Ce sont des messages particulièrement significatifs que le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah a adressés aussi bien au leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt qu’aux banques. Celles-ci se sont retrouvées dans le collimateur du parti chiite pour la toute première fois.
S’exprimant jeudi, à l’occasion de la troisième commémoration du décès de Moustapha Badreddine, un cadre du parti décédé en Syrie, le numéro un du Hezbollah s’est ouvertement adressé au secteur bancaire. Dans la foulée des houleux débats autour du budget 2019 en Conseil des ministres, il a exhorté les banques à prendre part au processus de sauvetage du pays. « Certains devraient être responsables de sauver l’économie, parmi ceux-ci les banques », avait lancé le dignitaire chiite, avant d’ajouter, à l’adresse des établissements de crédit : « Si vous ne prenez pas part à ce processus, vous les propriétaires de banque, et si la situation financière s’effondre, que restera-t-il de vos capitaux et investissements ? » « Les capitaux ne reviendront pas parce que le pays se dirige vers la chute. Pour vos capitaux et investissements, vous devez prendre l’initiative et dire aux trois présidents que vous êtes compréhensifs de la conjoncture actuelle, et que vous acceptez la baisse des taux d’intérêt », a encore dit Hassan Nasrallah.
Ce genre de déclaration est en harmonie avec les orientations économiques du parti chiite, hostile à toute mesure à même de léser les catégories à revenu faible. Les propos du leader chiite interviennent à l’heure où certains médias proches du 8 Mars mènent une campagne contre le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, et sa politique monétaire. Mais il est difficile de cerner les propos du secrétaire général du Hezbollah à cette seule dimension. Et pour cause : il s’agit de la toute première fois où Hassan Nasrallah s’attarde sur les questions financières et s’adresse ouvertement aux banques. Un geste qu’il a choisi de faire à l’heure où l’Iran est la cible de sévères sanctions dont les retombées n’épargneraient pas le Liban et son système bancaire.
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« Le plus dangereux discours »
Perçu sous cet angle, le message du leader du Hezbollah aux banques constitue son « plus dangereux discours », pour reprendre les termes d’un observateur politique proche des milieux souverainistes, contacté par L’Orient-Le Jour. Détaillant son constat, il explique que dans la foulée des sanctions américaines contre l’Iran, le Hezbollah tente de porter atteinte au pouvoir d’achat des Libanais, tout en mettant le secteur dans son ensemble au pied du mur. Sur ce plan, l’observateur souligne que le leader du parti chiite a mis les banques devant une équation complexe : soit obéir à ses diktats, soit le passage à des actes musclés, comme ce fut le cas en juin 2016, lorsqu’une banque a été visée par une attaque dont les auteurs étaient soupçonnés d’être proches du Hezbollah.
Un autre observateur politique interrogé par L’OLJ va encore plus loin : il voit dans les propos du numéro un du parti chiite une « flagrante tentative de modifier les règles du jeu au sein du régime économique libéral appliqué au Liban », du fait de l’appel à l’intervention de la Banque du Liban dans le marché.
C’est dans ce même cadre qu’il conviendrait d’inscrire les réactions de plusieurs personnalités et groupements relevant du camp souverainiste aux propos de Hassan Nasrallah. Achraf Rifi, ancien ministre de la Justice et farouche opposant au parti chiite, a ainsi écrit sur son compte Twitter : « Il est vrai que les banques constituent un des piliers de l’économie et devraient, à l’instar d’autres secteurs, empêcher la chute du système financier, mais le fait de les soumettre aux diktats du Hezbollah est une atteinte à leur prestige au sein du régime bancaire international. »
De même, le Rassemblement pour la souveraineté s’en est violemment pris au secrétaire général du parti chiite. Dans un communiqué publié à l’issue de sa réunion hebdomadaire, il a estimé que « la menace lancée par Hassan Nasrallah contre les banques est une atteinte au système économique libéral, qui s’inscrit dans le cadre du projet du Hezbollah visant à modifier l’identité du Liban ».
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La polémique avec Joumblatt
Outre la diatribe contre les banques, le discours de Hassan Nasrallah a représenté une occasion pour le leader chiite de réagir pour la première fois aux propos du chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt concernant les fermes de Chebaa. Dans une interview accordée, le 25 avril dernier, à la chaîne Russia Today, le leader de Moukhtara avait déclaré que les fermes en question ne sont pas libanaises, accusant des officiers libanais et syriens de « falsifier les cartes » de la zone frontalière libano-syrienne. Et M. Joumblatt de faire valoir que Damas n’a pas voulu remettre au Liban les cartes qui confirment que les hameaux de Chebaa sont libanais, dans une volonté de continuer à faire pression en faveur du maintien des armes du Hezbollah sous prétexte de poursuivre la lutte contre Israël. Sauf que contrairement aux attentes, Hassan Nasrallah a soigneusement évité de citer nommément Walid Joumblatt. En revanche, il n’a pas manqué de renvoyer la balle dans le camp des autorités qui, elles, « affirment que les fermes sont libanaises ».
En face, les milieux de Moukhtara préfèrent ne plus alimenter « une polémique qui n’en est pas », comme le souligne à L’OLJ Marwan Hamadé, député joumblattiste du Chouf. « Les fermes ne peuvent être libanaises que si Damas les reconnaît comme telles », déclare-t-il. À une question portant sur l’avenir des rapports PSP-Hezbollah après la trêve observée entre les deux formations, M. Hamadé rappelle que Walid
Joumblatt est attaché à ses positions de principe concernant (l’opposition à) l’intervention du Hezbollah en Syrie, tout en reconnaissant que la formation chiite fait partie intégrante du tissu libanais.
Quoi qu’il en soit, la réaction de Hassan Nasrallah aux déclarations du leader druze n’est certainement pas sans susciter des interrogations autour des raisons derrière « le calme » qui l’a caractérisée. D’autant qu’elle porte sur un sujet particulièrement épineux. Contactés par L’OLJ, des observateurs politiques expliquent l’attitude de Hassan Nasrallah par les sévères sanctions américaines contre Téhéran, et qui lèsent sévèrement le Hezbollah. Celui-ci ne désire donc aucunement polémiquer davantage avec Walid Joumblatt et se contente de lancer ses menaces habituelles contre Israël, dans une tentative de confirmer sa détermination à faire face à la politique américaine dans la région, principalement axée sur la confrontation directe avec l’Iran, disent-ils, ajoutant la volonté de faire barrage à toute tentative du chef de l’État Michel Aoun de presser dans le sens de la mise sur pied d’une stratégie nationale de défense, comme il l’avait promis avant les législatives de mai 2018.
Pour ce qui est des raisons derrière l’escalade verbale de M. Joumblatt, les mêmes observateurs estiment qu’il s’agit d’une réaction aux efforts déployés par la « Moumanaa » visant à assiéger M. Joumblatt qui cherche à s’affirmer en leader des druzes libanais et syriens. Ils en veulent pour preuve la visite de Teymour Joumblatt et Waël Bou Faour, députés du Chouf et de Rachaya respectivement, en Turquie, où ils ont évoqué le sort des druzes de la province d’Idleb.
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commentaires (24)
Il peut menacer autant qu'il veut rien ne changera le fait qu'il est aux abois et n'a plus de thune. Plus le temps passe plus il se trouvera isole et dans la mouise. Les banques Libanaises on déjà pris leur précaution en investissant a outrance a l’étranger pour protéger leurs intérêts mais aussi ceux du pays a plus long terme. Hassouna et compagnie arrive vers la fin de leur sombre épopée.
Pierre Hadjigeorgiou
10 h 14, le 06 mai 2019