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Décryptages

La fascination orientaliste ne s’estompe pas

Elle ne représente pas un mouvement à proprement parler, mais plutôt un attrait commun pour un Orient fantasmé. La peinture orientaliste attire un profil niche de collectionneurs et d’experts qui sont constamment à la recherche de « La » pièce rare. Gaby Daher maîtrise parfaitement les rouages subtils de ce thème. Cet autodidacte revient sur les grandes lignes de cet art.

Gaby Daher, expert en art orientaliste. Photo DR

Au moment où l’on pourrait croire que les aficionados de la peinture et les collectionneurs se dirigent vers des genres plus contemporains, voilà qu’une poignée d’individus et d’institutions locales et internationales continuent de se disputer les toiles des peintres orientalistes. En effet, lors des dernières ventes aux enchères orientalistes organisées par Sotheby’s, en date du 30 avril et du 1er mai 2019, le total des ventes des lots de peintures orientalistes et islamiques (la plateforme britannique les classe en deux catégories distinctes) s’est élevé à 19 895 410 dollars, dont un portrait de Soliman Le Magnifique peint par un des disciples de Gentile Bellini, qui a été vendu à 6 954 088 dollars.

Retour sur ce magnétisme qu’est l’Orient

« Avant l’apparition de la technique photographique, les artistes qui sillonnaient le monde étaient ce qu’on pouvait considérer comme les reporters de presse de l’époque », explique Gaby Daher, marchand d’art et expert de la mouvance orientaliste. « Sur place, les artistes faisaient des esquisses et ils peignaient la toile lorsqu’ils étaient de retour dans leur pays », explique-t-il. La peinture, comme la littérature orientaliste, prend son essor au XIXe siècle. À l’époque, les thèmes « gagnants » étaient surtout Venise, Istanbul et Jérusalem, indique l’expert qui explique que le Liban en tant que tel n’attirait pas vraiment les artistes si ce n’est pour la ville de Baalbeck. Pour gagner Jérusalem, les peintres passaient par le port de Beyrouth et en profitaient pour se rendre à Baalbeck, rendue célèbre au XVIIIe siècle par les descriptions de William Pocock dans son ouvrage Ruins of Baalbeck. Au XIXe siècle, « le thème orientaliste est porté par les grandes familles telles que la famille Rothschild », explique l’expert. « Faire le grand tour », c’est-à-dire aller en Grèce, en Italie et pousser jusqu’à Palmyre et Baalbeck, était à la mode. Les artistes affluaient de plus en plus vers les côtes de cet Orient conté et peint. Les scènes de nu, les couleurs chatoyantes des vêtements, les mosquées, les scènes de rue animées, les étendues désertiques… autant de fantasmes auxquels même les plus grands peintres ont voulu toucher. « Picasso, Delacroix, Modigliani, Van Dongen », cite à titre d’exemple Gaby Daher.

Américains et Européens à l’affût des scènes de voyage

L’expert raconte que durant de longues décennies, la peinture orientaliste attirait surtout les collectionneurs du premier monde. Fascinés par la Terre sainte, les pyramides, Palmyre, mais aussi Baalbeck, Américains et Européens se ruaient vers les deux grandes catégories, à savoir les scènes du quotidien, d’un côté, et les vues topographiques, de l’autre. La première catégorie, portée par des peintres comme Rudolf Ernst et Ludwig Deutsch a fini par attirer des collectionneurs arabes nantis, indique Gaby Daher, qui précise toutefois que désormais, les vues topographiques sont mondialement convoitées. « La demande et les prix des tableaux de grande qualité n’ont pas baissé », soutient l’expert, qui explique cependant que certains thèmes tels que l’Égypte et la Tunisie n’intéressent plus les collectionneurs. Il y a également un phénomène de mode et de statut social – « un seul collectionneur peut déclencher une déferlante pour ce qui est de la demande d’un certain thème », dit-il.

Les tableaux sur le Liban sont très attractifs. « Le marché des tableaux représentant des vues du Liban est explosif au vu de la rareté de l’offre », explique cet ex-banquier que rien ne destinait a priori à se tourner vers le marché de la peinture orientaliste. Selon lui, « le plus beau tableau sur le Liban se trouve au Qatar Orientalist Museum. Peint en 1867 par Antoine-Alphonse Montfort, il représente une scène de cavaliers en partance pour la chasse dans le Mont-Liban » (voir photo). Il scrute d’un oeil expert les dunes, les rues, les côtes, les mosquées et tout un tas de détails qui figurent dans ces tableaux et dont seule une observation experte peut en révéler le cadre spatio-temporel.

« Désormais, nous observons de plus en plus de nouveaux collectionneurs libanais attirés par la peinture orientaliste. Ce phénomène, favorisé par internet, demeure cependant l’apanage d’un créneau exclusif et élitiste », poursuit-il.

Et pour la suite ? « Les marchands d’art et collectionneurs sont de plus en plus à l’affût des tableaux qui représentent des scènes de la vie quotidienne en Syrie. Ce pays, longtemps replié sur lui-même et pas spécialement accueillant pour les artistes, est de plus en plus convoité. En effet, malgré un intérêt certain pour Palmyre, la route pour y accéder était dangereuse », livre l’expert. En bref, le marché de l’art est loin de détourner son regard de la fantasmagorie de l’Orient.

Au moment où l’on pourrait croire que les aficionados de la peinture et les collectionneurs se dirigent vers des genres plus contemporains, voilà qu’une poignée d’individus et d’institutions locales et internationales continuent de se disputer les toiles des peintres orientalistes. En effet, lors des dernières ventes aux enchères orientalistes organisées par Sotheby’s, en date du...

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