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Nos Lecteurs ont la Parole - par Sylvain THOMAS

Le courage de nos convictions

L’un des traits les plus étranges de notre époque nous semble être la crainte de l’émotion ; et l’un des aspects les plus étranges de cette crainte est son illogisme. Jeunes ou vieux, les spectateurs d’un match de football donnent généralement libre cours à leurs frénésies ; mais leur arrive-t-il de laisser paraître des sentiments patriotiques ou religieux tant soit peu profonds, les voilà confus et presque honteux. Cette gêne, cette confusion sont encore plus marquées s’ils ont trahi l’ardeur de leurs convictions personnelles.

II semble que pour sauvegarder notre dignité intellectuelle, nous jugions nécessaire de rester froids et impassibles devant les problèmes qui nous touchent le plus profondément. À d’autres, au menu fretin, de se laisser émouvoir ; nous, nous demeurons au-dessus de la mêlée et proscrivons toute manifestation de sensibilité. Même notre manière d’avoir choisi la liberté n’a rien de palpitant : nous réprouvons les événements guerriers du Proche-Orient, mais nous sommes singulièrement réticents dès qu’il s’agit de faire le moindre effort pour propager ou adopter un autre « credo » auquel nous puissions nous donner avec enthousiasme.

Nous craignons de montrer des émotions, parce que nous avons peur de prêter à rire. L’homme déteste servir de cible à l’ironie ; or il est parfaitement évident que celui qui manifeste un vif intérêt pour telle personne ou telle cause risque fort de paraître ridicule : la cause peut être perdue, la personne révéler certains défauts, l’opinion du passé outrepassée de mode.

Voici donc le bon procédé à l’usage de ceux qui veulent éviter froissements et blessures : « Ne prenons rien à cœur. » Restons neutres et personne ne pourra nous lancer : « Je vous l’avais bien dit ! » Ne prenons rien à cœur, nous serons invulnérables.

Rien ne nous empêche de nous composer un extérieur froid, dur, étincelant, de ne jamais nous engager, de demeurer toujours en dehors des débats. Seulement, si nous empruntons cette route, nous paierons notre sécurité au prix fort : nous tournerons le dos à tout ce que la vie offre de beau et de bon.

Une telle indifférence, une telle froideur sont rigoureusement à l’opposé de l’Évangile. Le Christ nous appelle à un genre de vie où nous sommes exposés à toutes les blessures. Impossible de regarder la croix avec indifférence : il nous faut la charger sur notre épaule et la graver dans notre cœur.

Le vieil adage selon lequel l’amour est aveugle ne recèle qu’une infime parcelle de vérité : qui aime vraiment connaît la personnalité de l’aimé sous tous ses aspects, lesquels sont totalement cachés à ceux qui haïssent et, en grande partie, aux indifférents.

L’intérêt que nous portons aux choses et aux êtres aiguise notre sensibilité. Seul leur attachement passionné permit à Simon-Pierre et aux autres apôtres de comprendre la véritable identité du Christ, le « Fils du Dieu vivant ». Cette pénétration d’esprit fut refusée à ceux qui se tenaient à l’écart, emmurés dans leur splendide isolement ou simplement en observateurs curieux.

Il est impossible de lire longtemps l’Évangile sans qu’apparaisse avec netteté le caractère enflammé de ces premiers chrétiens. Leur petite communauté se composait de gens au cœur vibrant, qui avaient embrassé une cause et n’en rougissaient point. C’est ce qui explique pourquoi, en dépit de terribles persécutions, le christianisme fut capable de survivre et de triompher. Qu’est-ce qu’un chrétien, en fait ? Est-ce celui qui regarde l’Évangile et conclut : « II y a là une idée intéressante ! » Non ! C’est l’homme qui regarde le Christ et en reçoit un tel choc qu’il Lui dit : « Descendez dans mon cœur ; faites en moi Votre demeure. »

Selon certains, ce genre de religion ne saurait convenir aux intellectuels de notre temps. Nombre de professeurs partagent ce point de vue; ils exposent des thèses, mais ne les épousent pas, de crainte qu’en s’éloignant de la « méthode scientifique » ils ne deviennent inaptes à remplir leurs fonctions pédagogiques. Platonisme, pragmatisme, christianisme : tout est présenté avec la plus sereine indifférence, à peu près comme s’il s’agissait de différents systèmes de numération, bien que ces doctrines soient de la plus haute importance pour le genre humain.

Les esprits les plus remarquables l’ont clairement compris : une vie sans passion n’est pas une vie. La vérité est que rien n’a été créé sans passion : aucun grand poème ne fut jamais écrit sans passion, aucune grande fresque musicale ne fut jamais composée sans passion. La passion est ce qui nous transporte au-delà de l’apparence, au cœur de l’exaltation profonde et prodigieuse où nous apprenons à aimer et à vivre pleinement notre vie.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

L’un des traits les plus étranges de notre époque nous semble être la crainte de l’émotion ; et l’un des aspects les plus étranges de cette crainte est son illogisme. Jeunes ou vieux, les spectateurs d’un match de football donnent généralement libre cours à leurs frénésies ; mais leur arrive-t-il de laisser paraître des sentiments patriotiques ou religieux tant soit peu...

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