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Idées - Commentaire

Pourquoi les tensions d’Ormuz n’ont pas ébranlé le marché du pétrole

Le pétrolier norvégien Front Altair, cible d’une attaque en mer d’Oman, le 13 juin 2019. Archives AFP

Malgré la multiplication, ces derniers mois, des incidents impliquant différents tankers pétroliers autour du détroit d’Ormuz, le chaos n’a pas eu lieu sur marché mondial de l’or noir. Si dans la semaine qui a suivi les actes de sabotage impliquant plusieurs navires et pétroliers au large du port émirien de Fujaïrah, le cours du Brent a momentanément grimpé jusqu’à flirter avec les 74 dollars le baril, il est ensuite rapidement revenu aux niveaux d’avant l’attaque. Idem un mois plus tard, lorsque deux tankers ont été attaqués en mer d’Oman : si les prix du Brent ont bondi de 4 % en réaction immédiate à l’attaque, ils ont rapidement reculé pour se situer aux alentours de 61 dollars le jour suivant – soit à peine 1 dollars de plus que son cours la semaine précédant l’incident. Et la poursuite de l’escalade des tensions à Ormuz pendant le mois de juillet n’a pas enrayé une trajectoire globalement baissière des prix : jeudi dernier, le baril de Brent a clôturé à 58,23 dollars.

Situé entre l’Iran et Oman et reliant les principaux producteurs de pétrole du Moyen-Orient au reste du monde, le détroit d’Ormuz constitue pourtant le couloir le plus important sur le plan stratégique pour le commerce mondial du pétrole : environ un tiers du pétrole acheminé par voie maritime sur la planète y transite. Dès lors, la faiblesse de la réaction des marchés face aux événements qui s’y sont déroulés aurait été tout simplement inconcevable il y a encore quelques années…

Ce détachement relatif tient en grande partie au rôle joué par la révolution des hydrocarbures de schiste dans la reconfiguration des marchés pétroliers. Car le boom de ces hydrocarbures non conventionnels, qui a véritablement commencé en 2010 aux États-Unis, a non seulement permis d’assurer de nouvelles sources d’approvisionnements sur le marché, mais également, et c’est tout aussi important, une offre beaucoup plus flexible. Alors que traditionnellement il faut compter entre sept et dix ans pour convertir les investissements en production dans le cas d’un projet pétrolier classique, ce délai se réduit à quelques mois dans le cas des projets d’exploitation du pétrole de schiste, ce qui rend la production très sensible aux prix. Cette caractéristique, simple mais fondamentale, devrait continuer à dicter les tendances du marché mondial de l’or noir dans un avenir proche.



(Pour mémoire : Pétrole : comment les États-Unis veulent mettre l’Iran à genoux)



La révolution du pétrole de schiste
Avant l’introduction des hydrocarbures de schiste sur le marché, l’offre mondiale de pétrole était clairement répartie entre l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) et les producteurs non membres du cartel. Au début de ce siècle, l’OPEP fournissait près de 42 % du pétrole mondial, selon les données de BP Energy, la part du lion revenant aux producteurs du Moyen-Orient. Mais ce n’est pas tant cette importante contribution au marché pétrolier qui a déterminé l’influence du cartel, que sa capacité de production excédentaire qui lui permettait d’ajouter ou de retirer assez rapidement des volumes du marché et lui a valu le titre de producteur d’équilibre (« swing producer »). La majeure partie des capacités inutilisées de l’OPEP se trouve en Arabie saoudite, qui s’est longtemps targuée d’être « la banque centrale » du pétrole, adaptant sa production aux besoins du marché : sous sa houlette, le cartel puisait dans ses excédents pour fournir des barils supplémentaires dans les périodes de tension sur les prix ou, à l’inverse, coordonnait des baisses de production pour faire monter les prix lors des périodes de détente. C’est ce modèle qui a défini les marchés pétroliers depuis la création de l’OPEP en 1960.

Dans le même temps, la production des principaux producteurs non membres de l’OPEP, États-Unis en tête, semblait connaître une baisse inexorable, ce qui incité les partisans de la théorie du « pic pétrolier » à annoncer l’imminence d’un pic de la production mondiale de brut, qui aurait été ensuite suivie d’un déclin rapide à même de provoquer un choc particulièrement grave pour les économies trop dépendantes de l’or noir.

Dans de telles circonstances, toute perturbation de l’approvisionnement dans les principaux pays producteurs ou même de simples menaces de fermeture d’importants couloirs de transit comme le détroit d’Ormuz – typiques de la rhétorique iranienne des dernières années – était à même de susciter une grande anxiété sur le marché et de faire grimper les prix. Telle était la situation qui prévalait au début de cette décennie, lorsque des prix à 100-110 dollars le baril étaient considérés comme normaux.

Les prix du pétrole se sont toutefois effondrés à l’été 2014, quand la production de pétrole non conventionnel a dépassé les attentes et s’est rapidement développée, compensant largement les perturbations rencontrées par d’importants pays producteurs comme l’Iran, l’Irak, la Libye et le Nigeria. Les États-Unis ont radicalement inversé leurs décennies de baisse de production et dépassé la Russie et l’Arabie saoudite pour devenir le premier producteur mondial de pétrole. Après des décennies de dépendance vis-à-vis de l’étranger, le pays devrait également devenir un exportateur net d’ici à 2020, selon les prévisions de l’Agence américaine d’information sur l’énergie (EIA). Le commerce net (les importations moins les exportations) de pétrole des États-Unis a ainsi atteint son plus bas niveau depuis 1967, indique l’EIA dans une note publiée en mars dernier. Un tel revirement de situation n’est pas sans conséquences sur la géopolitique, les États-Unis adoptant une attitude plus détachée, en particulier vis-à-vis du Moyen-Orient, à mesure que leur dépendance pétrolière envers la région se réduit.



(Pour mémoire : Inquiétudes de Riyad et Abou Dhabi sur une hausse des stocks mondiaux de pétrole)



« Nouvelle normalité »
La capacité d’adaptation rapide aux variations de prix du pétrole de schiste a, en outre, limité l’influence de l’OPEP sur le marché. Désormais, sa stratégie traditionnelle de réduction de la production pour faire monter les prix ne ferait que créer un cercle vicieux : car plus les prix du pétrole seront élevés, plus la production américaine de pétrole non conventionnel sera rentable et rapide, ce qui exercera à son tour une pression opposée sur les prix, exigeant de nouvelles réductions pour enrayer leur chute...

Consciente de l’ampleur du défi, l’OPEP a dû recourir à une nouvelle stratégie : fin 2016, elle a réuni à Vienne la plus grande alliance de l’histoire du secteur pour convenir de réductions de production coordonnées avec 10 autres pays producteurs, Russie en tête. Connue sous le nom d’« OPEP+ » cette alliance, qui dure bien plus longtemps que ce que beaucoup avaient prévu à l’origine, poursuit ses efforts pour rééquilibrer le marché à un prix supérieur au niveau qu’aurait généré un système autorégulé. Son succès reste toutefois limité : si elle est parvenue à fixer un plancher pour les prix du brut, le pétrole de schiste continue, lui, d’en déterminer le plafond. Et entre-temps, les inquiétudes au sujet d’un pic de l’offre pétrolière, qui prévalaient encore il y a à peine cinq ans, ont désormais laissé place aux débats sur un éventuel pic de la demande – qui ne devrait cependant pas se produire avant au moins deux décennies, selon la plupart des prévisions.

Tout ceci explique qu’en dépit de leur volatilité quotidienne, des tensions et troubles croissants dans les principales régions productrices de pétrole, et du risque accru de rupture d’approvisionnement de la part d’importants pays producteurs, les prix du pétrole ont évolué dans une fourchette bien définie. De toute évidence, le marché pétrolier semble avoir trouvé une « nouvelle normalité ».


Ce texte est la traduction remaniée d’un article publié en anglais et en arabe sur le site internet du Lebanese Center of Politics Studies.

Par Carole NAKHLE

PDG du cabinet de consultants Crystol Energy (Londres) et chercheuse principale au LCPS.



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Malgré la multiplication, ces derniers mois, des incidents impliquant différents tankers pétroliers autour du détroit d’Ormuz, le chaos n’a pas eu lieu sur marché mondial de l’or noir. Si dans la semaine qui a suivi les actes de sabotage impliquant plusieurs navires et pétroliers au large du port émirien de Fujaïrah, le cours du Brent a momentanément grimpé jusqu’à flirter avec...

commentaires (2)

Ça prouve que les augmentations du prix du pétrole dans le passé étaient factice. Tout a toujours été politique. Gros filous.

FRIK-A-FRAK

17 h 08, le 17 août 2019

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Commentaires (2)

  • Ça prouve que les augmentations du prix du pétrole dans le passé étaient factice. Tout a toujours été politique. Gros filous.

    FRIK-A-FRAK

    17 h 08, le 17 août 2019

  • C,EST QUE LES MARCHES SONT SUBMERGES DE PETROLE D,UN PEU PARTOUT ET LES EFFETS DU PETROLE DU GOLFE SONT DEVENUS NEGLIGEABLES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 22, le 17 août 2019

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