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Idées - Point de vue

Tabagisme au Liban : la bourse et la vie

Illustration: jirkaejc/ Bigstock

Durant ces six derniers mois, nous avons constaté à l’hôpital Notre-Dame Maritime de Jbeil une escalade préoccupante du nombre de cancers du poumon, à raison de deux nouveaux cas par semaine. Dans la majorité des cas, le diagnostic est posé trop tardivement pour pouvoir espérer une guérison complète, entraînant la mort dans les mois ou années qui suivent et beaucoup de souffrances (sensation d’étouffement, toux, fatigue, perte d’appétit et souvent douleurs, etc.).

Selon les statistiques du ministère de la Santé pour l’année 2017, la majorité des décès constatés était d’origine cardio-vasculaire (33 %), cancéreuse (18 % dont près d’un quart de cancers pulmonaires) ou respiratoire (9 %). La cause principale de ces décès est bien connue depuis plus d’un siècle : le tabagisme, à l’origine de plus de 13 % des décès (soit près de 3 500 personnes par an).

Selon des données publiées en 2017 par l’Organisation mondiale de la santé, le Liban se place ainsi au top trois des pays les plus consommateurs de tabac du monde ! Les statistiques de 2017 ont en effet mis en évidence que 38 % des adultes fument et que 40 % des écoliers de 13 à 15 ans fument la cigarette et plus de 35 % le narguilé. Ce qui entraîne aussi une augmentation de l’exposition passive aux fumées du tabac à laquelle il est très difficile d’échapper, tant dans les lieux publics qu’au travail.

Hausse de la production plutôt que des prix

L’OMS déclare que le tabagisme est un fléau en pleine expansion qui constitue l’une des plus grandes menaces de santé publique, entraînant la mort de 8 millions de personnes par an. Mais à quoi servent ses mises en garde ? Que fait l’État libanais qui s’était pourtant engagé en 2005 en ratifiant la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac ?

Premier facteur dissuasif pour les fumeurs, l’interdiction de fumer dans les lieux publics imposée par la loi n° 174 de septembre 2012 avait rempli d’espoir les activistes antitabac... Hélas, faute d’application, elle a été écrasée comme un mégot dans un cendrier. Quelle a été la raison de cette passivité des pouvoirs publics ? Que les restaurateurs allaient perdre des clients ? Que les touristes allaient fuir ? Pourquoi ? Les touristes du monde entier se sont habitués à ne pas fumer dans les lieux publics et se plaignent au contraire de ne pas trouver de lieux de restauration sans fumée.

Un autre facteur dissuasif pour les fumeurs est la hausse des prix des cigarettes. Malheureusement, au Liban elles sont parmi les moins chères au monde : un paquet d’une marque célèbre coûte 3 500 livres libanaises, il coûte plus de 20 dollars en Australie. Prochainement, une marque internationale sera produite au Liban et la Régie promet qu’elle sera vendue à moins d’un dollar. Un des prétextes utilisés pour justifier le refus d’augmenter le prix des cigarettes est le risque d’accroître la contrebande, ce qui diminuerait les recettes publiques. Cet argument a notamment été avancé par une étude présentée lors de la 1re Conférence nationale contre le trafic illégal de mars 2018 par le cabinet de conseil Alvarez Marsal qui compte parmi ses clients les magnats du tabac comme British American Tobacco et Imperial Brands, mais aussi Japan Tobacco International (qui a même sponsorisé l’étude). Ses arguments ont dû être suffisamment convaincants, puisque le rapport final de cette conférence a conclu qu’il fallait « aider les compagnies de production à réduire leurs coûts de production afin de garder des prix compétitifs et ne pas hausser le prix de vente des cigarettes »...

L’augmentation de la fiscalité sur les cigarettes serait pourtant un moyen utile de renflouer les caisses du Trésor. Dans son plan de redressement de l’économie rendu public en janvier dernier par le gouvernement, le cabinet de conseil McKinsey propose ainsi, d’une part, d’augmenter les taxes sur les cigarettes de 40 à 70 %, et d’autre part, de diversifier l’agriculture locale en développant des cultures alternatives plus productives comme les tomates et les avocats. Face à ces recommandations, le ministère des Finances préfère encourager les projets de développement de la Régie pour renflouer les caisses déficitaires du Trésor. La Régie a ainsi signé des contrats avec Philip Morris, Imperial Tobacco, Japan Tobacco International afin d’augmenter la production à plus de 340 millions de cigarettes par mois, destinées essentiellement à la population libanaise.




(Lire aussi : Guerre à la cigarette... au ministère de la Santé)




Nouvelles addictions
En revanche, certains députés ont sauté à pieds joints sur une autre proposition de McKinsey de favoriser la production du cannabis à des fins thérapeutiques. Le Parlement s’apprête ainsi à discuter de l’approbation d’une législation en ce sens ainsi que de la création d’une régie du cannabis dont le monopole reviendra aux mêmes bénéficiaires. Sachant que McKinsey a aussi conseillé les plus importants cigarettiers du monde (entre autres British American Tobacco, Philip Morris et Japan Tobacco International), n’y aurait-t-il pas un conflit d’intérêts ? Ce n’est un secret pour personne, Imperials Brands et Altria (Philip Morris USA) ont déjà investi des fortunes – respectivement 93 millions et 1,8 milliard de dollars – dans la recherche et la production du cannabis à usage médical.

Le Liban étant, dans ce domaine aussi, sur le podium des producteurs mondiaux de haschich, selon l’ONU (derrière l’Afghanistan et le Maroc), la légalisation du haschich à des fins médicales est un projet juteux qui pourrait rapporter un milliard de dollars par an. Mais cette légalisation est très dangereuse car cet usage limité sera impossible à contrôler. Le Liban a malheureusement déjà une expérience en matière de non-application des lois. Par ailleurs, si on se réfère à l’expérience des États qui ont légalisé le haschich à des fins médicales, la légalisation à des fins récréatives a suivi après quelques années... avec tous les dégâts qui en découlent : augmentation du nombre de consommateurs de plus de 20 % ; risque de dépendance évalué à un consommateur sur dix, en particulier chez les plus jeunes; problèmes de concentration, de mémoire et troubles de l’apprentissage ; augmentation du nombre d’accidents automobiles et de la prise de risque, y compris celui de consommer des drogues dures telles que la cocaïne et l’héroïne.

Et que fait notre État pour aider les fumeurs qui voudraient se sevrer ? Rien ! Les deux molécules qui peuvent aider les fumeurs dépendants à la nicotine, le bupropion et la varénicline, ont tout simplement disparu du marché libanais. Les substituts nicotiniques (patches et chewing-gums), quant à eux, coûtent très cher et ne sont pas remboursés.

Les cigarettes électroniques et les produits du tabac chauffé seront en revanche bientôt commercialisés par la Régie, au risque de créer une nouvelle addiction et alors que, dans son dernier rapport consacré à la lutte contre le tabagisme, l’OMS juge que la cigarette électronique est « incontestablement nocive », mettant notamment en garde contre le risque potentiel d’irritation des voies respiratoires ou d’effets cardio-vasculaires. De même, un article publié le 6 septembre dernier dans le New England Journal of Medicine rapporte « des cas de maladies pulmonaires graves liées à l’inhalation et un certain nombre de décès ».



(Lire aussi : Le narguilé, objet de distraction, source de maladies)



Retombées et coûts
Les fabricants de cigarettes n’ont qu’un objectif. S’ils encouragent la non-augmentation du prix des cigarettes, l’utilisation des e-cigarettes et les produits du tabac chauffé de même que la légalisation du haschich ont pour seul but de rendre les fumeurs plus dépendants et de s’enrichir. L’État libanais suit... et refuse la privatisation de la Régie, qui s’avère sans doute nécessaire pour que de réelles initiatives publiques soient prises pour faire fléchir le nombre de cigarettes et de narguilés fumés dans ce pays.

Sur son site internet, la Régie des tabacs et tombacs met en avant deux visions : être « un support à l’économie nationale » et « augmenter le bien-être des communautés locales en leur donnant du travail ». Selon des données qui nous ont été rapportées par une source bien informée, les retombées positives sur l’économie nationale auraient ainsi atteint environ 350 millions de dollars pour l’année 2018. Mais qu’en est-il des dépenses publiques en matière de santé ?

Qu’en est-il du bien-être des communautés locales ? Selon le ministère de la Santé, les dépenses nationales en soins de santé s’élèvent à 4,2 milliards de dollars (environ 7,5 % du PIB en 2018). D’après une étude intitulée « Global Economic Cost of Smoking-Attributable Diseases » publiée dans Tobacco Control en 2017, les coûts de la santé attribués aux maladies liées au tabagisme s’élevaient à 5,7 % des dépenses globales de la santé. Si on combine ces pourcentages, au minimum 240 millions de dollars seront ainsi dépensés au Liban pour les frais de santé liés au tabagisme.

Dans la balance, nous avons donc, d’un côté, près de 350 millions de dollars de bénéfices pour le Trésor libanais, et, de l’autre, un minimum de 240 millions de dollars pour les soins de santé. Certes, il y a une différence de plus de 100 millions de dollars, mais c’est compter sans les coûts de la non-productivité liés à l’absentéisme et aux décès précoces – démontrés par plusieurs études – ni la souffrance des malades.

Par Béatrice LE BON CHAMI

Pneumologue-réanimatrice, directrice médicale de l’hôpital N-D Maritime-Jbeil et membre de la Tobacco Free Initiative

Lionel CHAMI

Juriste indépendant



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Durant ces six derniers mois, nous avons constaté à l’hôpital Notre-Dame Maritime de Jbeil une escalade préoccupante du nombre de cancers du poumon, à raison de deux nouveaux cas par semaine. Dans la majorité des cas, le diagnostic est posé trop tardivement pour pouvoir espérer une guérison complète, entraînant la mort dans les mois ou années qui suivent et beaucoup de souffrances...

commentaires (2)

LE FLEAU DU SIECLE ! QUELLE LOI AU LIBAN A ETE APPLIQUEE POUR QUE CELLE CONCERNANT L,INTERDICTION DE FUMER DANS LES PLACES PUBLIQUES ET LES LIEUX NON AERES LE SOIT ? LE LIBANAIS EST UN M,ENFOUTISTE. VOYAGEANT EN AVION UN JOUR DANS LES ANNEES 60 UN PASSAGER DEVANT MOI FUMAIT LE CIGARE. J,APPELAIS UNE HOTESSE DE L,AIR ET LUI DISAIS DE DIRE A CE MONSIEUR LIBANAIS DE NE PAS FUMER DE CIGARE DANS L,AVION. L,HOTESSE DE L,AIR A FAIT LE NECESSAIRE PUIS VENANT VERS MOI ELLE ME DIT : COMMENT SAVIEZ-VOUS QU,IL ETAIT LIBANAIS ?

LA LIBRE EXPRESSION

12 h 45, le 05 octobre 2019

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Commentaires (2)

  • LE FLEAU DU SIECLE ! QUELLE LOI AU LIBAN A ETE APPLIQUEE POUR QUE CELLE CONCERNANT L,INTERDICTION DE FUMER DANS LES PLACES PUBLIQUES ET LES LIEUX NON AERES LE SOIT ? LE LIBANAIS EST UN M,ENFOUTISTE. VOYAGEANT EN AVION UN JOUR DANS LES ANNEES 60 UN PASSAGER DEVANT MOI FUMAIT LE CIGARE. J,APPELAIS UNE HOTESSE DE L,AIR ET LUI DISAIS DE DIRE A CE MONSIEUR LIBANAIS DE NE PAS FUMER DE CIGARE DANS L,AVION. L,HOTESSE DE L,AIR A FAIT LE NECESSAIRE PUIS VENANT VERS MOI ELLE ME DIT : COMMENT SAVIEZ-VOUS QU,IL ETAIT LIBANAIS ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 45, le 05 octobre 2019

  • Là où j'ai été dégouté c'est de voir dans un supermarché très connu de Verdun , on taira le nom , mais il sera reconnu par sa réputation prestigieuse , des hommes et des femmes fumer à l'intérieure de ce supermarché et écraser leur cigarette à même le sol de leur chaussures ou de leurs talons aiguilles . Beurk !

    FRIK-A-FRAK

    11 h 36, le 05 octobre 2019

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