Rechercher
Rechercher

Culture - Livre

La femme qui pleure racontée par son carnet d’adresses

Un jour, la journaliste Brigitte Benkemoun tombe par hasard sur un carnet téléphonique répertoriant les numéros et adresses des plus grands noms du surréalisme. Qui pouvait bien fréquenter tous ces génies ? Intriguée, elle mène l’enquête. Et tombe sur Dora Maar.

« Je suis le carnet de Dora Maar », Brigitte Benkemoun.

Tout est parti d’un extraordinaire hasard. Une parfaite illustration de l’aphorisme de Picasso : « Je trouve d’abord, je cherche après. »

Lorsque Brigitte Benkemoun réceptionne le colis envoyé par eBay, elle est loin de se douter que l’étui d’agenda en cuir vintage commandé par son mari, en remplacement de celui qu’il a perdu, va l’emmener sur les traces de celle qui est restée pour la postérité La Femme qui pleure de Picasso.

Oublié dans une poche intérieure du vieil étui bordeaux, se trouve un tout petit répertoire téléphonique daté de 1951, où sont consignés les numéros des plus célèbres artistes du XXe siècle. Une sorte d’annuaire des plus grands noms du surréalisme. D’Aragon au A, à Ponge et Poulenc au P, en passant par Breton, Brassaï et Braque au B, Cocteau et Chagall au C, mais aussi Éluard, Giacometti, Lacan, Marie-Laure de Noailles, Nicolas de Staël…

Qui pouvait bien être le ou la propriétaire de cet éblouissant carnet d’adresses ? Brigitte Benkemoun est intriguée. Après avoir vainement tenté d’obtenir des renseignements du côté des vendeurs, elle va mener l’enquête toute seule. D’autant qu’un premier faisceau d’indices lui apporte la quasi-certitude qu’il s’agit d’une femme (le répertoire inclus des numéros de coiffeurs, fourreurs et instituts de beauté), peintre (une adresse de rentoileur), psychanalysée par Lacan et possédant une maison à Ménerbes, un village du Lubéron (à la lettre A, elle avait noté « Architecte Ménerbes » ).

Sa curiosité ainsi encore plus aiguisée, la journaliste et écrivaine va se consacrer à la recherche de cette mystérieuse inconnue, en se plongeant autant dans Google que dans un bottin de l’année 1952 acheté chez un bouquiniste pour y croiser les noms et les adresses du répertoire avec les informations relatives à chacun des artistes listés. En comparant leur point de jonction, elle arrive à la déduction que la propriétaire de ce carnet n’est autre que Théodora Markovitch, alias Dora Maar, légendaire artiste, muse et compagne malheureuse de Pablo Picasso. Une intuition qui lui sera confirmée par le galeriste Marcel Fleiss, qui a organisé en 1990 la toute dernière exposition de cette photographe et peintre surréaliste.



« Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirais qui tu es »
À partir de cette « pièce à conviction » désormais authentifiée, l’auteure décide de s’atteler à une sorte de portrait biographique de Dora Maar. Sur la base du « Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirais qui tu es », et à la manière d’une détective, Brigitte Benkemoun va « faire parler ce répertoire ». En débusquant dans les biographies de chacun des artistes y figurant leurs liens et connexions avec cette passionnante et mystérieuse figure du surréalisme.

« Je voulais savoir pourquoi ils étaient dans ce carnet, ce qu’ils ont représenté dans sa vie et ce qu’ils ont vécu ensemble », écrit-elle pour expliquer son ambitieuse entreprise.

Ambitieuse, car Brigitte Benkemoun s’attaque à une figure qui a déjà fait l’objet de plus d’une biographie. Et l’on pourrait s’interroger sur ce qu’elle apporte de nouveau dans Je suis le carnet de Dora Maar (Stock).



« Ne fais pas ta mijaurée, chérie »
En fait, la nouveauté réside dans le mode de lecture qu’elle propose dans cet ouvrage : chaque chapitre est consacré à un nom, le plus souvent célèbre. Et dont le portrait se profile, en filigrane, derrière la description de sa relation avec Dora Maar. Au fil des pages se dessinent ainsi les personnalités d’une pléiade d’artistes d’avant-garde et de grands esprits. On y découvre, entre autres, l’égoïsme aimable de Cocteau, l’affection d’Éluard, la délicatesse de Brassaï, l’esprit facétieux de Simone de Beauvoir, le pragmatisme de Lacan (« Il n’y avait pas le choix, c’était Dieu ou la camisole », répond-il à ceux qui l’accusent de l’avoir poussée vers le mysticisme)… Ou encore la férocité mondaine de Marie-Laure de Noailles, laquelle lui assénera publiquement un jour : « Ne fais pas ta mijaurée, chérie. Chacun sait que quand Picasso chiait tu gardais le papier toilette ! » Ce dernier dont le numéro, bien sûr, n’est pas dans le carnet, est d’ailleurs largement omniprésent, dans ce livre, construit surtout autour d’une période précise de la vie de Dora Maar, celle de l’après-rupture. Six ans après le choc et l’internement, quand elle tente encore de se relever, de retrouver ses amis, ses mondanités et un semblant de vie d’avant. Une période charnière durant laquelle s’accomplira la transformation de cette artiste photographe belle, brillante, audacieuse, militante gauchiste et antifasciste, en peintre sans succès, solitaire, bigote d’extrême droite et, aux penchants antisémites marqués, selon Brigitte Benkémoun. L’auteure, dont les sentiments envers son héroïne oscillent entre compassion et rejet, signe au final une passionnante biographie éclatée « cubiste » (dixit son éditeur) d’un destin de femme brisé… par Picasso.


« Je suis le carnet de Dora Maar » (Stock, 332 pages). Disponible en librairie.

Tout est parti d’un extraordinaire hasard. Une parfaite illustration de l’aphorisme de Picasso : « Je trouve d’abord, je cherche après. » Lorsque Brigitte Benkemoun réceptionne le colis envoyé par eBay, elle est loin de se douter que l’étui d’agenda en cuir vintage commandé par son mari, en remplacement de celui qu’il a perdu, va l’emmener sur les...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut