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Culture - Exposition

Quand le savon d’Alep devient œuvre d’art dans une usine de Bourj Hammoud

Par l’intervention de South Border Gallery* et de sa collaboration avec Marc Hadifé, l’usine Abroyan s’anime et brille de mille feux. Artistes libanais et étrangers se côtoient autour de l’installation « Study for a Soap ».

L’installation d’Emmanuel Tussore « Study for a Soap », composée de six tonnes de savons sculptés. Photo E.T.

Il serait déloyal de se pencher sur le dernier événement artistique organisé par South Border, dont Michel el-Daher est aux commandes, sans s’arrêter sur ce mécène grâce à qui tant d’artistes et d’autres à venir ont trouvé un merveilleux écrin à leurs créations. Lorsque Marc Hadifé, photographe et réalisateur (City Film Productions), va en repérage pour les besoins d’un film publicitaire, il tombe, d’abord, sur ce petit joyau à l’état de délabrement, ensuite en totale pâmoison face à l’usine de textile Abroyan – qui offrait du travail à 600 ouvriers pour la confection des sous-vêtements en coton. 14 000 mètres carrés laissés à l’abandon, mais un espace de toute beauté, composé de deux bâtiments construits dans les années 30. « On avait volé les énormes câbles électriques à tous les étages pour en récupérer le cuivre, toutes les fenêtres étaient éventrées, l’eau suintait de tous les murs, bref tout se trouvait dans l’état dans lequel on retrouve un immeuble abandonné depuis dix années. Je n’ai malheureusement pu rénover qu’une partie du premier étage, j’avais entrepris ces réparations tout de suite après l’acquisition de l’usine en 2011. » Jouxtant l’usine, Marc Hadifé plante dans un terrain quasi vierge des arbres hauts de 5 mètres, des vignes vierges qui recouvrent toute la façade et un gazon pour y installer Union Marks, un restaurant-bar, et compléter ainsi l’espace culturel par un espace de rencontres.


Du simple geste à la création

Au premier étage de l’usine, accueillant cette exposition à l’occasion de la Beirut Art Week, Emmanuel Tussore, artiste franco-américain né en 1984 à Monaco, investit tout l’espace pour présenter Study for a Soap. Une installation composée de six tonnes de savons sculptés et montés en maçonnerie, comme une maison dont il ne reste plus que les ruines et quelques fantômes qui traversent le silence quand on prend la peine de tendre l’oreille. Il suffit de se placer au centre pour sentir les âmes se déplacer et chuchoter les tragédies humaines, celles des populations contraintes à l’exil abandonnant et leur dignité, et leurs biens.

Emmanuel Tussore a toujours privilégié l’exploration des thèmes historiques à travers ses installations, ses photographies ou ses vidéos. Son travail implique souvent la répétition sous forme de cycle. L’idée du départ est partie d’un simple geste quotidien ;

la consommation quasi journalière de l’artiste du savon d’Alep pour se laver et autour duquel il avait proposé, d’abord une installation comme une allégorie en hommage à la ville syrienne ravagée par les affres d’une guerre qui n’en finissait pas de finir, ensuite une série de sculptures qu’il immortalise grâce à la photographie. Pour l’installation présentée par South Border Gallery à l’usine Abroyan et réalisée en 10 jours, Emmanuel Tussore utilise un savon en provenance du nord du Liban (de la région du Koura) que l’usine Saifan a gracieusement offert. Les murs en périphérie de l’installation sont habillés des photographies des savons-sculptures, évidés et ciselés par les soins de l’artiste. Le savon étant un matériau friable et tendre, c’est sans aucune difficulté que les formes suggérant des arcades ou des intérieurs violentés ont pris forme. Pour accompagner Emmanuel Tussore, pas moins de vingt artistes, entre designers peintres et sculpteurs venus de Cuba, du Chili, du Venezuela, du Nigeria ou de la Malaisie présentent également leurs créations. Et l’exposition prend des allures d’une foire de l’art.


(Lire aussi : Un musée pour les dix ans de la Beirut Art Fair)



L’enfance et la paix

De la biennale de Venise il y a deux années à l’usine Abroyan, les tortues de Ghassan Zard n’ont pas perdu leur chemin ni leurs carapaces. Au contraire, dans l’espace aux hautes fenêtres métalliques et sous un plafond de 10 mètres, elles ont l’air de s’y plaire. Géantes ou minimalistes, elles renvoient au monde de l’enfance et de l’innocence, si difficiles à retrouver.

Pour Nayla Romanos Iliya, artiste et architecte de formation, le Liban n’a jamais fait correctement le deuil de ses années de guerre, et son peuple est encore dans le déni. « Flower Power » – slogan du mouvement hippie pour la non-violence et la résistance passive – sera ainsi le fil conducteur de ses œuvres tantôt imposantes, tantôt minimalistes. Des plaques de métal ciselées comme de la dentelle s’épanouissent et s’ouvrent à la manière d’une fleur. Leurs tiges sont des obus ou des douilles récupérées, reliquats de la guerre civile libanaise. Dans cet enchevêtrement de fils métalliques, poussent par moments quelques fleurs et laissent la place à un discours poétique, mais surtout thérapeutique pour l’artiste. Assimiler la guerre mais n’en garder que l’espoir de lendemains souriants, voici le parcours émotionnel qu’effectue cette artiste qui invite tous les libanais à la suivre et à sourire. Car, affirme Iliya, « la voie de la paix commence forcément par un sourire », comme celui de ce smiley qu’elle a discrètement glissé sur une de ses sculptures.

Le corps et son poids s’effacent chez Duvier Deldago, artiste cubain, pour laisser place à une forme en fibres, vivante et lumineuse comme en apesanteur dans une absence totale de matérialité. Et le requin s’anime de toutes les couleurs, se transforme en fusée, laissant à l’artiste le soin de le délivrer de sa corpulence.


Étoiles montantes

Les meubles modulables ont désormais un look aussi pointu que les autres. Fonctionnalité, esprit pratique et esthétisme font bon ménage.

Aujourd’hui, les designers réfléchissent de plus en plus le meuble multifonctions. On pense à un Ottoman qui se mue en table basse, ou un cabinet qui évolue en bureau, ou encore un secrétaire à la tablette rétractable. C’est un valet de chambre que Philippe Daher (architecte né en Syrie et actuellement installé entre Londres et Beyrouth) a imaginé. Un valet qui fait office de chaises hautes ou à trois volets, ou encore ce bar en bois de loupe dont le plateau est détachable.

Samer Bourjeily a 24 ans. De sa formation d’architecte, il a conservé son penchant pour les formes simples et pures mais bien étudiées. Il créé une table à multiples fonctions (table de repas, bureau et bibliothèque) à partir de bois entièrement récupéré de poutres des plafonds des demeures libanaises. Il trempe ensuite son bois dans un liquide métallique comme pour figer le temps. Ce temps où la noblesse des matériaux était à l’honneur et la simplicité de mise pour préserver notre héritage. À signaler que Bourjeily a reçu le Talent Award of Design, de la Beirut Art Fair, pour l’ensemble de sa création intitulée « Versus ». Quand à Abdallah Baraké, artiste palestinien, c’est en regardant les néons dans une boite de nuit que l’idée lui vient d’en faire un paravent avec des trous et des lignes qui renvoient aux séquences de la lumière. Terminer le parcours en déambulant à travers les œuvres des artistes venus du bout du monde (impossible de les citer tous, ils sont bien nombreux) et enfin s’assurer que l’on a bien gardé en mémoire ce plaisant voyage, autour d’un verre dans le jardin à l’ombre des oliviers et des peupliers.

Study for a Soap

Aux usines Abroyan, Bourj Hammoud

Jusqu’au 30 septembre 2019

De 18 à 20 heures.


Pour mémoire 

Le réputé savon d’Alep victime du conflit syrien

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