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Nos Lecteurs ont la Parole - par Paul SADER

13 avril 1975 : Radio Gaga et Flash-Back

«  Perdre la mémoire n’aide pas à retrouver son chemin. » Frédéric Beigbeder

13 avril 1975. Début de la descente aux enfers. D’un parcours initiatique. Une odyssée chaotique. Écorchée. Haletante. Une plongée vertigineuse au cœur de la guerre civile. Et de ses folies.

Quinze années où les jours se suivent sans se ressembler. Et avec eux toutes sortes d’alertes. Les immeubles en ruine. Les nouvelles ponctuées des fameux flashs. Les départs/arrivées...

Et des dates. Surtout des dates. Et encore d’autres dates. Celles qu’on n’oublie pas. Et celles qu’on voudrait effacer de notre mémoire...

Quinze ans d’une guerre confortablement installée dans les habitudes des Libanais. «  Yalla rentre vite avant que ça ne commence  ! » On ne savait pas comment on savait. Mais on savait. «  Et surtout, appelle-moi quand tu arrives  »

L’instinct de survie. Pas de téléphone. Pas d’électricité. Pas d’eau. Chaude, tiède ou même froide. Plus d’essence pour le « moteur ». Plus rien que ce « transistor » au son nasillard. Qui éructe à longueur de flashs des nouvelles qui ne sont même plus d’actualité quelques minutes plus tard.

Mais le mérite qu’a notamment la réminiscence de cette sombre période de notre histoire – et ceux qui l’ont vécue comprendront –, c’est de nous servir à nous, jeunes de l’époque qui avons vécu les traumatismes et, il faut aussi l’avouer, les plaisirs de la guerre, nous servir de cure de thérapie. Nous rappeler aussi de certaines frustrations. Que l’on avait enfouies au fond de notre inconscient  !

Avec le recul, et donc quelque quarante ans plus tard, replonger dans cette ambiance d’insanité totale m’a procuré des relents de ces bouffées d’adrénaline qui étaient à l’époque notre lot quotidien.

Vivre sous une pluie assidue de dix mille obus par jour. Flirter avec la mort constamment présente. Tenter le diable et même des fois Dieu et tous ses saints. Qui, tu t’en doutes, se cachaient bien timidement derrière les volutes de fumée dégagées par les bombes.

Je me souviens encore des nuits impromptues passées dans les abris de fortune. Qui servaient plus souvent de scène de psychodrames de toutes les frustrations exacerbées et les rancœurs mises à nu. Alors même que les hordes de chiens qui hantaient la ville se terraient dans leur coin d’ordures amoncelées à chaque coin de rue, sous une pluie d’obus de tous calibres. Certains testés pour la première fois afin d’en vérifier la capacité de destruction.

Hier encore je te racontais notre jeu préféré d’étudiants de l’époque. Rester le plus longtemps possible sous le feu du franc-tireur « d’en face ».

Pour gagner, outre l’estime des filles qui nous regardaient effarées nous livrer à ces jeux macabres, le respect de nos copains complices de ces passe-temps d’une autre vie. Ma calvitie précoce et mes cheveux blancs sont probablement le résultat de ces trépidations malsaines.

Aujourd’hui encore, je me pose des questions sur la valeur symbolique de ces actes qu’on voulait héroïques, mais qui au bout du compte ne servaient qu’à nous booster encore plus fort cet ego gonflé d’une adrénaline malsaine.

Il reste néanmoins certain que ces « expériences  » nous ont rendus aujourd’hui, paradoxalement, plus vulnérables. Plus fragiles aussi.

La perte d’êtres chers, amis proches ou connaissances, nous était, tu t’imagines bien, traumatisantes à plus d’un égard.

L’échappatoire restait encore dans la recherche de « paradis artificiels ». Comme si l’enfer hallucinant que l’on vivait constamment était, lui, virtuel.

La seule réalité était de toute manière celle que l’on voulait bien se créer. Chacun avec les moyens du bord – intellectuels, culturels et sociaux s’entend.

Un peu comme les gamins d’aujourd’hui qui se plongent dans leur monde virtuel des jeux électroniques, chaque sortie de la maison – le plus souvent l’abri de fortune d’un sous-sol humide – était pour nous une entrée dans un monde virtuel.

Un Fortnite grandeur nature. Et dont l’enjeu était de se retrouver encore le soir dans son lit sain (sic) et sauf.

Il reste néanmoins des séquelles inéluctables que cette guerre a laissées sur nous.

Est-ce que tu t’en sors vraiment « sain et sauf » d’expériences aussi choquantes ? Aussi traumatisantes ? Presque hallucinantes ?

Les bleus au cœur et les ecchymoses de l’âme sont certes les plus significatifs. Mais aussi les moins visibles. Celles qui ne guérissent ni avec le temps ni avec les thérapies.

Aujourd’hui encore nous sommes surpris de notre irascibilité – souvent injustifiée –, nos accès de colère incompréhensibles pour notre entourage.

Il s’agit pour la plupart d’une accumulation de ce stress vécu pendant toutes ces années.

Un peu comme la faiblesse chronique que ressentent ceux qui ont contracté la jaunisse à la même période de chaque année.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour.

«  Perdre la mémoire n’aide pas à retrouver son chemin. » Frédéric Beigbeder13 avril 1975. Début de la descente aux enfers. D’un parcours initiatique. Une odyssée chaotique. Écorchée. Haletante. Une plongée vertigineuse au cœur de la guerre civile. Et de ses folies.Quinze années où les jours se suivent sans se ressembler. Et avec eux toutes sortes d’alertes. Les...

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