C’est toute une foule d’observations – mais aussi d’interrogations – qu’appellent la victoire électorale de Benjamin Netanyahu et son maintien à la tête d’un gouvernement de coalition, qu’il lui reste maintenant à former.
l Premier constat : amorcé il y a des années déjà, le net glissement à droite de l’électorat israélien se confirme spectaculairement. Complètement laminé est désormais le Parti travailliste qui négocia avec les Palestiniens les accords d’Oslo, et complètement disparues du paysage sont les foules énormes que mobilisa à un moment le mouvement La Paix maintenant. Les malversations reprochées à Bibi et ses démêlés avec la justice n’auront pas trop affecté le soutien de ses partisans, qui font preuve à son égard d’une indulgence toute levantine. Et il peut raisonnablement escompter l’immunité une fois rivé à son fauteuil.
l Jamais la formule des deux États (israélien et palestinien) n’a paru plus compromise, sinon morte et enterrée. Dès la veille des élections, Netanyahu évoquait pour la première fois l’éventualité d’une annexion pure et simple de la Cisjordanie, où sont déjà installés près d’un demi-million de colons juifs. Il ne pouvait raisonnablement se hasarder à une option aussi extrême sans la bénédiction de son comparse Donald Trump qui, coup sur coup, lui a concédé la souveraineté israélienne sur Jérusalem, puis sur les hauteurs syriennes du Golan. Le président américain pousse même l’outrecuidance jusqu’à voir dans le triomphe électoral de Bibi une bonne nouvelle pour la paix. Une telle énormité en dit terriblement long sur le contenu du marché du siècle concocté par la Maison-Blanche pour régler le conflit de Palestine et qui devrait être rendu public après la formation du nouveau gouvernement israélien.
l Non moins frappante est l’inertie, confinant à l’abattement, avec lequel sont suivis, dans les rangs des Palestiniens, des développements d’une telle gravité. Complètement hors du coup, écartée du cours des projets peaufinés en coulisses, paraît l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas ; pour le Hamas, cible hautement probable d’un coup de force israélien dans son misérable fief de Gaza, Netanyahu ou un autre, c’est bonnet blanc et blanc bonnet ; remarquable enfin est le faible taux de participation, au dernier scrutin, des Arabes israéliens, ces Palestiniens demeurés sur place lors de la création de l’État juif, récemment autoproclamé État-nation par la Knesseth.
l Mais que dire donc de la placidité dont fait montre un monde arabe obnubilé par ce péril iranien bien plus pressant, désormais, que celui longtemps représenté par Israël ? On touche là à l’un des paradoxes les plus renversants jamais observés dans un Moyen-Orient pourtant fertile en improbables et acrobatiques retournements d’alliances. Scénario hier encore inimaginable : à force d’exporter sa révolution chez autrui, la République islamique, bête noire d’Israël, n’a fait que pousser les royaumes pétroliers du Golfe dans les bras de ce dernier. Cette normalisation a même perdu tout caractère confidentiel, avec la récente multiplication des visites de responsables politiques et d’athlètes israéliens dans ces pays.
S’ajoutant à la diabolisation compulsive dont il est l’objet de la part d’Israël et de l’Amérique, cette désaffection de la question de Palestine a achevé de faire de l’Iran le dernier homme encore debout : le seul champion d’une cause qui fut sacrée pour les Arabes, d’autant mieux placé, par conséquent, pour répandre son idéologie. Sans aller jusqu’à parler de collusion, même objective, on ne peut que rester songeur face à tant de perversité dans ce cercle extraordinairement vicieux dans lequel se trouve actuellement enserrée la région.
l Non, le retour en force de Netanyahu n’est pas une bonne nouvelle pour la paix, et encore moins pour le Liban, auquel il commande au contraire une vigilance particulière, et pas seulement pour toutes les raisons qui précèdent. Sans même devoir rappeler sa vulnérabilité congénitale aux dissensions sectaires comme à la subversion menée de l’extérieur, notre pays, pratiquement seul de tous les pays arabes, abrite, jusque dans ses institutions étatiques les plus fondamentales – Parlement, gouvernement –, des disciples dévoués de Téhéran comme de Riyad, ou même d’ailleurs. Le Liban a longtemps vu se nourrir, l’une l’autre, les deux occupations israélienne et syrienne ; par un funeste caprice de l’histoire, le voici aujourd’hui à la croisée même des influences qui se disputent la région. Au confluent de courants antagonistes, et donc propice aux tourbillons.