Pas une semaine ne passe au Liban sans qu’on apprenne le suicide d’une employée de maison migrante. Hier, une ressortissante éthiopienne a été retrouvée pendue au domicile de ses employeurs, à Dar Bechmezzine, dans la région du Koura au Liban-Nord. Selon une source informée, la malheureuse s’appelait Wibi Eylala Magnissa.
« Elle était bien traitée par ses employeurs, dont l’un était dentiste, l’autre enseignant. Elle entretenait une bonne relation avec eux », précise encore la source. Cette travailleuse domestique « s’occupait d’un membre de la famille atteint de la maladie d’Alzheimer », ajoute-t-elle. « Son corps ne portait pas de traces d’abus physiques ou sexuels», dit aussi le rapport du médecin légiste, dépêché par les Forces de sécurité intérieure. L’enquête qui n’a « rien trouvé » a donc conclu à « un suicide », et le corps de la femme a été transporté à l’hôpital public al-Bourji à Amioun.
Il y a une semaine, c’est également par pendaison qu’une travailleuse étrangère, qui serait de nationalité sri-lankaise, a trouvé la mort. C’était au Liban-Sud, dans la localité de Maaraké. Elle a été retrouvée pendue à un arbre, dans le jardin d’une propriété, un chien domestique à ses pieds.
En avril dernier, même drame à Tripoli. Sauf que le scénario était différent. Zulifa Hassima Tadissou, employée domestique de nationalité éthiopienne, a trouvé la mort en tombant du huitième étage. Quelques jours plus tard, une de ses compatriotes âgée d’à peine 18 ans, Mulu Bateri Defar, se jetait du sixième étage d’un immeuble beyrouthin, à Mousseitbé.
(Lire aussi : Manifestation de travailleuses domestiques à Beyrouth contre le système de la kafala)
Un à deux suicides par semaine
La liste est longue et pourrait remplir des pages entières. Systématiquement, l’annonce d’un suicide par l’Agence nationale d’information est suivie de l’ouverture d’une enquête par les autorités. Mais généralement ces enquêtes ne décèlent ni abus ni maltraitance. Elles n’aboutissent qu’à un constat de suicide dressé à la hâte, et sont alors classées sans suite. Nul employeur n’a jamais été sanctionné au Liban pour avoir poussé au désespoir son employée de maison, pour l’avoir enfermée, exploitée, maltraitée. Nulle autorité ne s’est jamais demandé jusque-là pourquoi au Liban les travailleuses domestiques se donnent la mort, alors qu’elles y viennent pour travailler et améliorer leurs conditions de vie. Au point que des organismes internationaux comme Amnesty international ont invité le Liban à abolir le système du garant ou kafil. Ce système, qui place l’employée de maison sous la tutelle de son employeur, ouvre la voie à de graves abus, compte tenu que le travail domestique n’est pas réglementé par le code du travail. Selon Amnesty, « il s’apparente à de l’esclavage moderne, car il octroie aux employeurs un contrôle quasi total sur la vie des travailleuses domestiques migrantes ».
Un à deux par semaine. Tel est le rythme infernal des suicides d’employées de maison au Liban. Une réalité intolérable que le nouveau ministre du travail, Camille Abousleiman, a promis de changer. Un comité de pilotage dirigé par l’Organisation internationale du travail (OIT), formé d’experts du ministère et de plusieurs organismes de défense des droits de l’homme, se penche depuis un bon mois déjà sur l’élaboration d’un nouveau contrat de travail plus respectueux des droits des employées de maison étrangères. Mais ce travail fastidieux et délicat nécessite du temps et devrait se limiter aux prérogatives du ministère du Travail. S’il ne pourra s’attaquer au système du garant, une mesure administrative adoptée par la Sûreté générale, du moins ambitionne-t-il de dresser les bases d’une relation équitable et juste entre les employées de maison et leurs employeurs libanais.
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commentaires (12)
"L'esclavage est la condition d'un individu privé de sa liberté, qui devient la propriété, exploitable et négociable comme un bien matériel, d'une autre personne". Qui est concerné dans ce préambule ? L'Eat, l'employeur, le kafil (garant), l'Ethiopienne ou la Sri-Lankaise ?
Un Libanais
16 h 05, le 28 mai 2019