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Au loup, au loup !

Il a bien raison, le président Michel Aoun, de faire part régulièrement, inlassablement, de sa hantise de voir le Liban n’être plus le Liban, si venait à être rompu son délicat équilibre démographique et confessionnel : si, par suite d’une odieuse machination multinationale, les masses de réfugiés palestiniens et syriens résidant sur son sol étaient définitivement intégrées à sa population.


Il a mille fois raison, le président Aoun, d’insister auprès de ses visiteurs, notamment étrangers, sur le caractère absolument unique de notre pays pluriculturel : sur l’oasis de coexistence qu’il incarne, dans une partie du monde où les États ne se déclinent jamais que sous le sceau de la religion d’État, qu’elle soit musulmane ou juive. Oui, tout cela est bien beau ; beau comme peut l’être d’ailleurs toute image d’Épinal ou brochure touristique, surtout quand elle est destinée à la consommation étrangère. Sur le marché local toutefois, le boniment a hélas du mal à passer.


Car les Libanais savent fort bien, eux, que leur pays de cocagne n’est, d’ores et déjà, plus le même, et que s’il a changé à ce point, ce n’était certes pas pour le mieux. Ils savent qu’il arrive trop souvent à notre oasis tant vantée de résonner aussi du dialogue des armes. Ils savent que notre démocratie, elle aussi portée aux nues, n’est plus que l’ombre, la caricature d’elle-même. Qu’à force de violations de la Constitution, le classique jeu démocratique entre gouvernement et opposition a fait place à une démocratie dite consensuelle qui rend le pays pratiquement ingouvernable. Que le Liban, où un chef du législatif pouvait très bien, il y a quelques années, cadenasser les portes du Parlement face aux élus, est aussi désormais un pays où un président de la République est en mesure de se faire élire à l’usure, en sabotant les réunions de la même Assemblée. Que les libertés publiques, vieille gloire du Liban, sont gravement menacées en ce moment même par la chasse aux sorcières visant journalistes et blogueurs ; idem pour les descentes intempestives opérées par les services de sécurité, et qui n’ont pas même épargné le ministère des Affaires étrangères ; et rebelote pour les scandaleuses brutalités policières commises contre de pacifiques manifestants protestant contre la pose de lignes à haute tension au beau milieu de leurs foyers.


Mais ce ne sont là, au fond, que peccadilles, comparées à la vénalité, aussi impunie qu’effrénée, qui s’est emparée du gros de la classe dirigeante, faisant du Liban un des pays les plus corrompus de la planète. S’ajoutant à leur rapacité, la crasse incompétence des responsables a achevé d’en faire une république bananière privée d’eau, d’électricité, de services publics et même de bananes !


Sérieuse, grave, pressante est incontestablement la menace d’une implantation définitive sur notre terre des réfugiés d’ailleurs. Merci une fois de plus, Monsieur le Président de la République, de le rappeler avec tant de constance et un tel accent d’urgence. Mais ce n’est certes pas l’erratique diplomatie libanaise, confiée (sinon affermée) à votre propre gendre, qui serait de taille à mettre en échec les éventuels complots à l’implantation : surtout quand elle se double d’une aussi incroyable maladresse que celle qui le portait, il y a trois jours, à ranger pêle-mêle, dans la catégorie des envahisseurs de la sainte patrie, réfugiés palestiniens, réfugiés syriens et… politiciens corrompus !


Ce n’est pas non plus en faisant appel, encore et toujours, à la sympathie internationale qu’on protégera efficacement le Liban. Honteux, scandaleux est déjà le peu de sérieux, d’empressement et d’honnêteté que mettent les responsables à honorer les promesses de réforme contractées auprès de la conférence CEDRE. Bien davantage cependant que sa santé économico-financière, c’est l’idée même du Liban qu’il s’agit de préserver, un Liban viable et vivable. Viable, car en mesure de gérer tout seul – et bien gérer – ses propres affaires. Et vivable pour ses citoyens, à l’ombre d’un État de droit. Un Liban méritant non plus la commisération du monde, mais enfin son respect.


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Il a bien raison, le président Michel Aoun, de faire part régulièrement, inlassablement, de sa hantise de voir le Liban n’être plus le Liban, si venait à être rompu son délicat équilibre démographique et confessionnel : si, par suite d’une odieuse machination multinationale, les masses de réfugiés palestiniens et syriens résidant sur son sol étaient définitivement...