous êtes dans votre zone de confort. Vous vous sentez bien sur cette chaîne avec vos alliés qui ne se dérangent pas de quadriller des périmètres entiers dans la banlieue et de bloquer la formation du gouvernement quand bon leur semble. Ici comme sur la OTV, on critique les journalistes des autres chaînes avec leur manque de professionnalisme et on alimente régulièrement le culte du sayyed et les histoires relevant du mythe du Hezbollah en se gardant l’exclusivité des martyrs et de la Résistance. Selon eux, ce sont la MTV et al-Jadeed qui sont à la base de cette liesse populaire et, selon eux toujours, mes enfants, leurs camarades, les étudiants, les mères de famille et moi-même sommes des voyous qui coupons les routes et voulons prendre le pays vers l’inconnu. Tout ce qui est en dehors de leur idéologie est à bannir.

Si vous avez envie de bien dormir sur vos deux oreilles et oublier les fantômes d’une jeunesse en mal de vivre, de vieux désespérés criant leur douleur et leur faim, ou encore des étudiants vous suppliant de faire quelque chose pour qu’ils ne quittent pas le Liban, zappez une dernière fois de chaîne.

Choisissez la OTV. C’est votre chaîne orange, dirigée par l’un de vos gendres. Sur cette chaîne, tout est là pour vous sécuriser et dénoncer un grand complot américano-sioniste sciemment préparé pour faire chuter votre régime politique car vous avez défendu l’axe irano-syrien devant l’Assemblée générale de l’ONU et que votre autre gendre demande une normalisation des relations syro-libanaises.Sur la OTV, vous trouverez des émissions raillant les manifestations. Peut-être que cela va vous faire rigoler. Votre chaîne m’a expliqué que tous ces mouvements populaires ne peuvent jamais être spontanés, que tout est préfabriqué aux États-Unis, que mon armée ne pourra jamais me défendre, que le Hezbollah doit rester armé car c’est ma seule garantie contre Israël, que ma survie dépend d’un président seulement s’il est maronite et s’il s’appelle Michel Aoun, qui a, de son côté, avoué son impuissance. Après votre disparition, à Dieu ne plaise, que deviendra le Liban ? Éteignez à présent votre téléviseur, cher Président. Rentrez dormir car tout est clair maintenant. C’est le même scénario qui vous a fait arriver au pouvoir. Ce qui est valable pour un mouvement populaire, une manifestation, une coupure de routes, un blocage de Parlement ou du gouvernement, un vide institutionnel, l’est aussi pour tous les autres.



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