Le 14 mars est décidément une date importante pour le Liban. À plusieurs années d’intervalle et à trois reprises, ce jour a marqué un tournant dans l’histoire du Liban et chaque partie peut choisir l’événement qu’elle souhaite célébrer.
Le 14 mars 1978, bien avant la naissance du Hezbollah, l’armée israélienne a envahi, pour la première fois dans une opération de grande envergure, une partie du Liban-Sud et de la Békaa-Ouest jusqu’au Litani et la localité de Kaoukaba. Le Liban a aussitôt porté plainte auprès du Conseil de sécurité des Nations unies et obtenu l’adoption de la résolution 425, qui condamnait l’opération israélienne et demandait aux Israéliens de retirer leurs soldats du Liban. Pendant des années, le Liban a attendu l’application de cette résolution de la part des autorités israéliennes, en vain. Au contraire, en juin 1982, l’armée israélienne a lancé une opération de plus grande envergure encore, envahissant une grande partie du territoire libanais jusqu’à la capitale, déclenchant ainsi un mouvement de résistance qui s’est ensuite organisé et structuré pour devenir le Hezbollah. À cette époque-là, la date du 14 mars n’avait pas été retenue, car le Liban était plongé dans un nouvel épisode de la guerre interne, avec les prémices d’une confrontation entre les parties chrétiennes, dirigées alors par Bachir Gemayel, et les troupes syriennes entrées au Liban sous la bannière de Forces arabes de dissuasion ( FAD), dans ce qu’on a appelé la « guerre des 100 jours » à Achrafieh. Mais la résolution 425 est restée et son application n’a cessé d’être réclamée par le Liban officiel, dans toutes les réunions internationales. D’ailleurs, l’un des arguments du Hezbollah naissant était que la résolution 425 prévoit le retrait des Israéliens et pendant 22 ans, elle n’a pas été appliquée, alors que c’est la résistance qui a poussé les soldats israéliens à se retirer le 25 mai 2000.
Il a fallu attendre 11 ans pour que le 14 mars redevienne une date importante pour le Liban. C’est ce jour-là, en 1989, que le général Michel Aoun, alors Premier ministre dans le gouvernement de transition formé par le président Amine Gemayel à la fin de son mandat (septembre 1988), a lancé la « guerre de libération » contre les troupes syriennes déployées au Liban. Cette guerre est intervenue un mois après le déclenchement par le général de la guerre pour la fermeture des ports illégaux qui avait entraîné une confrontation violente entre les Forces libanaises dirigées par Samir Geagea et l’armée libanaise. À l’issue de ces combats, les Forces libanaises avaient dû évacuer le cinquième bassin du port de Beyrouth, avant de conclure un accord avec l’armée dirigée par le général Aoun. Fort de cet acquis, Michel Aoun a donc lancé sa « guerre de libération » pour bouter l’armée syrienne hors du pays et rétablir la souveraineté nationale sur le Liban. Mais cette guerre n’a pas fait l’unanimité interne, le pays étant alors divisé entre le gouvernement présidé par Salim el-Hoss installé à Beyrouth-Ouest, sous la « tutelle syrienne » (qui ne s’appelait pas encore ainsi), et une partie de la classe politique et milicienne qui était soutenue par les Syriens.
C’est dans ce contexte explosif qu’un Comité arabe tripartite (Algérie, Arabie saoudite et Maroc) a conçu une solution au conflit libanais par le biais de la tenue d’assises des députés libanais à Taëf, en Arabie saoudite (octobre 1989). Le général Aoun a boycotté cette réunion et il a dissout le Parlement ( à l’époque, le pouvoir exécutif avait cette prérogative, qui a été retirée par la nouvelle Constitution adoptée après Taëf). Il a braqué ainsi contre lui toutes les forces du pays et en particulier les Forces libanaises avec lesquelles il est entré une nouvelle fois dans un conflit violent qui se terminera le 13 octobre 1990 par un feu vert international donné aux forces syriennes pour lancer l’assaut contre le palais de Baabda et en déloger le général Aoun. En dépit de cet épilogue qui a ouvert la voie à la période dite de tutelle syrienne, le 14 mars 1989 est resté une date symbole pour le général Aoun et ses partisans, comme une pierre fondamentale dans la construction de la souveraineté et de l’indépendance.
C’est d’ailleurs pour cette raison que le CPL a sciemment choisi la date du 14 mars, en 2005, pour lancer le nouveau mouvement pacifique, cette fois, de libération, dans le cadre d’une vaste alliance politique réclamant le départ des troupes syriennes. Au cours de ce fameux 14 mars 2005, le CPL avait joué un rôle-clé, aux côtés des autres formations, dans la conception du mouvement, dans les slogans et dans l’organisation des manifestations populaires. Mais la cohésion du mouvement a rapidement montré ses limites : il n’a pas survécu aux élections législatives organisées en mai 2005 qui ont donné lieu à une alliance quadripartite (courant du Futur, Amal-PSP-Hezbollah) pour isoler le CPL qui faisait peur à l’époque à cause de l’élan populaire qu’il avait provoqué à la suite du retour du général Aoun à Beyrouth le 7 mai.
Depuis, les alliances politiques ont changé, mais le nom du 14 Mars est resté. Aujourd’hui, même ceux qui le portaient à bout de bras ne croient plus beaucoup à ce mouvement. Mais la date demeure, hautement chargée de symboles...
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commentaires (10)
MAGNIFIQUE DECRYPTAGE QUI , LUI, EST BIEN AU RENDEZ VOUS DE LA VÉRITÉ ET DE L'HISTOIRE. BON WEEK END SCARLETT ET PERMETTEZ UNE BISE SUR CHAQUE JOUE.
FRIK-A-FRAK
20 h 12, le 15 mars 2019