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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Pétrole : comment les États-Unis veulent mettre l’Iran à genoux

À partir du 4 novembre, Washington va imposer un embargo total sur les ventes de pétrole de l’Iran. Mais certains pays, surtout asiatiques, pourraient ne pas respecter les sanctions, offrant ainsi une bouée de sauvetage à Téhéran.

Le pétrolier iranien Sanchi, en flammes après sa collision le 6 janvier 2018 avec un navire de fret chinois. Photo AFP

Avec des manifestations qui secouent ses villes et une monnaie en chute libre, le régime iranien n’est pas en meilleure posture. Et les sanctions américaines qui vont entrer en vigueur après la décision du président Donald Trump de se retirer de l’accord nucléaire de 2015 risquent de faire très mal : dès le 6 août, l’embargo visera le secteur automobile, le commerce de l’or et autres métaux précieux. Et, beaucoup plus grave, la deuxième phase de l’embargo entrera en vigueur à partir du 4 novembre contre les exportations pétrolières, qui représentent plus de la moitié des exportations de l’Iran, ainsi que les transactions avec la Banque centrale iranienne.

Washington veut « réduire à zéro » les revenus de l’Iran tirés de ses ventes de pétrole brut, a averti la semaine dernière le directeur politique du département d’État, Brian Hook, précisant que des responsables américains faisaient le tour des alliés de Washington pour rallier leur soutien à ces sanctions. 

Le responsable américain a assuré que « cette nouvelle stratégie ne vise pas un changement de régime », et que les États-Unis voulaient juste soumettre Téhéran à « de sévères pressions économiques jusqu’à ce que le régime change ses politiques déstabilisatrices ». Mais malgré ces déclarations, certaines voix s’élèvent déjà à Washington pour appeler à un changement de régime en Iran, dont l’ancien maire de New York, Rudy Giuliani, aujourd’hui avocat personnel du président Trump, qui a participé à un rassemblement des Moudjahidine du peuple, bête noire de Téhéran, fin juin près de Paris.

Le président modéré Hassan Rohani a qualifié de « pure imagination » l’annonce par les États-Unis qu’ils allaient empêcher l’Iran d’exporter son pétrole, affirmant la semaine dernière, alors qu’il se trouvait en visite officielle en Suisse, qu’il était « inconcevable que le pétrole iranien ne puisse pas être exporté alors que le pétrole de la région l’est ».

Ses propos ont été interprétés en Iran comme une menace de fermeture du détroit d’Ormuz, qui contrôle le Golfe, et par où passe environ 30 % du pétrole mondial transitant par voie maritime. Et ils ont provoqué un sursaut d’unité nationale, le chef de la Force Qods (chargée des opérations extérieures) des pasdaran, le général Kassem Souleimani, affirmant dans une lettre de louanges au président qu’il lui « baisait la main ». « Rendez-vous au détroit », a même titré jeudi dernier le quotidien Javan, proche des gardiens de la révolution, avec une photo de l’officier et du président se serrant la main devant une carte du détroit d’Ormuz. Mais malgré cette rhétorique guerrière, le président Trump a fait observer dans un tweet dimanche que les provocations iraniennes contre l’US Navy dans le Golfe étaient tombées à… 0 en 2018. « Si l’Iran met sa menace à exécution, ils sera tombé dans le piège et devra affronter les États-Unis », estime l’expert pétrolier arabe Walid Khaddouri, qui écarte cette éventualité.


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La Chine ou l’Inde ?
Troisième producteur de l’OPEP, après l’Arabie saoudite et l’Irak, l’Iran exporte actuellement quelque 2,4 millions de barils par jour et les États-Unis ont annoncé qu’ils comptaient sanctionner les pays qui importeraient du pétrole iranien lors de l’entrée en vigueur des sanctions. Même si le secrétaire d’État Mike Pompeo a tenu des propos ambigus mardi à Abou Dhabi, laissant entendre que des exemptions pourraient être accordées à des pays qui en feraient la demande.

Déjà, le Japon, troisième client de l’Iran, avec environ 140 000 barils par jour, a indiqué prévoir se passer du pétrole iranien dès septembre si les États-Unis ne proposent pas d’exemptions, d’après l’agence Bloomberg. « La Chine et l’Inde sont les deux principaux importateurs de pétrole iranien, avec un total de 1,8 mbj », explique à L’Orient-Le Jour Walid Khaddouri. C’est pourquoi la décision de ces deux pays sera cruciale. Pékin, en pleine guerre commerciale avec les États-Unis, n’a pas encore fait savoir sa position, mais un responsable chinois a critiqué les menaces iraniennes contre le détroit d’Ormuz. Quant à l’Inde, elle alterne le chaud et le froid : son ministre du Pétrole et du Gaz naturel, Dharmendra Pradhan, a affirmé cette semaine que son pays allait « donner la priorité à l’intérêt national et faire en sorte que les demandes du pays en énergie soient assurées ».

Sa déclaration est intervenue après une violente diatribe du Tehran Times, qui a accusé l’Inde de revenir sur une promesse initiale du ministre des Affaires extérieures, Sushma Swaraj, qui avait affirmé il y a quelques semaines que l’Inde ne reconnaîtrait que des sanctions imposées par l’ONU. « Si l’Inde décide de ne pas respecter les sanctions, les transactions pourraient ne pas se faire en dollars mais en roupies, ou alors les deux pays pourraient faire du troc », un procédé auquel Téhéran a déjà eu recours lors des sanctions précédentes, qui étaient moins draconiennes, indique M. Khaddouri.

À noter cependant qu’une délégation d’experts américains est attendue en Inde le 16 juillet pour évoquer les sanctions, et pourrait agiter la menace de répercussions sur les intérêts américains dans le pays, qui abrite notamment d’importantes usines US. L’Europe pour sa part n’importe que quelque 450 000 barils par jour. « Si elle arrête d’acheter du brut iranien, cela affectera beaucoup moins Téhéran », estime l’expert pétrolier. 

À l’issue de leur réunion le 6 juillet à Vienne, les cinq puissances restant parties à l’accord sur le nucléaire iranien (Allemagne, Chine, France, Royaume-Uni et Russie) ont affirmé leur volonté de permettre à l’Iran de « continuer » à exporter son pétrole et son gaz. Leur déclaration est cependant vague et ne précise pas par quels moyens le faire. « Ils disent qu’ils laisseront le choix aux compagnies » de continuer à commercer avec l’Iran, alors que la perspective de sanctions américaines a commencé à faire fuir d’Iran les firmes occidentales, souligne M. Khaddouri. À commencer par le numéro trois mondial du transport maritime par conteneurs CMA CGM qui a annoncé samedi qu’il cesserait ses activités en Iran, emboîtant le pas à l’armateur danois de navires pétroliers Maersk Tankers. Quand à Total, il a dû également abandonner l’Iran, moins d’un an après avoir signé un contrat avec Téhéran pour développer le champ gazier offshore South Pars 11.


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Riyad et Moscou sur la brèche
Du côté des producteurs, on se prépare déjà à combler l’absence de l’Iran sur les marchés pour éviter une flambée des prix, même si Téhéran a demandé la semaine dernière à ses partenaires de l’OPEP de « s’abstenir de toute mesure unilatérale » susceptible d’accroître leur production. « Toute augmentation de production par un pays membre au-delà des engagements stipulés dans les décisions de l’OPEP constituerait une violation de cet accord », écrivait dans cette lettre le ministre iranien du Pétrole Bijan Zanganeh dans cette lettre au président en exercice de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’Émirati Souhaïl al-Mazrouei.

Mais l’Arabie saoudite, premier producteur de l’OPEP, a fait la sourde oreille et a déjà augmenté sa production. Pas autant cependant que le désire le président américain : Donald Trump avait affirmé dans un tweet le 30 juin, après une conversation avec le roi Salmane d’Arabie saoudite, que ce dernier lui avait promis d’augmenter la production de « peut-être 2 millions de barils par jour ». Dans un communiqué soigneusement dosé publié le 3 juillet, le Conseil des ministres saoudien a exprimé « la disposition du royaume à utiliser au besoin sa capacité de production pour préserver l’équilibre et la stabilité du marché (…) pour faire face à tous développements futurs dans l’offre et le demande, et ce en concertation avec les autres pays producteurs ». Le royaume, premier exportateur mondial, a ainsi fait comprendre que sa capacité de production disponible était de deux millions de barils par jour mais qu’il préférait ne pas produire à pleine capacité, ce qui le rendrait vulnérable en cas d’autres perturbations de l’offre mondiale. « Les Saoudiens produisent aujourd’hui 10,8 mbj, ce qui est un record », précise M. Khaddouri.

Autre allié des États-Unis, les Émirats arabes unis ont également annoncé que leur production allait passer de 3,3 mbj à 3,5 mbj et la compagnie étatique Adnoc a indiqué que le pays pourrait augmenter sa capacité de « centaines de milliers de barils par jour » pour compenser d’éventuelles pénuries.

À noter que les deux pays ne s’inquiètent pas outre mesure dans le cas d’un scénario catastrophe de fermeture du détroit d’Ormuz : l’Arabie saoudite a une capacité d’exportation de 5 mbj depuis la mer Rouge, selon l’expert, et les Émirats exportent désormais 1,5 mbj à travers un oléoduc qu’ils ont construit à Foujeirah, sur la mer d’Oman. Quant à la Russie, premier producteur mondial et qui ne fait pas partie du cartel, elle a également commencé à accroître sa production, qui est montée à 11 mbj, en vertu d’un accord conclu avec les membres de l’OPEP visant à augmenter d’un million de barils par jour la production globale, en prévision de l’absence de l’Iran.

Le précédent irakien
Dans ce contexte, le vice-président iranien Eshaq Jahangiri a reconnu mardi que les sanctions américaines allaient faire mal. « L’Amérique tente de réduire les ventes de pétrole iraniennes, notre source vitale de revenus, à zéro », a-t-il déclaré, cité par l’agence Fars. « Ce serait une erreur de croire que la guerre économique américaine contre l’Iran n’aura pas d’impact. »« Les sanctions peuvent être une arme efficace », surtout que l’économie iranienne est déjà chancelante, estime Walid Khaddouri. Le rial a déjà perdu près de 50 % de sa valeur face au dollar en six mois, et sa plongée devrait se poursuivre avec l’entrée en vigueur des sanctions. Dans le même temps, les manifestations se multiplient, les commerçants du grand bazar de Téhéran observant même une rare grève le mois dernier, et secouent surtout la région du Khouzistan dans le sud, à majorité arabe, où la population proteste contre les pénuries d’eau. Mais l’embargo peut difficilement provoquer la chute du régime, surtout, souligne l’expert pétrolier, que le pouvoir « a déjà l’expérience des sanctions et peut faire fonctionner le pays », comme il s’y connait aussi en « contrebande ».

Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a d’ailleurs affirmé que les États-Unis visaient avec les sanctions à retourner les Iraniens contre leur gouvernement, mais qu’ils n’y arriveraient pas. « Ils veulent imposer une pression économique pour séparer la nation du système (…) mais six présidents américains avant lui (Trump) ont essayé cela et ont abandonné », a-t-il dit. Et des sanctions encore plus draconiennes, imposées au voisin irakien à partir de 1990, n’avaient pas abouti à la chute du régime : il avait fallu attendre une intervention américaine en 2003 pour voir tomber Saddam Hussein, après treize ans d’un embargo dont le peuple irakien, et non ses dirigeants, avait payé le prix.




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commentaires (5)

Les EU font ce que Israel leur dit de faire , n'oubliez pas que les EU sont gouvernés par les sionistes et Trump est un pion

Eleni Caridopoulou

18 h 20, le 12 juillet 2018

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Commentaires (5)

  • Les EU font ce que Israel leur dit de faire , n'oubliez pas que les EU sont gouvernés par les sionistes et Trump est un pion

    Eleni Caridopoulou

    18 h 20, le 12 juillet 2018

  • Les américains et leurs amis israéliens par tous les moyens n'ont pas réussi à faire fléchir la nation iranienne. Quoi de mieux que des sanctions encore plus dures pour espérer retourner le peuple iranien contre le pouvoir. Mais pas besoin de lire dans le futur pour savoir que comme depuis 1979, ça ne servira à rien.

    Zorkot Mohamed

    15 h 54, le 12 juillet 2018

  • Et ce sera le peuple Iranien qui y gagnera !

    Remy Martin

    13 h 51, le 12 juillet 2018

  • Ce qui ne se dit pas c'est que les sanctions cette fois sont x 10 plus draconienne qu'avant... Je vois mal l'Iran s'en sortir même avec la contrebande. Qui dit contrebande dit prix très élevés! De plus, si l'actuel régime pense que le peuple ne demandera son changement, il se trompe... Il le fait déjà depuis plus d'un an lorsqu'ils descendent dans la rue... Le Chah dans toute sa splendeur a chuté, ils tomberont aussi dans l’intérêt du pays et des Iraniens.

    Pierre Hadjigeorgiou

    10 h 28, le 12 juillet 2018

  • ILS VONT TOUS DE FACTO ETRE OBLIGES DE SUIVRE ET DE RESPECTER LES SANCTIONS DE BON GRE SINON DE MAL GRE. TRES RARES SERONT LES INFRACTIONS ET MAIGRES LEURS PRODUITS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 58, le 12 juillet 2018

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