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Liban - Droits de l’homme

À Ehden, un appel à défendre la liberté d’expression et à lutter par la culture

Oui à la liberté et au respect de l’autre et de ses valeurs, non aux organismes privés de censure et aux procès populaires, affirme l’ancien ministre de la Culture, Rony Araygi.


Les participants à la conférence à Ehden.

Une conférence sur le rôle de la culture dans la reconstruction des sociétés post-guerre a été organisée samedi après-midi à Ehden. Modérée par Georges Dahdah, directeur du comité culturel au sein de la municipalité de Zghorta-Ehden, la conférence a eu lieu au couvent Saints-Sarkis-et-Bakhos de la localité à l’initiative de l’association Pierre Farchakh. Cette ONG porte le nom d’un jeune et talentueux peintre originaire de Zghorta tué durant la guerre civile. Paulette Farchakh, présidente de l’ONG, a remercié les quatre intervenants et le modérateur avant de préciser que cette conférence portant sur le rapport entre la culture et la lutte contre la violence coïncide avec l’anniversaire de son frère Pierre, victime de l’atrocité de la guerre, qui aurait eu 63 ans et qui aurait été heureux d’assister à cet événement du fait de son engagement en faveur de la culture et de la démocratisation. Sont intervenus, au cours de cette causerie à plusieurs voix, l’ancien ministre de la Culture Rony Araygi, Luciano Rispoli, directeur adjoint de l’Institut français, Jabbour Douaihy, romancier et ancien professeur de lettres à l’Université libanaise, et Nemr Freiha, ancien président du Centre pédagogique pour la recherche et le développement.


Pas de culture sans liberté…
Dans une vieille église qui ressemblerait plus à une cave qu’à autre chose, devant l’autel et entourés de part et d’autre d’icônes et de croix, les intervenants ont lancé un appel unanime en faveur de la liberté d’expression, seule garante de la diversité et de la démocratie. L’ancien ministre Rony Araygi, connu pour avoir lutté contre toutes les formes de censure durant son mandat, a remercié le directeur du couvent, le père Ibrahim Bou Rajel, d’avoir fait de ce lieu sacré un oasis de dialogue, de liberté et de tolérance envers l’autre. « La liberté et le respect de l’autre sont l’essence même de notre religion et nous tenons à ce qu’elle préserve ces valeurs », a déclaré M. Araygi.

Abondant dans le même sens, Luciano Rispoli, directeur adjoint de l’Institut français au Liban, a salué de son côté le corps judiciaire libanais qui n’a pas trouvé de base légale pour condamner le groupe Mashrou’ Leila. Sur ce plan, M. Araygi a mis en garde contre les tentatives d’instaurer des organismes privés de censure et des procès populaires. « Il existe dans ce pays des juridictions de droit commun auxquelles les personnes qui se considèrent lésées dans leurs droits peuvent recourir et dont les décisions doivent être respectées », a souligné M. Araygi.


Devoir de mémoire
Si les intervenants ont évoqué à plusieurs reprises l’affaire Mashrou’ Leila, c’est parce qu’ils sont convaincus qu’il ne peut y avoir de culture sans liberté et que la liberté d’expression en particulier constitue la pierre angulaire de toute démocratie. Pour M. Araygi, seule la culture est en mesure de remédier à la violence, à l’obscurantisme et, par conséquent, aux guerres civiles. « Un devoir de mémoire est incontournable pour aboutir à une vraie réconciliation », a-t-il affirmé avant de poursuivre : « Il faut commencer par clore le dossier des disparus de la guerre libanaise, entre autres, pour ensuite poser un regard objectif, scientifique et académique sur les événements de la guerre afin de tirer les leçons, loin du folklore qui accompagne généralement tout discours sur le vivre-ensemble. »

Le romancier Jabbour Douaihy a souligné de son côté que pratiquement toute son œuvre aborde, d’une façon ou d’une autre, le thème de la violence. Son roman intitulé Pluie de Juin est celui qui a remporté le plus de succès et qui a suscité, parallèlement, bon nombre de polémiques, notamment au sein de son village natal. Dans ce roman, Jabbour Douaihy repeint de manière fictionnelle les événements de 1957-1958 au cours desquels un massacre fut perpétré dans une petite église à Miziara, au nord du Liban. « Pourquoi l’ai-je écrit ? » se demande l’écrivain qui s’empresse de répondre : « Il fallait que quelqu’un le fasse. Je l’ai fait. »

M. Douaihy assure que tous les personnages de son roman existent réellement ou existaient du moins dans un passé qui n’est pas très lointain. « À quoi cela peut bien servir ? » se demande-t-il encore. Sa réponse est simple : « Cela m’a servi à moi-même, pour m’en débarrasser, pour finir avec ces histoires. Cela a peut-être un effet cathartique. » Quant aux lecteurs, l’écrivain estime que son roman peut susciter chez eux un intérêt individuel ou pas. « Aucun devoir de mémoire n’a eu lieu dans ce pays, à part un ou deux zaïms qui se sont excusés d’avoir pris part à la guerre civile, rien n’a été fait », déplore-t-il.

Pour remédier à ces lacunes, M. Araygi insiste sur la nécessité de soutenir le ministère de la Culture dont le budget ne constitue que 0,1 % de l’ensemble du budget de l’État. « L’argent public doit impérativement soutenir l’expression culturelle », a lancé de son côté M. Rispoli, avant d’enchaîner : « Il va sans dire que le Liban n’est pas un pays de production industrielle, mais en matière de production culturelle, ce pays fait preuve d’abondance. Et pourtant, l’État libanais n’a jusqu’à présent pas accompagné ni soutenu les industries culturelles et créatives. »


La culture face à la violence
Pour M. Rispoli, la culture est le seul moyen accessible à tous pour lutter contre la peur des autres, contre les différends mais également contre l’indifférence. « Il serait plus adéquat de parler de cultures au pluriel puisque mon pays lutte pour la diversité, la liberté d’expression et le respect de la loi », a-t-il précisé avant de conclure : « Au lendemain des attentats terroristes du 13 novembre 2015, Fleur Pellerin, alors ministre française de la Culture, considérait que la culture est une arme de destruction massive face à l’obscurantisme. »

Selon M. Douaihy, « on assiste à un moment de recul inouï au Liban ». Nemr Freiha n’a pas montré de son côté un plus grand optimisme. « La première tâche qu’un État devrait se livrer à la suite d’une guerre civile, c’est de remettre en question ses programmes scolaires ; si ces programmes étaient suffisamment convenables, une guerre n’aurait pas éclaté », explique M. Freiha. Lors de son intervention, il est revenu sur son expérience au CPRD pour déplorer l’absence de matière ou de formation qui apprendrait aux élèves libanais la résolution des conflits, le dialogue et la communication non violente ainsi que l’instauration de la paix.

« Dans certains établissements scolaires au Liban, au lieu de chanter l’hymne national avant le début des cours, certains élèves sont amenés à réciter une prière pour le Mahdi. Quelles générations sommes-nous en train de former ? » a relevé M. Freiha. Conformément à l’accord de Taëf, l’État libanais est censé unifier le livre scolaire d’histoire. Selon M. Freiha, le CPRD a élaboré au cours de son mandat un livre d’histoire pour chaque niveau scolaire. « À l’arrivée de l’ancien ministre Abdel Rahim Mrad à la tête du ministère de la Culture, il a interdit l’usage de ces livres scolaires et l’emploi, entre autres, de l’expression “Le Liban est un État indépendant” », raconte M. Freiha. Toujours selon lui, environ 19 livres d’histoire différents sont adoptés dans les divers établissements scolaires au Liban. Et M. Freiha de conclure : « Nous élevons une génération de guerre. Nous sommes en train de concocter ainsi une nouvelle guerre civile. »



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commentaires (2)

19 livres d'histoire différents dans les divers établissements scolaires au Liban. Un pays qui fête bientôt son premiercentenaire ...il faudrait déjà avoir un récit national commun pour avoir un vrai projet politique à long terme...

Bahjat RIZK

15 h 15, le 06 août 2019

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Commentaires (2)

  • 19 livres d'histoire différents dans les divers établissements scolaires au Liban. Un pays qui fête bientôt son premiercentenaire ...il faudrait déjà avoir un récit national commun pour avoir un vrai projet politique à long terme...

    Bahjat RIZK

    15 h 15, le 06 août 2019

  • Excellente initiative qui regroupe des interlocuteurs responsables ,expérimentés et rationnels. Un ancien excellent ministre de la culture,un écrivain de premier plan,un ancien brillant directeur du CPRD(livre d'histoire, ),un dynamique représentant de l'institut français,une association active de la société civile et un Supérieur d 'un couvent maronite qui les reçoit dans le cadre apaisé du dialogue vrai et du débat d'idées... Le constat est pessimiste mais les compétences sont disponibles et ne manquent pas. Si le président veut former une commission pour approfondir le sujet il sait où se trouvent les hommes courageux,intègres et de bonne volonté....

    Bahjat RIZK

    12 h 07, le 06 août 2019

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