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La mémoire de la pierre

Notre ère est celle de l’histoire immédiate. De milliards d’humains disséminés aux quatre coins de la Terre, la technologie satellitaire fait ainsi les témoins, en temps réel, en live, d’évènements d’exception, tantôt grandioses et tantôt cataclysmiques. C’est dans cette dernière et atterrante catégorie que se classe d’autorité l’incendie qui a ravagé lundi Notre-Dame de Paris, même s’il n’y a pas là d’hécatombe humaine à déplorer.


Car ce drame n’a pas plongé dans l’effroi et l’affliction les seuls catholiques de France, ou même les seuls citoyens d’un pays qui fut longtemps la fille aînée de l’Église avant d’embrasser la laïcité républicaine. Les cruels sévices subis par ce chef-d’œuvre de l’architecture gothique n’ont pas choqué les seuls amoureux de l’art ou les foules de visiteurs et de touristes étrangers de toutes les races et religions qui s’y pressaient tous les jours. Au même titre que la tour Eiffel, mais en bien plus harmonieux, Notre-Dame est certes d’abord un ouvrage hautement emblématique de la ville de Paris. Mais surtout, et parlant précisément de témoins, cet édifice vieux de plus de huit siècles a vu se dérouler un large pan de l’histoire de France, quasiment gravé dans sa mémoire de pierre et de bois de chêne. Il a connu maintes gloires, essuyé plus d’un outrage, notamment lors de la Révolution, et il a survécu, intact, à deux guerres mondiales. Se plaçant de la sorte au cœur du patrimoine français et même européen, il ne pouvait que rejoindre, avec tous les honneurs, les autres merveilles et trésors de la culture mondiale.


C’est dire l’impact planétaire, le ressenti universel qu’ont pu provoquer les images de l’incendie : la plus traumatisante – car paraissant chargée de sinistres symboles – étant l’effondrement, dans un tourbillon de flammes, de la flèche dentelée qui se dressait fièrement au sommet de la cathédrale. Faux symboles, toutefois, comme illustré par l’union dans l’épreuve qui s’est spontanément emparée des Français, toutes origines et croyances confondues. Symboles démentis avec éclat par le formidable élan de générosité qui, en l’espace de quelques heures à peine, a porté milliardaires et simples citoyens à offrir leur contribution, royale ou modeste, à la restauration de la cathédrale meurtrie, qui menace d’être longue et coûteuse.


Communion dans l’épreuve, mais aussi dans l’espoir d’une nouvelle jouvence pour le vénérable site. D’autant plus percutante est cette leçon de solidarité administrée par le peuple français qu’elle survient à l’heure où le brasier est encore loin d’être maîtrisé sur le front social, marqué par la crise des gilets jaunes. Significative est la décision du président Macron, conscient de la dimension émotionnelle du moment, de différer l’adresse publique, pourtant tenue pour cruciale, qu’il se proposait de prononcer lundi soir.


Le temps n’est sans doute pas révolu où casseurs et autres vandales, non contents de saccager les vitrines, passent leur colère sur les plus vénérables des monuments publics, tel l’Arc de triomphe. Le temps est là néanmoins où avec les pierres noircies de Notre-Dame, c’est leur héritage que les Français ont la conviction de sauver.


Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Notre ère est celle de l’histoire immédiate. De milliards d’humains disséminés aux quatre coins de la Terre, la technologie satellitaire fait ainsi les témoins, en temps réel, en live, d’évènements d’exception, tantôt grandioses et tantôt cataclysmiques. C’est dans cette dernière et atterrante catégorie que se classe d’autorité l’incendie qui a ravagé lundi Notre-Dame...