Rechercher
Rechercher

Casseur de silence(s)

Le Liban, tout le Liban, ne pleurera jamais assez Nasrallah Boutros Sfeir. Jamais les innombrables et vibrants hommages qui lui ont été rendus de toute part ne suffiront pour faire intégralement justice à sa mémoire. Si pourtant viennent s’y ajouter ces quelques lignes, c’est seulement pour tenter de mettre en lumière le fil directeur qui n’aura cessé de guider la démarche de ce prélat d’exception.

Ardent patriotisme, inaltérable attachement à la formule libanaise, fermeté non exempte toutefois d’esprit d’ouverture et de concorde : pour ceux qui ont eu le privilège de le connaître de près, tous ces traits de caractère découlent invariablement de l’intransigeante rigueur morale dont se parait, bien qu’avec la plus grande humilité, Nasrallah Sfeir. Dans un Orient où la munificence des ors est rarement absente de l’apparat entourant les rituels liturgiques, celui qui fut, un quart de siècle durant, le chef de l’Église maronite, affectionnait une discrète simplicité confinant à l’ascétisme. Mais c’est surtout l’immaculée blancheur de son parcours sacerdotal qui lui autorisait toutes les audaces ; et c’est toujours elle qui le portait à escompter la même rectitude de la part des professionnels de la politique. À propos des cohortes de candidats à la présidence de la République se pressant pour solliciter son soutien, ne confiait-il pas que, par-dessus tout, leur passé ne devait surtout pas faire honte à leur présent ?

Nasrallah Sfeir n’est certes pas le premier patriarche des maronites à avoir défié le pouvoir en place. Mais en semant la graine d’une indépendance renouvelée, c’est un historique doublé qu’il réalisait. Car il bravait tout à la fois le pouvoir et son vigilant cerbère, l’occupant syrien : un occupant arrogant, omniprésent, maître absolu du terrain et qui ne se privait pas d’affirmer sa puissance en recourant aux assassinats et déportations. En appelant au départ de toutes les troupes étrangères, c’est la règle du silence – le silence des agneaux, l’omerta politique – que brisait cet homme à la voix douce et rassurante, mais qui portait loin. Il faisait voler en éclats le slogan d’une présence militaire syrienne jugée utile et même nécessaire, qu’avait érigé en axiome la caste dirigeante, sous prétexte de réalisme. Du coup s’ouvraient les vannes de la contestation et sortait enfin de son mutisme (bien forcé celui-là) la majorité silencieuse.

C’est vrai que la deuxième indépendance, dont Nasrallah Sfeir fut l’inspirateur, reste à parachever, puisque le Liban demeure l’otage des tensions et ingérences régionales. C’est vrai aussi que subsistent hélas d’autres tares inlassablement dénoncées par le vénérable vieillard ; c’est notamment le cas de cette démocratie dite consensuelle qu’il comparait à un chariot en panne, ses attelages s’acharnant à tirer dans des directions opposées. Plutôt que de porter à l’abattement, ce même sentiment d’inachevé devrait porter les citoyens de toutes appartenances à perpétuer en eux, et autour d’eux, l’inébranlable foi dans le Liban qui animait le patriarche disparu. À garder vivace dans leur mémoire et leur cœur le rêve grand-libanais, pan-libanais et interlibanais de l’immense homme de Dieu. À y œuvrer sérieusement surtout, avec le même et fraternel ensemble qu’ils mettent aujourd’hui à le pleurer.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Le Liban, tout le Liban, ne pleurera jamais assez Nasrallah Boutros Sfeir. Jamais les innombrables et vibrants hommages qui lui ont été rendus de toute part ne suffiront pour faire intégralement justice à sa mémoire. Si pourtant viennent s’y ajouter ces quelques lignes, c’est seulement pour tenter de mettre en lumière le fil directeur qui n’aura cessé de guider la démarche de ce...