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Le banco de Chebaa

Que les banques libanaises et les hameaux de Chebaa se soient disputé la vedette dans la dernière allocution télévisée de Hassan Nasrallah ne devrait pas trop surprendre. Voilà bien en effet deux thèmes éminemment porteurs et qui après tout, comme on le verra plus loin, ne vont pas si mal ensemble.


Les établissements de crédit se sont vu fermement inviter ainsi à partager les sacrifices que requiert la politique officielle d’austérité et à contribuer plus effectivement au service de la dette en réduisant, par exemple, leurs taux d’intérêt. Ce ne serait pas là d’ailleurs un geste gratuit, poursuit Nasrallah, du moment que les banques elles-mêmes ne seraient guère épargnées si le système économico-financier venait à s’effondrer. Ce serait bien fait pour leurs gueules, opineront les tenants de certaine croyance populaire voulant qu’en matière de crise, la scandaleuse rapacité des politicards corrompus n’a d’égale que celle des banquiers. Malvenu est néanmoins cet accès de démagogie ; car charité bien ordonnée commençant par soi-même, le leader chiite aurait véritablement mérité de la nation s’il avait proclamé la fin de toutes les opérations illicites auxquelles se livre la milice au prétexte de l’effort de guerre. Et qui, non contente de priver l’État d’une partie substantielle de ses ressources, notamment douanières, porte gravement préjudice aux commerçants et industriels en règle avec la loi.


Si par ailleurs le chef du Hezbollah reprenait jeudi la vieille rengaine des hameaux de Chebaa, c’était, de toute évidence, pour répondre au leader druze Walid Joumblatt. Assez inopinément, celui-ci venait de contester vertement la libanité même de ce minuscule et litigieux territoire à la frontière sud, n’y voyant en effet qu’une magouille cartographique grossièrement concoctée par des officiers syriens et libanais.


Pour mieux appréhender ce dossier, un bref rappel s’impose. Le fait est que lorsque Israël s’emparait des hameaux de Chébaa, lors de la guerre de 1967 qui lui permit de conquérir en six jours de vastes terres arabes, c’est le drapeau syrien qui flottait sur le modeste poste de gendarmerie local. Or, de deux choses l’une : ou les Syriens, qui n’ont jamais fait grand cas de la souveraineté du Liban, se trouvaient là en situation on ne peut plus irrégulière; ou alors ce territoire a bien été conquis sur la Syrie comme le prétend l’État hébreu, qui a beau jeu ainsi de rejeter les revendications libanaises.


C’est avec l’évacuation unilatérale du Liban-Sud, opérée en l’an 2000 par le gouvernement travailliste israélien, que pointaient les germes de l’imbroglio. La seule annonce de ce retrait, claironnée des mois à l’avance, avait suscité la colère de Damas, qui exigeait des dispositions similaires et concomitantes sur le Golan. Et qui s’inquiétait de voir disparaître, car devenu caduc, son seul moyen de pression sur Israël, le Hezbollah. Le ministre syrien des AE alla même – on croit rêver – jusqu’à mettre en garde le Premier ministre Ehud Barak contre un tel acte suicidaire. Plus incroyable encore, on vit alors les dirigeants libanais de l’époque faire à leur tour la fine bouche, arguant de leur totale solidarité avec le tuteur syrien cruellement laissé sur la touche !


Une fois achevé un retrait apparemment aussi malencontreux, il devenait impératif de trouver la parade. Était alors déterré, dépoussiéré, astiqué, le cas des fermes de Chebaa perdues depuis un demi-siècle entre Liban et Syrie, reperdues pour de bon à l’ennemi et totalement ignorées par la ligne bleue onusienne qui sanctionnait la fin de l’occupation. Ce site est libanais parce que l’État libanais le dit, et cela suffit comme cela : empreinte de panache mais fort incomplète est cette assertion de Nasrallah, car c’est aussi (et surtout) la Syrie qui, dans un bel élan de générosité, le dit. Elle le dit, mais elle se garde bien de délivrer à notre pays une reconnaissance officielle de propriété qui l’aiderait grandement à étayer ses prétentions face à la communauté : cela sans parler de son refus, encore plus opiniâtre, de toute délimitation de sa frontière avec le Liban.


Au final, c’est bien cette fantomatique affaire de Chebaa qui, pour le Hezbollah, représente la plus réelle, la plus précieuse des banques. C’est auprès d’elle que la milice jouit d’un crédit illimité. De manière plus effective que tous les financements déclarés ou occultes, c’est bien elle qui alimente son statut de parti armé au motif de résistance, mais davantage occupé à phagocyter les institutions.


Pour ce qui est de l’austérité, on repassera…


Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Que les banques libanaises et les hameaux de Chebaa se soient disputé la vedette dans la dernière allocution télévisée de Hassan Nasrallah ne devrait pas trop surprendre. Voilà bien en effet deux thèmes éminemment porteurs et qui après tout, comme on le verra plus loin, ne vont pas si mal ensemble.Les établissements de crédit se sont vu fermement inviter ainsi à partager les...