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Culture - À l’affiche

Kirsten et Nadine, un peu de Thelma, beaucoup de Louise

Une jeune Américaine s’installe à Beyrouth, se lie d’amitié avec sa voisine (une mère de famille) et perturbe l’ordre de sa vie lorsqu’une nuit elles deviennent complices d’un meurtre. Présenté au Festival du film d’Atlanta en avril 2018, le premier long-métrage de Noor Gharzeddine, « Are You Glad I’m Here », est depuis projeté aux États-Unis et au Liban.

Nadine (Marwa Khalil) et Kirsten (Tess Harrison).

On a toujours besoin d’un plus petit que soi : Kirsten (Tess Harrison), une Américaine âgée de 24 ans, s’est récemment installée au Liban pour enseigner l’anglais. Elle a l’impression de tout savoir sur la vie jusqu’au moment où elle rencontre sa voisine de palier, Nadine (Marwa Khalil). Tout les sépare. D’abord les années, ensuite la culture, et enfin le statut. Indépendante et ambitieuse, Kirsten regorge d’énergie. Extravertie et amoureuse de la vie, elle a des projets plein les yeux. Nadine, malgré un diplôme en finance, n’a pas été plus loin que le comptoir de sa cuisine où tous les jours elle décortique, épluche, découpe et prépare à manger à son fils et à son ivrogne d’époux. Réservée et secrète, elle commence dans un premier temps à défendre Pierre, son mari, aux yeux de la jeune Américaine (elle est trop jeune, semble penser Nadine, elle ne peut pas comprendre). Celui-ci la trompe, la bat et l’enchaîne (indirectement), mais elle ne dira rien... Voilà le pitch du film Are You Glad I’m Here, de la cinéaste américano-libanaise Noor Fay Gharzeddine. Née à New York, la jeune femme est titulaire d’un BA en cinéma et arts électroniques du Bard College, où elle a eu le privilège d’étudier avec des cinéastes influents tels que Kelly Reichardt, Ben Coonley et Peter Hutton. Fascinée par les films mêlant hyperréalisme et absurdité, tragédie et comédie, elle présente actuellement ce premier long-métrage qui a récolté de nombreuses reconnaissances, dont le prix du meilleur premier long-métrage au Festival international du film de Naples, le prix du public au Festival du film de Brooklyn, ainsi que du meilleur scénario au Festival du film de Napa Valley. Elle a également glané le prix du meilleur long-métrage narratif au Festival du film de Bushwicksuit. « C’est lorsque Kirsten pénètre l’intimité de Nadine, précise la réalisatrice à L’OLJ, qu’elle réalise à quel point l’histoire de sa voisine est beaucoup plus grave et plus importante que sa petite vie d’Américaine frivole, et que leur amitié n’en est qu’une infime partie, presque insignifiante. » Et malgré tout ce qui les sépare, ces deux femmes aux vies opposées et à l’éducation très différente vont se rapprocher, s’écouter, se soutenir comme de vieilles amies d’enfance. C’est cette amitié et cette tension de vie de famille instable qui cimentent leur relation grandissante. La puissance de ce film réside d’abord dans ce que la jeune réalisatrice réussit à faire grâce à sa mise en scène et ses dialogues en non-dits ; à savoir mettre en exergue toute une culture orientale basée sur la honte et les tabous, et à dépeindre à la perfection la vie d’une communauté, avec ses us et coutumes, une communauté qui n’a pas été la sienne : « Je suis née aux États-Unis et j’ai grandi à New York, souligne Gharzeddine, mais j’ai évolué dans une famille libanaise respectueuse des traditions, l’esprit de famille a donc été et reste une constante importante dans ma vie. La famille, la nourriture et la langue me permettent de rester proche de mes racines. Le frère, la mère et les cousins de Nadine sont très inspirés par ma propre famille. Ils veulent aider Nadine, sont prêts à tout, ne se soucient pas des détails scabreux, pourvu qu’elle soit heureuse. C’est cet amour inconditionnel qui rend la famille si intéressante pour moi. » Reste que la réalisatrice ne donne jamais l’impression au spectateur que le film est centré sur une seule héroïne. Elles sont deux et ne forment qu’une seule entité. La mise en scène et le déroulement du film ne relatent pas l’histoire d’un seul point de vue, et le spectateur considère les deux femmes avec sympathie et compassion. Et Nour Gharzeddine d’ajouter : « Au début, nous suivons de près Kirsten, et c’est elle qui nous introduit dans le film, mais cela devient finalement l’histoire de Nadine, et puis l’histoire des deux. »


Il faut rire de tout

L’œuvre aurait facilement pu devenir un film sombre et dramatique, car les thèmes explorés sont lourds : les femmes battues, le divorce, les droits inexistants de la femme libanaise et la manière dont ils sont perçus dans différentes cultures. Mais au final, c’est une histoire qui décrit une amitié naissante, tout en nuances et en plans suggérés. Sans jamais sombrer dans le pathos, Gharzeddine réussit à introduire une note d’humour dans les scènes les plus tragiques, crée un mélange des genres et ne s’enlise jamais dans le drame du sujet. « Je trouve que le comique de situation que les trois gars (Ameen, Farid et Nabil) introduisent dans le film a quelque chose d’essentiellement libanais, dit-elle. Durant la guerre de 2006, j’étais au Liban et je me suis beaucoup déplacée, logeant chez des cousins, des oncles ou chez mon grand-père. J’ai adoré la façon dont toutes ces personnes arrivaient à rester légères face à la gravité de la situation, et ce grâce à l’humour. Leur autodérision et leur calme ont vraiment aidé à me mettre à l’aise. Je pense que ce qui se passe autour de vous importe peu ; l’humour sauve de toutes les situations. La vie est une contradiction composée de comédie et de drame, de ces hauts et ces bas, voilà ce que j’ai cherché à retrouver dans le film. » Au final, Are You Glad I’m Here est un premier film sur l’espoir, l’amitié et l’esprit de famille. Qui explore la nature du bonheur et de l’épanouissement personnel à travers un objectif multiculturel où le réalisme et le reflet de la réalité ont été pris en compte, plutôt que d’essayer de s’en tenir à un genre en particulier. Et Noor Gharzddine reste indubitablement une réalisatrice à suivre.

Are You Glad I’m Here

De Noor Gharzeddine

Metropolis Empire Sofil, jusqu’au 29 mai.


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