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Moyen Orient et Monde - Anniversaire

Le (vrai-faux) virage anti-occidental d’Erdogan après le putsch raté de 2016

En froid avec les Européens et les Américains, le président turc s’est tourné vers les Russes, mais cela mènera-t-il pour autant à un bouleversement d’alliances ?


Rencontre entre le président Erdogan et le président Trump lors du G20 au Japon en juin dernier. Kevin Lamarque/Reuters

C’était il y a trois ans. Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une tentative de coup d’État menée par une faction des forces armées turques contre le président Recep Tayyip Erdogan vise, selon les putschistes, « à rétablir la démocratie ». Le putsch, qui sera commémoré aujourd’hui en Turquie, s’est soldé par un échec avec un bilan officiel de plus de 290 morts.

Les autorités turques ont accusé le prédicateur islamiste Fethullah Gülen, installé aux États-Unis, d’avoir fomenté le putsch manqué, ce que l’intéressé dément. Plus de 150 000 fonctionnaires ont été limogés dans le cadre de l’état d’urgence instauré au lendemain du coup d’État manqué, des purges destinées selon Ankara à « nettoyer » les institutions, notamment l’armée, des partisans de M. Gülen.

Outre cette chasse aux sorcières, Ankara a pris ses distances avec le camp occidental, surtout après les vives critiques formulées par les Européens contre le tour de vis de M. Erdogan, dont le régime devient de plus en plus autocratique. Avec les États-Unis, les relations se sont considérablement refroidies, les autorités turques estimant que si l’administration américaine n’était pas impliquée dans cette tentative, elle devait au moins être au courant des préparatifs du putsch. Sans compter que Washington refuse catégoriquement d’extrader Fethullah Gülen.

Parallèlement, les relations entre la Russie et la Turquie se sont singulièrement réchauffées. Pourtant, les deux pays avaient été au bord de la rupture en novembre 2015 lorsque des chasseurs turcs avaient abattu un bombardier russe au-dessus de la frontière syro-turque, avant de normaliser graduellement leur relation. Le président russe Vladimir Poutine a été l’un des premiers dirigeants étrangers à appeler son homologue turc après le putsch raté, pour lui souhaiter un « retour rapide à la stabilité ».

Certains observateurs estiment par ailleurs que le rapprochement entre les deux dirigeants est soutenu par la même vision politique et le même caractère autoritaire. M. Poutine n’a d’ailleurs jamais critiqué les purges et les arrestations massives entreprises par le régime turc après le coup d’État manqué.

Il s’ensuit une « réanimation de la coopération économique et commerciale » entre les deux pays, selon les propos de M. Poutine, avec la signature d’un projet majeur de gazoduc, baptisé TurkStream, à l’occasion d’une visite du président Poutine à Istanbul en octobre 2016.


(Lire aussi : Procès des figures de proue des manifestations anti-Erdogan de 2013)



Un « vrai partenariat »

Le 10 mars 2017, MM. Erdogan et Poutine se félicitent d’avoir entièrement normalisé leurs relations. « Nous considérons la Turquie comme notre partenaire le plus important », souligne le second, après une rencontre avec le président turc à Moscou. Les deux dirigeants signent un plan de coopération jusqu’à 2020 pour stimuler les échanges commerciaux.

En septembre de la même année, les deux pays signent un contrat portant sur l’achat de systèmes de défense antiaérienne S-400, malgré l’inquiétude des partenaires d’Ankara au sein de l’OTAN. Le début de la livraison de ce système la semaine dernière marque un pic dans le réchauffement des relations entre la Russie et la Turquie, irritant un peu plus les États-Unis.

Plusieurs membres du Congrès américain, républicains comme démocrates, ont appelé à annuler les livraisons des avions de combat F-35 à Ankara et demandé des sanctions contre les responsables turcs impliqués dans l’accord avec la Russie. « Qu’un membre de l’OTAN choisisse de s’allier avec la Russie et Vladimir Poutine au détriment de l’Alliance atlantique et d’une coopération plus étroite avec les États-Unis est dur à comprendre », ont indiqué dans un communiqué commun Eliot Engel et Michael McFaul, principaux élus démocrate et républicain à la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants.


(Pour mémoire : En Turquie, nouvelles arrestations d'universitaires et figures de la société civile)


Le conflit syrien et les Kurdes

Une autre conséquence directe de ce virage diplomatique a été le changement de la position d’Ankara dans le conflit syrien. Ankara soutenait l’insurrection sunnite syrienne contre le régime de Bachar el-Assad, notamment les Frères musulmans et d’autres groupes islamistes, s’inscrivant ainsi dans la politique turque de récupération des « printemps arabes » au profit des ikhwans, et ce pour des considérations idéologiques liées au néo-ottomanisme, prônées par l’AKP, le parti au pouvoir d’Erdogan. Depuis 2016, la doctrine de « profondeur stratégique » élaborée par Ahmet Davotoglu (ancien Premier ministre et ancien ministre des Affaires étrangères de Turquie) a petit à petit disparu et l’on est revenu aux dogmes kémalistes nationalistes et sécuritaires. La priorité de M. Erdogan devient l’unité de l’État-nation turc, qui passe par la défense de son intégrité territoriale et de sa frontière, surtout contre les Kurdes.Suite au coup d’État manqué, mais aussi à d’autres changements dans le conflit syrien, notamment le réchauffement des relations avec Moscou, Ankara a d’abord lâché les rebelles d’Alep, permettant ainsi aux forces du régime syrien et de ses alliés de réaliser leur première grande victoire, en décembre 2016.

Parallèlement, les troupes turques ont franchi la frontière syrienne nord dans le cadre de l’opération « Bouclier de l’Euphrate », en août 2016, quelques jours à peine après le putsch raté, pour chasser les jihadistes de l’État islamique, mais surtout les combattants kurdes des YPG (Unités de protection du peuple), soutenus par les Américains, mais considérés comme terroristes par Ankara.

Une autre offensive turque sur le terrain syrien, en 2018, a suivi. L’opération « Rameau d’olivier », dans la région de Afrine, était dirigée contre les combattants kurdes pour les expulser de la région et briser leur rêve d’un Rojava autonome à la frontière sud de la Turquie. Cette opération a été déclenchée avec le consentement discret de la Russie, qui a retiré ses troupes de la zone en question.

La Turquie reste en effet profondément froissée par le soutien occidental (américain et européen) aux milices kurdes dans leur combat contre l’EI, alors qu’elle considère les YPG comme le pendant syrien du PKK, bête noire d’Ankara. Parallèlement, les Européens voient d’un mauvais œil le laxisme des autorités turques concernant le passage des jihadistes et des réfugiés syriens vers l’Europe.

Côté américain, la question du pasteur américain Andrew Brunson, assigné à résidence en Turquie et accusé d’activités « terroristes » et d’espionnage, de vives tensions sur le plan commercial avec la question du relèvement des droits de douane, sans oublier la politique pro-israélienne de l’administration Trump avec le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem… ont fini par jeter un peu plus M. Erdogan dans les bras des Russes.


(Pour mémoire : Billy Hayes : Erdogan ne mène pas la Turquie dans la bonne direction)


Une politique autonome

Sur tous ces sujets de tension, la Turquie d’Erdogan semble vouloir davantage marquer son désir d’autonomie par rapport à ses partenaires occidentaux, sans toutefois couper définitivement les liens avec eux. En fin de compte, Ankara se considère comme une puissance régionale indispensable pour les Américains et les Européens. De ce fait, les Turcs exercent à chaque fois qu’ils le peuvent une sorte de chantage pour obtenir sur les dossiers conflictuels le plus de dividendes possible, sans pour ainsi dire considérer les Occidentaux comme l’ennemi. En outre, les Turcs prennent aussi des libertés dans leurs rapports avec les autres puissances régionales, même lorsque cela ne plaît pas aux Américains, notamment quand il s’agit de l’Arabie saoudite et d’Israël, alliés majeurs des États-Unis dans la région. Ankara se pose ainsi comme très proche du Qatar et en pointe du combat en faveur de la cause palestinienne. De l’autre côté, la Turquie sait que l’ennemi historique à ses portes ne peut changer du jour au lendemain pour devenir un allié. Les nombreuses différences que peut avoir Ankara avec ses partenaires occidentaux ne paraissent pas jusqu’ici suffisantes pour qu’il y ait le bouleversement majeur que serait un retrait de la Turquie de l’OTAN et un rapprochement subséquent avec Moscou. On attend désormais la réaction des États-Unis face aux premières livraisons des missiles russes S-400 à Ankara. Des sanctions américaines dures pourraient pousser encore plus leur partenaire turc dans les bras des Russes. Ou au contraire, des sanctions plus symboliques donneront raison à la politique d’Erdogan, qui a su jusqu’à présent jouer sur les rivalités entre les deux superpuissances pour se positionner sur l’échiquier régional. Reste à savoir si le grand écart que veut faire le président turc, qui suppose de trouver un équilibre entre les relations avec la Russie d’un côté, les États-Unis et les Européens de l’autre, pourra durer longtemps, ou bien si le pari du reïs turc échouera.




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C’était il y a trois ans. Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une tentative de coup d’État menée par une faction des forces armées turques contre le président Recep Tayyip Erdogan vise, selon les putschistes, « à rétablir la démocratie ». Le putsch, qui sera commémoré aujourd’hui en Turquie, s’est soldé par un échec avec un bilan officiel de plus de 290...

commentaires (4)

Énumérer les différents de plus en plus croissants entre l'occident et ce pays fasciste prendrait un livre entier et non pas un article. Au moment où cet article parait, un autre différent de taille naît celui du forage gazier turc au large de Chypre

Sarkis Serge Tateossian

10 h 18, le 17 juillet 2019

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Commentaires (4)

  • Énumérer les différents de plus en plus croissants entre l'occident et ce pays fasciste prendrait un livre entier et non pas un article. Au moment où cet article parait, un autre différent de taille naît celui du forage gazier turc au large de Chypre

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 18, le 17 juillet 2019

  • IL VA TOUT DROIT ET MENE SON PAYS AUX PORTES DE BELZEBUTH. IL ENVIERA LES AYATOLLAHS IRANIENS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 21, le 15 juillet 2019

  • Il faut expulser la Turquie de l OTAN.

    HABIBI FRANCAIS

    11 h 13, le 15 juillet 2019

  • Les USA n’accepteront pas de livrer l'avion furtif F-35 à un pays qui possède ces missiles russes S - 400 afin que les radars des missiles ne puissent pas s'adapter à détecter le F-35.

    Shou fi

    09 h 46, le 15 juillet 2019

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