Plusieurs centaines de personnes étaient rassemblées dimanche dans le centre de Mossoul, dans le nord de l’Irak, pour protester contre la mise à l’écart de celui qui avait libéré la ville du joug du groupe État islamique quelques mois plus tôt : le général Abdel Wahhab al-Saadi. Voir la deuxième ville d’Irak, à majorité sunnite, ancienne capitale autoproclamée du « califat » de l’EI, défendre un chiite du sud du pays revêt en soi tout un symbole. Hier, lors d’une manifestation d’envergure à Bagdad, plusieurs manifestants brandissaient aussi des affiches à l’effigie du général.
Vendredi dernier, le Premier ministre irakien Adel Abdel Mahdi a créé la surprise en mettant officiellement à l’écart ce militaire de 56 ans – à la tête des forces du « contre-terrorisme », créées et armées par les États-Unis. Le chef du gouvernement irakien a transféré M. Saadi au ministère de la Défense, précisant que cette décision est « irréversible ».
« J’ai appris cette décision avec une énorme surprise, et je la considère comme une punition et, bien sûr, une humiliation », a déclaré M. Saadi dans une interview accordée à la chaîne de télévision irakienne iNews, ajoutant qu’il refusait de mettre fin, de cette manière, à sa carrière militaire et qu’il préférait plutôt aller en prison. Homme de terrain aguerri, proche des Américains, Abdel Wahhab al-Saadi s’est illustré lors de nombreuses opérations militaires clés contre l’EI telles que la bataille de Baiji en 2015 – qui a permis de reprendre les premières raffineries de pétrole au groupe jihadiste –, mais aussi celles de Tikrit, Ramadi, Falloujah et, bien sûr, Mossoul en 2016 et 2017.
Les succès militaires de M. Saadi lui valent aujourd’hui une grande popularité tant dans les milieux populaires que politiques du pays. Pour beaucoup d’Irakiens, le général est un « héros ». En témoigne la statue à son effigie érigée dans le centre de Mossoul (mais jamais dévoilée en raison des divergences qui y sont présentes), mais aussi les appels de nombreuses personnalités à manifester suite à la décision du chef du gouvernement irakien de l’écarter. Le hashtag « Nous sommes tous Abdel Wahhab al-Saadi » a été partagé plusieurs dizaines de milliers de fois sur Twitter. L’ex-Premier ministre irakien Haïder al-Abadi a, pour sa part, déclaré que « ce n’est pas ainsi que les États récompensent les combattants qui ont défendu la nation ».
(Pour mémoire : Levée de boucliers en Irak après la mise à l'écart d'un général ayant libéré Mossoul)
« Liquidation des visages américains »
L’éviction du général intervient sur fond de tensions américano-iraniennes, qui semblent avoir un impact de plus en plus fort sur la vie politique irakienne. Bagdad est soumis à une double pression. La première vient des États-Unis, qui ont besoin de l’Irak pour endiguer l’influence iranienne dans le pays. La seconde vient des Iraniens, qui pressent le gouvernement de précipiter le départ des quelque 5 000 soldats américains présents en Irak.
Une source gouvernementale irakienne anonyme a assuré à l’AFP, peu de temps après la décision de Bagdad, que deux influents chefs du Hachd al-Chaabi (HaC) – groupe paramilitaire soutenu par l’Iran – avaient « personnellement fait pression » car leurs factions « opèrent hors du contrôle de l’État et l’unique obstacle (qui se dresse face à elles) est le contre-terrorisme ». La mise à l’écart de M. Saadi a été relayée par de nombreux médias proches de l’Iran. « Le renversement de Saadi : le début de la liquidation des visages américains (en Irak) ? » écrivait par exemple lundi le quotidien al-Akhbar.
« Des tensions existent entre Saadi et le HaC depuis le début des batailles contre l’EI, comme celle de Tikrit en 2015 à laquelle la milice n’a pas participé », explique Moustafa Habib, spécialiste des questions politiques et sécuritaires en Irak, contacté par L’Orient-Le Jour, ajoutant qu’« après les succès de Saadi sur le terrain, le HaC a senti sa réputation se ramollir et la popularité de l’armée augmenter pour la première fois depuis son effondrement à Mossoul en 2014 ». « C’est une manœuvre des pasdaran pour amener les services de sécurité irakiens sous leur contrôle », renchérit Randa Slim, chercheuse spécialiste de la région au Middle East Institute, contactée par L’OLJ.
En 2018, le Premier ministre irakien avait déjà ordonné la démission de plusieurs commandants de haut rang, dont le général Abdel Ghani al-Asadi, le général Sami al-Ardhi et le général Manaf al-Tamimi. Tous les trois ont joué un rôle de premier plan dans la chute du « califat » de l’EI en Irak.
(Lire aussi : Les milices chiites en Irak : une force de dissuasion quasi iranienne)
Versatile
La mise au ban de M. Saadi survient en plein bras de fer entre le gouvernement de Bagdad et les milices pro-Téhéran. L’augmentation du poids politique et militaire de ces dernières a plusieurs fois amené Bagdad à tenter de les intégrer au sein de l’armée régulière irakienne ces derniers mois. En vain. Ce poids se voit partout dans le pays. « Il y a aujourd’hui un grand nombre de barrages de milices pro-iraniennes entre Bagdad et Erbil (Kurdistan irakien) », confie à L’OLJ un homme d’affaires basé en Irak, expliquant par ailleurs que « ce sont ces milices qui tiennent le terrain en Irak, et non l’armée ». Le leader religieux chiite Moqtada Sadr, autre homme fort du pays, s’est également dressé contre cette influence de plus en plus nette des groupes paramilitaires pro-iraniens en Irak. Le clerc-tribun – arrivé en tête des dernières élections législatives irakiennes et qui dénonce depuis des années les influences étrangères, notamment américaine et iranienne, dans son pays – a récemment menacé, comme il l’a fait par le passé, de retirer sa confiance au gouvernement irakien en raison des agissements de la coalition parlementaire « Fateh », regroupant les milices pro-Téhéran. Il avait également lancé début septembre, sur Twitter, une campagne contre la ligne la plus dure de cette alliance, l’accusant de vouloir mettre à bas « l’État de droit » pour créer un « État voyou » en Irak.
Mais connu pour sa versatilité, M. Sadr avait (une fois de plus) bousculé tous les pronostics en se rendant en Iran le 10 septembre dernier pour commémorer le jour de Achoura, qui entretient le souvenir du massacre de l’imam Hussein. Il avait alors été reçu par le guide suprême iranien Ali Khamenei et avait même posé, pour la photo, entre lui et le chef de la force al-Qods (unité d’élite des gardiens de la révolution, très active en Irak et en Syrie), Kassem Soleimani… Tout un symbole ouvrant la voie aux interprétations les plus diverses. « Téhéran gagne en tout cas beaucoup plus avec cette visite de Sadr en Iran que Sadr lui-même », note Randa Slim.
Pour mémoire
En Irak, des « armées électroniques » sur fond de tensions Iran-États-Unis
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LES PROJETS D,AMADOUER MILITAIREMENT L,IRAN ET LE DETRUIRE NE SONT PLUS QUE DES PAROLES EN L,AIR ET DES REVES IRREALISABLES. ALLEZ DONC, EMPLOYEZ LA DIPLOMATIE ET DISCUTEZ AVEC LES AYATOLLAHS. ON DIT QU,UNE SOLUTION A L,AMIABLE EST MEILLEURE QU,UN PROCES. LE DUSCUSSION EST MEILLEURE QUE LA GUERRE.
21 h 49, le 02 octobre 2019