Rechercher
Rechercher

Question d’image

N’allez pas trop vite reprocher à ceux qui nous gouvernent de vivre dans la lune, dans une royale indifférence face à l’impardonnable retard dans le traitement des graves problèmes qu’affronte le pays. Car au fond ils ne sont pas indifférents à tout, il y a bien un point qui réussit à les tirer de leur léthargie, et c’est le souci de leur sacro-sainte image, pour peu flatteuse qu’elle soit.


Significative, à cet égard, est la réunion du Conseil des ministres de jeudi, tenue plus d’un mois après la ronflante proclamation d’un état d’urgence économique. Comme ils avaient précisément passé tout ce temps-là à ronfler, ou bien alors à échanger des piques, on attendait des responsables un salutaire éveil, promptement suivi d’un passage à l’acte. Or, et on a de la peine à l’imaginer, ce sont la liberté de la presse – et même les libertés publiques, tant qu’à faire – qui ont retenu une grosse part des délibérations.


Effroyable péril, apparemment, que toutes ces libertés qui ont pour effet de saper la confiance aveugle qu’a notoirement le peuple en ses dirigeants, de discréditer le pays aux yeux de l’étranger, qui portent même les internautes et la racaille lâchée sur les routes à arborer des slogans insultants pour le chef de l’État ! Bien plus dévastateur, tout cela, veut-on nous faire accroire, que les luttes d’influence et autres conflits d’intérêts qui continuent de faire rage au sein du pouvoir, alors que la galère est menacée de naufrage. Plus surréelles, les libertés, que le blâme d’indolence adressé au gouvernement par le président, qui en contrôle pourtant un bon tiers. Oui, plus scandaleuses, les libertés, que l’existence d’un État milicien dans l’État et la nullité d’une classe dirigeante réfractaire aux réformes réclamées à cor et à cri par la communauté internationale. Plus empoisonnantes les libertés, encore elles, que la ruine persistante, et même sciemment entretenue, des services publics, que la détresse des cultivateurs de fruits et de légumes, que les faillites en série des commerces, que la fronde des stations-service et des officines de change. Plus démoralisantes, enfin, ces damnées libertés, que l’agonie de ces trésors naturels, la montagne et la mer, livrées, qui aux carrières sauvages et qui à la pollution.


Du concert d’accusations lancées ce jeudi-là contre la presse, se détache le stupéfiant remède préconisé par le Premier ministre : plutôt que la prison pour les journalistes, de lourdes amendes pour les organes qui les emploient. Bien trouvé, du moins Saad Hariri se montre-t-il au fait des considérables difficultés financières que connaissent nombre d’organes libanais. Il devrait, après tout, en savoir quelque chose, lui qui sabordait dernièrement son propre journal.


Au final, c’est faire encore une fois fausse route que d’imputer à la presse la mauvaise réputation que traîne le pouvoir. S’y obstiner quand même ne ferait que noircir encore le portrait. Raté d’avance serait le grossier lifting.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

N’allez pas trop vite reprocher à ceux qui nous gouvernent de vivre dans la lune, dans une royale indifférence face à l’impardonnable retard dans le traitement des graves problèmes qu’affronte le pays. Car au fond ils ne sont pas indifférents à tout, il y a bien un point qui réussit à les tirer de leur léthargie, et c’est le souci de leur sacro-sainte image, pour peu flatteuse...