Rechercher
Rechercher

Liban - Rencontre

Béchara Hasrouti, cet ex-militaire invalide qui avait rampé jusqu’au Parlement pour crier sa colère

« Pour moi, l’armée est plus importante que tout. Au sein de la troupe, on ne sait pas qui est musulman, druze ou chrétien », confie l’ancien sergent-chef à « L’Orient-Le Jour ».

Béchara Hasrouti et son épouse Najibé. Photo Z.A.

Il a fait la une des médias la semaine dernière, lors des manifestations des anciens militaires à Beyrouth. L’ex-sergent-chef Béchara Hasrouti a été propulsé sur le devant de la scène après avoir quasiment rampé vers le Parlement, lui qui a perdu ses deux jambes en 1990, lors de la bataille qui a opposé l’armée aux Forces libanaises. La Chambre était alors en réunion plénière pour examiner le budget 2019, qui fut voté le 19 juillet. L’Orient-Le Jour est allé à sa rencontre. « J’ai 59 ans et je suis à la retraite depuis 2002. Au vu de ma situation, s’ils enlèvent mille livres de ma retraite, ça m’affecte. À chaque fois que le comité des anciens militaires appelait à une manifestation, je descendais jusqu’à Beyrouth, quitte à y aller en taxi », confie à L’Orient-Le Jour M. Hasrouti, aujourd’hui retiré à Nahr Ibrahim (Jbeil). La loi de finances prévoit notamment une ponction mensuelle de 1,5 % sur les pensions de retraite des anciens militaires qui servira à financer leur couverture maladie. Le gouvernement prévoyait initialement une ponction de 3 %, mais les députés ont abaissé cette ponction face à la mobilisation des anciens militaires. Aujourd’hui, les militaires retraités sont à la recherche de dix députés pour saisir le Conseil constitutionnel afin de faire invalider pour inconstitutionnalité la loi de finances.

Jeudi dernier, cet ancien sergent-chef a forcé les mesures sécuritaires, non loin du Parlement. Il s’est faufilé entre les forces de l’ordre, sans chaise roulante, en se servant de ses bras et de ce qui reste de ses jambes. La vidéo de son périple vers la place de l’Étoile a été largement diffusée sur les réseaux sociaux. M. Hasrouti a finalement été reçu par le ministre de la Défense, Élias Bou Saab, sur les marches du Parlement.

« Le ministre m’a promis que les handicapés et les familles des martyrs ne seront pas touchés par les dispositions du budget. Mais je ne vais pas laisser tomber mes camarades. Huit d’entre eux m’ont donné du sang quand j’ai été blessé... Nous comptons présenter un recours en invalidation devant le Conseil constitutionnel », souligne-t-il.

C’est en 1984 que Béchara Hasrouti rejoint les commandos de l’armée pour échapper à « des partis » qu’il refuse de nommer et qui voulaient, selon lui, l’enrôler de force dans leurs rangs. Il trouvera son compte dans l’institution militaire et finira par y rester pendant 18 ans malgré son invalidité. « J’étais commerçant à Jeïta. On a voulu m’enrôler à 24 ans et je ne voulais pas me battre pour un parti politique. Ils sont venus me voir un vendredi pour m’emmener, je leur ai alors demandé de revenir lundi. Juste après leur départ, je suis allé présenter ma candidature pour intégrer les commandos de l’armée et j’ai été accepté. Quand ils sont revenus, je leur ai alors montré ma permission de soldat », raconte-t-il.


(Lire aussi : Les militaires retraités à la recherche de dix députés pour saisir le CC)


Grève de la faim
« Je n’aime pas les partis politiques. Pour moi, l’armée est plus importante que tout. Dans l’armée, on ne sait pas qui est musulman, druze ou chrétien. J’ai passé des années au sein de l’institution militaire sans jamais savoir à quelles confessions appartenaient mes camarades », souligne l’ancien sergent-chef. La semaine dernière, il a fait la grève de la faim pendant quatre jours dans la tente plantée par les ex-militaires place des Martyrs afin de protester contre les coupures prévues dans leurs retraites. « Je suis même resté sans dormir pendant tout ce temps », confie-t-il.

L’accident qui lui a coûté ses jambes a été un moment la charnière de sa vie. « J’ai perdu mes jambes après avoir été blessé par trois obus tirés en ma direction par un char. Ma fiancée de l’époque m’a alors quitté », raconte-t-il.

Originaire de Wadi Deir Dourit (Chouf), Béchara Hasrouti est père de quatre enfants, deux filles et deux garçons. Il a perdu un de ses fils, également militaire et mobilisé à Ersal en 2017, dans un accident de la route. Sa fille aînée a rejoint l’armée il y a un an et sa cadette s’apprête à faire de même.


(Lire aussi : Après quatre jours d’échauffourées, résultat en demi-teinte pour les militaires à la retraite)


« Je n’avais pas peur »
« J’ai travaillé dans les commandos de l’armée aux côtés du général Chamel Roukoz (actuellement député du Kesrouan et gendre du président de la République, Michel Aoun). Je suis de la même promotion que le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun », raconte l’ancien militaire.

« On a pris part à de nombreuses batailles. Quand Élie Hobeika (ancien membre des FL puis ministre de l’Énergie après la guerre) a essayé de prendre Achrafieh (en 1986, lors de combats avec les Forces libanaises), on était dans une session de formation à Jounieh avec la marine. On a tout laissé tomber pour aller nous battre. J’aimais les batailles, je n’avais pas peur. Même après ma blessure, j’ai continué à travailler comme si de rien n’était », confie-t-il.

Commentant les mesures sécuritaires drastiques lors des manifestations des anciens militaires, l’ancien sergent-chef lance : « On n’allait pas agresser les soldats en service, il s’agit de nos enfants. » « S’ils avaient envoyé à Ersal le quart des soldats qu’ils ont amassés à Beyrouth pour se protéger lors de nos manifestations, on aurait pu ramener les militaires kidnappés en vingt-quatre heures (en 2014, plusieurs militaires avaient été kidnappés par les groupes jihadistes syriens dans le jurd de Ersal) », estime Béchara Hasrouti.

« Qu’ils donnent des armes à l’armée libanaise. Elle a tout le courage qu’il faut pour se battre en cas de besoin. Les soldats n’ont pas peur. Donnez-leur des armes et ne coupez pas leur budget. Ils ont démontré à Ersal et Nahr el-Bared (en 2007) qu’ils sont forts. Aux militaires en exercice, je conseille de ne pas avoir peur et de continuer à faire ce qu’ils font », lance-t-il.

Depuis qu’il est passé à la télévision, Béchara Hasrouti croule sous les sollicitations. L’armée a prévu de lui rendre hommage à la fin du mois à Fayadiyé. Il est également attendu en août au Centre culturel Maarouf Saad à Saïda puis à Bejjé (Jbeil) pour d’autres cérémonies en hommage à sa carrière militaire.

Un général de l’armée lui a même proposé dernièrement de lui offrir de nouvelles prothèses... « J’ai refusé. Je me débrouille bien avec mes bras. Et puis, il y a beaucoup de familles qui ont perdu un père soldat. Je préfère que cette aide soit versée à leurs orphelins », souligne-t-il.

Lire aussi
Les principales dispositions de la loi de finances de 2019

Il a fait la une des médias la semaine dernière, lors des manifestations des anciens militaires à Beyrouth. L’ex-sergent-chef Béchara Hasrouti a été propulsé sur le devant de la scène après avoir quasiment rampé vers le Parlement, lui qui a perdu ses deux jambes en 1990, lors de la bataille qui a opposé l’armée aux Forces libanaises. La Chambre était alors en réunion plénière...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut