Les partisans d’une guerre ouverte contre l’Iran viennent de perdre leur principal représentant au sein de la Maison-Blanche. En pleine période de fortes tensions avec la République islamique, le président américain Donald Trump a limogé mardi soir son conseiller à la Sécurité nationale John Bolton, sur fonds de nombreux désaccords. « J’ai informé John Bolton hier soir que ses services ne sont plus nécessaires à la Maison-Blanche. Je suis fermement en désaccord avec nombre de ses suggestions, à l’instar d’autres membres de l’administration, et donc j’ai demandé à John sa démission, qui m’a été remise ce matin », a twitté mardi le chef du bureau Ovale, précisant qu’il nommera son remplaçant « la semaine prochaine ». M. Bolton a néanmoins fait parvenir une version différente des faits. Toujours sur twitter, il a contesté les dires du président en affirmant avoir « remis sa démission » lundi, et que M. Trump a répondu : « Parlons-en demain. »
Avocat sexagénaire, « va-t-en-guerre » et anticommuniste, partisan de l’intervention américaine en Irak en 2003 et ancien ambassadeur des États-Unis aux Nations unies, le « faucon » à la moustache blanche avait été nommé au poste de conseiller à la Sécurité nationale en avril 2018, à la veille de la sortie de Washington de l’accord sur le nucléaire iranien, devenant ainsi le troisième à occuper ce poste depuis l’investiture de Donald Trump. Il s’est immédiatement distingué en poussant la présidence américaine à adopter une ligne dure, voire belliciste, vis-à-vis de certains pays comme la Corée du Nord, la Russie, l’Afghanistan, le Venezuela, la Syrie, mais surtout l’Iran, sa « bête noire » depuis de nombreuses années. Déjà, en 2015, il avait publié une tribune dans le New York Times sous le titre: «Pour arrêter l’Iran, il faut bombarder l’Iran».
Depuis le rétablissement des sanctions contre Téhéran en mai 2018, et encore plus avec la montée des tensions avec la République islamique dans la région, M. Bolton a été partisan d’un changement du régime iranien. L’Iran, notamment par la voix de son ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, a de son côté régulièrement accusé M. Bolton de faire partie de la « B-Team », une équipe – dans laquelle figurent le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane et le prince héritier de Dubaï Mohammad ben Zayed – accusés de vouloir provoquer une guerre avec l’Iran.
(Pour mémoire : John Bolton, le conseiller va-t-en-guerre d'un président qui n'aime pas la guerre)
America first
S’il a parfois été caricaturé comme le pantin des faucons de son administration, à l’instar de John Bolton, Donald Trump semble finalement avoir profité de ceux-ci pour défendre une ligne en adéquation avec les attentes d’une partie des élus républicains et des alliés régionaux des États-Unis. Le président américain reste toutefois partisan de la doctrine de l’America first, qui entre en contradiction avec le fait de s’impliquer dans des conflits qui ne sont pas de première importance pour l’intérêt national américain. C’est cette ligne qui prévaut aujourd’hui, encore plus avec le départ de John Bolton, et qui éloigne le spectre d’une confrontation entre l’Iran et les États-Unis à la veille d’une possible rencontre entre le président américain et son homologue iranien Hassan Rohani.
Téhéran a suivi et applaudi le départ de M. Bolton. La presse iranienne était en liesse hier matin. « Viré », c’est le mot qu’on retrouve en manchette de certains quotidiens iraniens. « Bolton, victime de l’Iran ? » s’interroge de son côté le journal réformateur Shargh. « La marginalisation de Bolton et son limogeage ne sont pas un accident, mais un signe clair de la défaite de la stratégie de pression maximale de l’Amérique », a également tweeté mardi Hesameddin Ashena, l’un des conseillers du président iranien.
Le limogeage de M. Bolton intervient en début de campagne présidentielle pour le président américain qui compte bien conserver son fauteuil au sein du bureau Ovale. « Le président Trump n’a actuellement qu’une chose en tête : sa réélection, et il a besoin d’un “succès” diplomatique qui l’y mènerait », explique Alex Vatanka, spécialiste de l’Iran au sein du Middle East Institute, contacté par L’Orient-Le Jour. « Son équipe diplomatique, y compris John Bolton, n’ont pas apporté ce “succès”. Quelqu’un doit en payer le prix, et on le voit avec Bolton », ajoute-t-il. « Le limogeage de M. Bolton peut être considéré comme un message adressé à l’Iran indiquant que l’administration Trump est partante pour des rencontres et pour la poursuite des négociations en vue de la conclusion d’un nouvel accord visant à remplacer le JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action, l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, conclu en 2015, NDLR) », estime Abbas Kadhim, spécialiste de la politique étrangère américaine au sein du Think Tank Atlantic Council. Le président américain a exprimé, à de nombreuses reprises, sa volonté de vouloir discuter avec le président Rohani. Mardi, il s’est dit « toujours disposé » à une rencontre « sans conditions préalables ».
(Pour mémoire : John Bolton, un faucon de plus à la Maison-Blanche)
Détente difficile
La détente américano-iranienne reste néanmoins compliquée à mettre en œuvre. Car s’il éloigne le spectre d’une guerre, le limogeage de M. Bolton ne marque pas une rupture totale dans la politique actuelle américaine à l’égard de Téhéran. « Le départ de Bolton peut atténuer le discours de certains membres de l’administration Trump vis-à-vis de l’Iran, mais d’autres ont des visions quasi équivalentes à celles du responsable limogé, même si elles ne sont pas aussi radicales », précise Abbas Kadhim. Le secrétaire américain au Trésor Steve Mnuchin a par ailleurs affirmé mardi que la campagne de « pression maximale » actuellement exercée par les États-Unis sur la République islamique sera « maintenue ». Cela s’est notamment vu avec l’imposition, mardi, de nouvelles sanctions contre des membres du groupe État islamique, du Hamas mais aussi des gardiens de la révolution, l’armée idéologique du régime iranien.
La marge de manœuvre pour une entente diplomatique demeure ainsi très étroite. Le président Rohani a affirmé hier que le « bellicisme » américain échouerait et a prévenu que son pays était prêt à réduire davantage encore ses engagements pris dans le cadre de l’accord international de 2015 sur son programme nucléaire. « L’ennemi nous a imposé “une pression maximale”. Notre réponse est d’y résister et d’y faire face », a-t-il déclaré.
« La grande question est de savoir si les Iraniens sont disposés à rencontrer et à négocier avec cette administration américaine », s’interroge Abbas Kashim, estimant toutefois que « tous les signes actuels indiquent que les Iraniens ne sont pas encore prêts ». « Si les Iraniens veulent vraiment une désescalade, ils peuvent voir une opportunité dans le départ de John Bolton », relève de son côté Alex Vatanka.
Une éventuelle rencontre entre le président américain et son homologue iranien reste a priori soumise à conditions. Hassan Rohani exige, en premier lieu, le retrait des sanctions américaines. « Les Iraniens ont peur de n’avoir rien en retour », explique Alex Vatanka, ajoutant que « la seule raison pour que les Iraniens acceptent de rencontrer le président américain, c’est de conclure quelque chose immédiatement ou de se mettre d’accord, ensemble, sur un point précis ». L’un de ces points pourrait être un desserrement des sanctions, notamment celles liées au pétrole, comme il en a été discuté entre les Iraniens et les Français, sous l’impulsion du président Emmanuel Macron au sommet du G7 à Biarritz il y a quelques semaines. Le tableau sera sans doute plus clair au moment de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, la semaine prochaine.
Pour mémoire
John Bolton, "ami" pour les Israéliens, vieil adversaire pour les Palestiniens
commentaires (7)
Bon debarras...
HIJAZI ABDULRAHIM
00 h 55, le 12 septembre 2019