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Ceux du nouveau monde

En cette saison migratoire, il y a donc aussi ceux qui « veulent » rester. On les a pourtant prévenus, ce pays est instable, presque failli, toujours à la merci d’une guerre, d’une provocation, d’un esclandre entre partisans de tel ou tel meneur ou d’un attentat. Miné comme il ne l’a jamais été par la corruption et le vol éhonté de ceux qui le dirigent, le Liban ne peut plus compter que sur davantage de sacrifices de ses citoyens exsangues pour tenter de se sortir d’affaire. On leur a bien dit aussi qu’on avait suffisamment payé, en souffrances parfois inouïes et sur plusieurs générations, le prix de notre attachement à cette terre qui tangue. Cet attachement pouvait encore se justifier du temps qu’elle était belle, cette terre ; du temps où ses habitants avaient encore le sens de la courtoisie et de la convivialité, et cette fierté qui les motivait à montrer au monde l’excellence dont pouvait être capable leur petit État prématuré, à peine viable mais par leur volonté si vigoureusement vivant.

Que reste-t-il de cette ambition qui rendait les gens meilleurs, tout soucieux qu’ils étaient de se montrer à la hauteur de l’indépendance fraîchement acquise, chacun s’efforçant d’atteindre la perfection dans son propre métier, qu’il soit artiste-peintre, ébéniste, tailleur ou bijoutier, marchand de primeurs ou quincaillier, ou qu’il appartienne à la triade reine avocat-ingénieur-médecin ? À l’ère bénie où chacun œuvrait à polir sa réputation de sorte que celle-ci rejaillisse sur ses proches et le grand cercle de ses concitoyens, succède le temps disgracieux du travail bâclé et des horaires de présence assidûment remplis à ne rien faire, vie chère, salaires médiocres et la resquille, obsédante tentation. Ce désenchantement n’est que la conséquence directe de la dystopie qui nous sert désormais de paysage, créée par l’absence de volonté politique et donc d’intérêt personnel des responsables pour toute réforme, qu’il s’agisse de régler le problème des déchets ou celui de l’électricité et de l’eau courante, sans parler de tous les secteurs publics tout aussi défaillants. Tant d’argent, tant de temps a été perdu en fausses réformes et vraies arnaques. L’avenir à l’avenant, tant que les solutions seront confiées à ceux mêmes qui entretiennent les problèmes.

Et malgré tout, il y a donc ces jeunes qu’on aimerait voir partir, sauver leur peau, tenter leur chance de trouver ailleurs un avenir moins hypothéqué, mais qui s’obstinent à rester. Non qu’ils se sentent moins capables que ces « cerveaux » dont on déplore la fuite, mais simplement parce qu’ils ont ici leur place et affirment qu’on n’est nulle part mieux que « chez soi ». Ils voient le désastre, et à travers le désastre un sens à leur vie. À qui laisser tout cela, cette histoire émouvante, cette terre pleine de potentiel, ce bout de planète où tout reste à faire et qui a tant besoin de bras? Ils y croient, et à travers eux, on voudrait bien y croire, mais comment s’y prendraient-ils ? Leur génération vit et clame haut et fort les valeurs laïques, le refus de la soumission par la religion et le rejet des traditions patriarcales, l’acceptation sereine de toute différence, l’égalité en droits de tous les humains, l’absolue empathie envers les animaux. Elle anticipe et ressent avec inquiétude l’épuisement de la terre et se prépare à une modification radicale des vieilles traditions : abandonner les énergies et les ressources fossiles, s’habiller avec ce que l’industrie textile déverse inutilement depuis plus d’un demi-siècle, ou avec de nouveaux tissus à base de déchets plastiques, réduire au minimum sinon à zéro leur consommation de viandes et de produits fermiers… De cette révolution qui emportera dans son sillage tous les repères connus de notre monde obsolète, coutumes, clergés, systèmes politiques et économiques, eux seuls auront le mode d’emploi, et tout prête à croire que le Liban sera l’incubateur idéal.

En cette saison migratoire, il y a donc aussi ceux qui « veulent » rester. On les a pourtant prévenus, ce pays est instable, presque failli, toujours à la merci d’une guerre, d’une provocation, d’un esclandre entre partisans de tel ou tel meneur ou d’un attentat. Miné comme il ne l’a jamais été par la corruption et le vol éhonté de ceux qui le dirigent, le Liban ne...

commentaires (5)

Bonsoir et merci Monsieur Dib pour ces mots et votre confiance dans cette jeunesse,riche et qui sortira le pays de l’ornière dans laquelle il se trouve.

Ghazi SOUHAIL

20 h 54, le 12 septembre 2019

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Bonsoir et merci Monsieur Dib pour ces mots et votre confiance dans cette jeunesse,riche et qui sortira le pays de l’ornière dans laquelle il se trouve.

    Ghazi SOUHAIL

    20 h 54, le 12 septembre 2019

  • Nouveau ou ancien monde , avouons que le monde bouge mal. Jeunes et vieux libanais veulent tous en effet quitter le pays mais partir ou ?En Europe priorité aux syriens et chez Oncle Sam pas question de recevoir de nouveaux immigrants . Avec ces contradictions essayons d' oeuvrer socialement pour un changement radical surtout chnger la caste politique actuelle .

    Antoine Sabbagha

    13 h 18, le 12 septembre 2019

  • Je ne comprends vraiment pas là où Fifi veut en venir ! Elle brosse un tableau noir de la situation actuel , en nous faisant encore sa bretelle nostalgique, pour finir par plaindre ceux qui veulent rester au pays, et finir par SE FAIRE BEAUCOUP D'ESPOIR pour leur courage . Si c'est pas un esprit torturé ça ! !!! MAIS TORTURÉ DEPUIS TRÈS TRÈS LONGTEMPS.

    FRIK-A-FRAK

    10 h 17, le 12 septembre 2019

  • Désolé de vous contredire, mais à mon entendement, ceux qui restent sont ceux qui n’ont pas eu l’opportunité de partir.

    Lecteur excédé par la censure

    10 h 02, le 12 septembre 2019

  • LE LIBAN A TOUJOUS ETE AINSI... DEVALISE PAR LES ABRUTIS ELUS... MAIS LA VIE ETAIT BELLE AVANT LA VENUE DE LA GANGRENE QUI LE FRAPPE ET LE RONGE ET Y A RENDU LA VIE DIFFICILE ET DANGEREUSE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 59, le 12 septembre 2019

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