Rechercher
Rechercher

Culture - Littérature

Se plonger dans les yeux de Mansour, « sans peur de se noyer »

Ryad Girod, écrivain franco-algérien, publie son troisième roman. Une ode hallucinée et envoûtante à l’âge d’or du monde arabo-musulman.

L’écrivain franco-algérien Ryad Girod signe son troisième opus, une quête libre, passionnée et sans fin de connaissances. Photo DR

Un souffle. Mais pas n’importe quel souffle. Un souffle chargé du sable, de la chaleur, parfois suffocante, et de l’histoire millénaire du désert. Celui du Najd, en Arabie saoudite. Ce souffle, né de la plume de Ryad Girod, prend le lecteur dès les premières pages de son dernier roman, Les yeux de Mansour. Il le prend, le caresse, le malmène, l’assomme, l’élève, pour le laisser, la dernière page tournée, dans un état étrange, extatique et un peu sonné.

À Riyad, capitale saoudienne, Mansour est sur le point d’être décapité sur al-Safa Square. Le narrateur est le témoin impuissant de l’exécution de son ami, « idiot magnifique qui roule dans le désert en Chevrolet Camaro rouge, descendant de l’émir algérien Abdelkader ».

Le roman de Ryad Girod, auteur franco-algérien de la génération littéraire des Kamel Daoud, est le récit de ce qui a mené à l’exécution publique de Mansour. Mais au-delà des faits, Les yeux de Mansour voient tellement plus loin, dans l’espace et le temps.

À travers l’histoire et les yeux de cet « idiot magnifique », Syrien exilé en Arabie saoudite, Ryad Girod, professeur de mathématiques à Alger, offre un récit subtil, halluciné et d’une belle puissance poétique, comme une ode à ce que fut le monde arabo-musulman, une lamentation sur ce qu’il est devenu, et une espérance, fragile, quant à ce qu’il pourrait être.

Car les hordes noires sont passées par là. Celles qui, de Palmyre à Damas en passant par Médine, ont « brûlé tout ce que l’esprit arabe avait pu sertir comme bijoux de connaissance ». Des « hordes sauvages » qui, aussi, « cavaleront dans de luxueux 4x4 et sillonneront des déserts stériles pour raser des villes entières et en ériger de nouvelles, parées de buildings étincelants et de parcs verdoyants et de lacs improbables... mais qui seront, en réalité, de nouveaux déserts stériles… de vulgaires mirages ».

« Je suis Lui »
« Gassouh ! Gassouh ! Coupez-le ! Coupez-le » Sur al-Safa Square, Mansour est donc sur le point d’être exécuté devant une foule brandissant haut les téléphones portables. Exécuté pour avoir osé dire l’indicible : « Je suis Lui. » « Comme si rien de grand ne pouvait plus, ou même ne devait plus, provenir d’un autre Arabe. Hormis le Prophète, tous les autres devaient rester à l’état de Bédouins vicieux, rustres, sans culture et sans grandeur. »

À travers un récit qui s’étire jusqu’au désert, dans un tourbillon dont l’œil se trouverait sur cette place al-Safa, Ryad Girod distille justement, comme une réponse au drame qui se déroule sous les yeux du narrateur et ami de Mansour, ce que fut la richesse de la grande civilisation arabo-musulmane. Mansour n’est-il pas lui-même l’arrière-arrière-petit-fils de l’émir Abdelkader, enterré à Damas près du maître ibn Arabi, grande figure du soufisme, du XIIe siècle ? Une pensée soufie au cœur de ce roman, dont l’auteur convoque les grands représentants, mais aussi et parmi tant d’autres, ibn Sina, Descartes, Khawarizmi, Omar Khayyam ou encore Plotin, à la terrasse du Starbucks de Riyad.

Au gré des circonvolutions, de cette danse qui n’est pas sans rappeler celle des derviches tourneurs, de ce tourbillon de connaissance et de sagesse, de poètes, philosophes et scientifiques, le narrateur se souvient de ses années d’étudiant, au lycée français de Damas, quand « innocents et tout excités de découvrir les puissances de nos esprits, les plaisirs du raisonnement, nous nous lancions sans retenue sur les vastes mers de l’algèbre de la géométrie de la physique et de l’astronomie, sans retenue et sans craindre de nous noyer en tentant de résoudre des équations bien trop complexes pour nos âges ou de nous perdre en tentant d’imaginer les amas galactiques qui dansaient dans l’infini de l’univers… ».

Une quête libre, passionnée et sans fin de connaissances, voilà le cœur de ce roman. La clé de cette quête étant, avant tout, le désir, l’audace de savoir, d’apprendre, sans cesse.

Plongez dans ce roman, « sans retenue et sans craindre de vous noyer », car vous ne risquez que d’en ressortir enrichi. Un peu changé, peut-être aussi.


« Les yeux de Mansour », P.O.L. éditeur (2019), par Ryad Girod.



Pour mémoire

Fureurs et tremblements


Un souffle. Mais pas n’importe quel souffle. Un souffle chargé du sable, de la chaleur, parfois suffocante, et de l’histoire millénaire du désert. Celui du Najd, en Arabie saoudite. Ce souffle, né de la plume de Ryad Girod, prend le lecteur dès les premières pages de son dernier roman, Les yeux de Mansour. Il le prend, le caresse, le malmène, l’assomme, l’élève, pour le laisser,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut