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Culture - Rencontre

Volker Schlöndorff : En 1980, Beyrouth ressemblait au Berlin de mon enfance

Trente-huit ans après avoir tourné « Le Faussaire » (en 1981) dans la capitale libanaise, le cinéaste allemand Volker Schlöndorff, invité par le Goethe Institut et l’association Metropolis, est retourné au Liban dans le cadre de la Semaine du cinéma allemand. Dans un entretien avec « L’OLJ », le récipiendaire d’une Palme d’Or en 1979 et d’un Oscar pour le meilleur film étranger en 1980 pour le film « Le Tambour », et qui possède à son actif une trentaine de films, a fait part de son émotion d’être au Liban, de ses impressions durant les tournages et de ses appréhensions et craintes pour le cinéma, ainsi que pour l’humanité.

Volker Schlöndorff... un cinéaste toujours dans le mouvement du monde. Photo Michel Sayegh

Ça doit vous sembler étrange de retourner dans un pays que vous avez vu détruit et qui est actuellement reconstruit. Quelles ont été vos premières impressions à votre arrivée ?

Au premier jour de mon arrivée, j’ai voulu faire quelques pas près de l’hôtel Saïfi suites, Gemmayzé. J’avoue que je me sentais dans la peau d’un criminel qu’on avait ramené sans le vouloir sur le lieu du crime. Il faut dire qu’en quittant le Liban en 1981, j’avais de la peine à abandonner mes acteurs libanais, entre autres Fouad Naïm et Sarah Salem, sur le champ de bataille alors que nous rentrions chez nous dans un pays en paix. Je suis allé marcher vers la place de l’Étoile et à la rue Allenby et, bizarrement, j’ai tout de suite reconnu les lieux. Comme des flash-backs. C’est là qu’on avait fait traverser par des mômes une poupée pour qu’elle soit la cible des francs-tireurs. Une forte émotion m’a étreint et j’ai alors regretté de n’être pas venu plus tôt. J’aurai pu ainsi revoir Jocelyne Saab qui était assistante à la réalisation ainsi que Georges Nasser (alors producteur). On m’avait recommandé de ne plus revenir au Liban à l’époque, suite à la polémique autour du film. Le temps a filé. Et me voilà maintenant. Mais ma première visite datait de 1961. J’étais venu à Beyrouth pour réaliser un documentaire sur la Méditerranée. Le vrai choc était donc quand je suis arrivé en cet été 1980, 20 ans après, pour faire des repérages pour le film. J’ai réalisé que la ville ressemblait au Berlin de mon enfance, en 1945. Une certaine familiarité. Rien à voir avec la Suisse du Moyen-Orient. J’ai remarqué que les enfants jouaient dans les ruines avec des fusils en bois. C’est ce que je faisais à l’âge de six ans.

Dans vos films, il y a toujours eu un désir de placer l’action dans un cadre historique (« Diplomatie », « Le Tambour », « Le Faussaire »…). Est-ce que cette décision est inconsciente ou voulue ?

On ne comprend le monde qu’en regardant en arrière. J’ai fait trente films. La moitié, presque, traite de près ou de loin de la Seconde Guerre mondiale. Il y a en effet des questions qui m’ont toujours hanté. Nous, Allemands, traînons un héritage funeste toute notre vie. Comment cela a-t-il été possible ? Comment un peuple intelligent a-t-il accepté un tel chef ? Il ne s’agit pas seulement de l’Holocauste, mais de l’invasion de la Pologne, de la France… Même les guerres civiles comme celles du Liban ou de la Bosnie m’ont intrigué. Comment un frère peut-il se soulever contre son frère ou un voisin contre son voisin ? De tous les films que j’ai tournés, le tournage du Faussaire était unique, comparable à nul autre, parce qu’il était historique. Ainsi, nous tournions en 1981 sur des événements passés, en 1976, mais nous avions l’impression que c’était contemporain parce que, malgré le calme relatif, je sentais que ça pouvait exploser à tout moment. Nous avions donc un pas dans le passé, dans le présent et dans le futur.


Allemand de nationalité, vous vous installez avec votre famille en France. Deux ans plus tard, vous obtenez le premier prix de philosophie du Concours général. Vous êtes diplômé de l’Institut des hautes études cinématographiques et vous commencez votre carrière en France comme assistant d’Alain Resnais, de Jean Pierre Melville et de Louis Malle. Des rencontres cruciales pour votre future carrière. Vous dites qu’au cinéma, c’est plus une question de chance ?

Au cinéma, le talent est bien sûr nécessaire, mais c’est vrai qu’il est plus question de chance. Et j’entends par là qu’il faut se mettre au travers du chemin de la chance. Oser se mettre quelque part comme oser se mettre à Beyrouth à cette époque. Une fois qu’on ose, on a par la suite de la chance. Louis Malle m’avait dit un jour, alors que j’avais 21 ans et lui 28 ans : « Es-tu prêt pour le cinéma ? Car une fois que tu commences, c’est un marathon qui suit. » On fait toujours des expériences-clés quand on est jeune.

Pourquoi ne vous êtes-vous pas orienté vers la littérature au lieu du cinéma, alors que vous en êtes un grand féru ?

J’ai écrit mes mémoires parus chez Flammarion il y a quelques années déjà. Ce jour-là, Michel Tournier a écrit en exergue « Cinquante ans de cinéma qui se lisent comme un roman ». J’aurai dû l’écrire à la façon d’un roman. Je tiens mon journal au quotidien et j’écris tous les jours, mais j’aime travailler avec une équipe et je trouve que l’écriture est trop solitaire. Pour moi, le cinéma était une fascination de môme comme conduire une locomotive. En étant à Paris à l’époque de nouvelle vague et en travaillant avec de grands cinéastes, je me suis rendu compte de ce que le cinéma était capable de faire. Jusqu’à ce jour, j’y prends plaisir. Que je fasse une master class, que je tourne un documentaire, je n’exclus pas de faire à nouveau un film de fiction, car je trouve que c’est le plus beau métier du monde. C’est un espace où l’on parle de nos émotions, on les réinvente par l’intermédiaire des acteurs qui me séduisent et que j’aime. Travailler avec des acteurs, c’est comme faire l’amour avec eux. D’ailleurs, aujourd’hui, la plupart sont mes amis. On peut même raconter l’histoire à nouveau de notre point de vue. Et puis le cinéma, ça fait voyager. J’ai tourné beaucoup de films dans des endroits très différents : la Pologne, l’Allemagne, la France, New York, la Louisiane, le Mexique, la Bretagne. Avec un film on découvre tout un pays et son histoire. Ça ne me fatigue jamais.


Mais la plupart de vos films sont des adaptations littéraires. Vous effacez-vous derrière l’histoire ou bien fusionnez-vous avec l’auteur ?

J’aime bien cette expression. Oui je fusionne. Si j’ai envie d’adapter un livre c’est parce qu’il m’a plu. Je veux le montrer au public et lui montrer pourquoi je l’ai aimé. Mais il s’agit d’interprétation, comme avec la musique. J’abordais l’autre jour cette question avec Anne Sophie Mutter, la grande violoniste allemande qui dit toujours à ses étudiants : « Quand je joue une sonate de Beethoven je joue du Beethoven, mais en même temps ce n’est pas n’importe qui qui la joue, c’est moi. » Il faut donc, dans un film, que je trouve la balance d’une part entre l’auteur et ce qu’il a écrit, et ce que moi je ressens. C’est pourquoi j’aime rencontrer et parler avec les auteurs pour comprendre ce qu’ils ont voulu dire entre les lignes. Dans l’adaptation littéraire, il y a nécessairement le tempérament du réalisateur qui va lui donner une couleur à ce qu’il a écrit. Le romancier Günter Grass par exemple (Le Tambour) était un anarchiste. Il aimait choquer le bourgeois. Il faisait des interviews ahurissantes pour attirer l’attention. Le môme du Tambour c’est lui. Si donc recette il y a, c’est pénétrer dans le livre. Autre exemple : Le Faussaire était également une adaptation d’un roman. Curieusement ce dernier était basé sur des articles d’un reporter qui racontait la guerre du Liban. L’auteur du roman est venu par la suite à Beyrouth, y est resté trois mois et a eu une petite aventure. J’ai fait donc le chemin inverse. Je suis parti du roman pour revenir vers le reportage alors que l’auteur était parti du reportage pour en faire un roman.

Défenseur du cinéma d’auteur, vous ne vous situez pas dans le cinéma d’aujourd’hui. Où vous situez-vous au juste ?

Justement je n’ai plus de place. Je me suis un peu survécu. J’ai eu la chance de vivre les trente glorieuses, les années 60, 70 et 80. Ces époques où des pièces uniques bien pensées pointaient. Ni du grand spectacle ni de l’élitisme avant-gardiste non plus, mais un cinéma d’auteur presque grand public et ce bonheur qu’on a connu a fait joindre la qualité du cinéma et l’intérêt du public qui n’existent plus actuellement. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais faire des séries de TV, même si elles doivent avoir leurs mérites, puisque tout le monde les regarde. J’avoue que je suis un peu désemparé. J’ai le privilège quand même de voyager avec mes films comme à Beyrouth et en novembre à Calcutta pendant le festival. J’ai aussi des rétrospectives aux États-Unis, en Allemagne et à Madrid. Je vois que mes films vivent devant des salles bondées. De quoi je me plaindrais ? Si c’est du fait de ne pas être dans l’immédiat et à l’affiche, je l’ai connu. Durant ce court séjour au Liban, j’ai fait un atelier pour « Action for Hope » dans la Békaa où j’ai rencontré des jeunes entre 18 et 20 ans (Libanais et Syriens) et qui sont désireux de faire du cinéma. Être avec eux et leur expliquer comment un film a été fait me fait croire qu’un certain cinéma est encore possible.

Vous êtes donc toujours à l’écoute du monde et de ses pulsions…

Outre la littérature, je lis toujours le journal deux fois par jour. Je travaille actuellement sur un documentaire, parce qu’il y a une place pour ce genre-là et que ça intéresse l’humanité. Le sujet porte sur un agronome australien qui a eu le prix Nobel alternatif pour sa façon de faire croître les arbres pour arrêter la désertification. Dans la Békaa, j’ai rencontré un groupe qui suit sa méthode. Il fait repousser les arbres à partir des racines qui restent. Il réanime donc ces forêts qui dorment sous terre. Le moment que nous vivons est passionnant, parce qu’il se peut que nous soyons en train de jouer l’avenir de l’humanité à cet instant même. La planète survivra sans nous et même mieux, mais que va-t-il advenir du genre humain ? C’est la première fois qu’elle est en danger en tant que genre. Si on était une plante ou un animal, on aurait eu des défenses. Va-t-on le faire le moment venu ? Le grand danger pour moi c’est la dégradation du temps et du climat qui est irréversible. Que ce soit par notre faute ou pas, on peut la ralentir, mais pas plus. Comment les hommes vont-ils se comporter ? Vont-ils s’éliminer les uns les autres pour l’instinct de survie ? Vont-ils s’organiser avec solidarité ? C’est angoissant, mais il faut assumer et faire des plans.

J’essaye d’être réactif par ce documentaire, car ce ne sont pas les scénarios apocalyptiques qui vont changer les choses. L’apocalypse intimide et paralyse. Pour ma part, j’essaye de faire un film qui restaure l’espoir.

Ça doit vous sembler étrange de retourner dans un pays que vous avez vu détruit et qui est actuellement reconstruit. Quelles ont été vos premières impressions à votre arrivée ? Au premier jour de mon arrivée, j’ai voulu faire quelques pas près de l’hôtel Saïfi suites, Gemmayzé. J’avoue que je me sentais dans la peau d’un criminel qu’on avait ramené sans le vouloir sur le...

commentaires (5)

Il a raison le grand cinéaste, Herr Schlöndorf. Au sortir de la guerre, Berlin comme Beyrouth étaient des villes de réfugiés, et elles le sont encore. Voilà un point commun. Pour le reste, Berlin comme Beyrouth n’étaient pas totalement détruites, bien que leurs centres étaient vraiment touchés, détruits … Les dégâts, et stigmates de la guerre sont encore visibles dans ""Berlin la soviétique"", et qu’il faut encore beaucoup de temps pour les effacer. Et tout n’a pas été rasé… Et un peu de culture historique fera du bien !!! C. F.

L'ARCHIPEL LIBANAIS

15 h 10, le 26 septembre 2019

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Commentaires (5)

  • Il a raison le grand cinéaste, Herr Schlöndorf. Au sortir de la guerre, Berlin comme Beyrouth étaient des villes de réfugiés, et elles le sont encore. Voilà un point commun. Pour le reste, Berlin comme Beyrouth n’étaient pas totalement détruites, bien que leurs centres étaient vraiment touchés, détruits … Les dégâts, et stigmates de la guerre sont encore visibles dans ""Berlin la soviétique"", et qu’il faut encore beaucoup de temps pour les effacer. Et tout n’a pas été rasé… Et un peu de culture historique fera du bien !!! C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    15 h 10, le 26 septembre 2019

  • LES DESTRUCTIONS DE BERLIN ETAIENT PIRES QUE NULLE PART AILLEURS. TOUT A ETE RASE COMPLETEMENT !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 29, le 26 septembre 2019

  • Selon Volker Schlöndorff : ""Au cinéma, le talent est bien sûr nécessaire, mais c’est vrai qu’il est plus question de chance. Et j’entends par là qu’il faut se mettre au travers du chemin de la chance. Oser se mettre quelque part comme oser se mettre à Beyrouth à cette époque. Une fois qu’on ose, on a par la suite de la chance."" La chance bien sûr, mais c’est surtout une affaire de gros sous, de budget, et non pas ""oser pour avoir de la chance"". Je connais bien le milieu des Studios Babelsberg entre Zehlendorf et la très huppée Potsdam… C. F.

    L'ARCHIPEL LIBANAIS

    11 h 00, le 26 septembre 2019

  • Je pense que c'est normal de regarder une situation à partir de ses propres souvenirs et experiences, et de faire des parallèles, mais chaque situation est différente bien-sûr. La situation triste à Alep ou de Moussol de nos jours, c'est vrai que les vieux européens nous disent que ca leur fait penser au temps qu'eux ils ont retirés eux-mêmes des cadavres de victimes des maisons détruites pendant les conflits en Europe, beaucoup plus meurtriers que celles du moyen-orient encore ... Aussi dans le cas d'Allemagne, il faut penser par exemple à Kaliningrad ou Koningsbergen ou il n'y a qu'un siècle la population était très différente et la population a du quitter ce territoire et a été remplacé par une autre population. Il y a des parallèles mais aussi des différences.

    Stes David

    09 h 42, le 26 septembre 2019

  • JAMAIS BEYROUTH N,A RESSEMBLE A BERLIN OU TOUTE AUTRE VILLE EUROPEENNE. NI EN 1980 NI AVANT. LE MONSIEUR DIVAGUE POUR UNE RAISON INCONNUE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    00 h 33, le 26 septembre 2019

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