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Nos Lecteurs ont la Parole - par Antoine COURBAN

Fabuleuse transsubstantiation

Samedi soir, 20 juillet, sous les arcades du palais de Beiteddine, on ne savait plus qui était qui.

Gérard Depardieu a chanté, pardon « il était ; il fut ; il est » Barbara, le grand et frêle oiseau noir.

Je suis allé au spectacle sceptique, me disant : « Va-t-il pouvoir chanter ? » Je pensais qu’il allait dire les paroles de Barbara, ou entonner leur cantillation avec son talent d’acteur de génie.

Nous le vîmes entrer sur scène, dans ses habits noirs et sa grande obésité de septuagénaire.

Et puis, soudain, par magie ou presque, la transsubstantiation eut lieu. Oui, transsubstantiation, et non métamorphose ou illusion théâtrale.

L’homme sur scène, lourd, pesant, avait la légèreté aérienne d’un ballon dirigeable. Ses mains se baladaient en l’air avec la grâce d’une ballerine. Sa voix scandait les mots d’une poésie exquise et bouleversante, en traînant volontairement les syllabes comme le faisait Barbara.

Non, il n’imitait pas Barbara comme Thierry Le Luron pouvait imiter Dalida, Line Renaud ou Alice Sapritch.

Non, il ne répétait pas en un écho d’outre-tombe les inflexions de la voix de Barbara.

Sur scène, il y avait Depardieu. On voyait, à travers le brouillard qui montait de la vallée, la silhouette plus qu’enveloppée de Depardieu vieillissant.

On entendait, dans la nuit étoilée, la voix de celui qui fut un magistral Marin Marais, disciple de monsieur de Sainte-Colombe ; de celui qui sut le mieux incarner Cyrano de Bergerac.

Depardieu était Depardieu, et pourtant c’était Barbara en personne.

Depardieu avait la voix de Depardieu, mais cette voix était celle de Barbara.

Depardieu jouait Depardieu, et pourtant il était Barbara, il ne jouait pas Barbara.

Depardieu étala tous les talents du génie théâtral de Depardieu, et pourtant il n’y avait place que pour Barbara.

Les formes enveloppées de Depardieu exprimaient Depardieu. Et pourtant, elles avaient la légèreté délicate et exquise de la grande dame de la chanson, Barbara.

La silhouette de Depardieu était là, à portée de main ; mais cette silhouette était devenue une grande porte cochère, celle de la tombe de Barbara par laquelle l’immortelle interprète de Göttingen, de Marienbad, de La Solitude, de La Petite Cantate venait nous confier, à Beiteddine, ses joies et ses peines.

Depardieu demeurait lui-même, mais il était la fragilité gracieuse de Barbara.

20 juillet 2019, palais de Beiteddine. Non pas un spectacle mais un dialogue ensorcelé avec une ombre disparue.

Une soirée de sortilège, un conte magique où devant nos yeux éblouis un homme, obèse et vieillissant, au talent de génie, nous offrit le spectacle inouï de sa transsubstantiation en une femme filiforme, infiniment fragile et dont la grâce et la mémoire se moquent, en chantant, de la mort et de ses sépultures.

Hier soir, en sortant du spectacle, j’étais certain que, nous les humains, sommes des êtres immortels et divins.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

Samedi soir, 20 juillet, sous les arcades du palais de Beiteddine, on ne savait plus qui était qui. Gérard Depardieu a chanté, pardon « il était ; il fut ; il est » Barbara, le grand et frêle oiseau noir. Je suis allé au spectacle sceptique, me disant : « Va-t-il pouvoir chanter ? » Je pensais qu’il allait dire les paroles de Barbara, ou entonner leur...

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