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Liban - Table ronde

Liban et migration : état des lieux et idées de solution

L’Agence universitaire de la francophonie (AUF) a lancé le débat cette semaine, « les questions, comme les réponses, restant ouvertes »...


Les intervenants durant la table ronde organisée par l’AUF. Photo Agathe Bailleul

Beit Beirut a accueilli cette semaine huit universitaires, chercheurs et experts, libanais mais aussi français et jordaniens, et les a fait plancher sur un des sujets les plus sensibles au sud, comme au nord, de la Méditerranée : la migration. L’objectif n’était naturellement pas de trouver des solutions immédiates – le sujet est par trop complexe –, mais plutôt d’ouvrir la discussion et les débats sur une réalité qui impacte lourdement le Liban depuis maintenant huit ans. D’autres séminaires auront lieu afin d’élaborer, à plusieurs, des pistes de sortie de crise, de préférence sur le long terme.

La table ronde qui s’est déroulée en présence d’Hervé Sabourin, directeur régional de l’AUF au Moyen-Orient, à l’origine de cette initiative, étant divisée en quatre thématiques centrales, les intervenants ont chacun abordé le sujet suivant leurs spécialités respectives, en dressant un état des lieux avant de répondre aux questions du public.

Jordanie vs Liban

La migration vers le Liban n’est pas une nouveauté, on le sait. Depuis longtemps, le pays est une terre d’accueil. Cependant, la guerre en Syrie a précipité la région dans une crise sans précédent et le Liban n’était pas prêt pour accueillir plus d’un million de réfugiés sur son territoire – sans compter, rappelons-le, les centaines de milliers de Palestiniens. Kamel Dorai, de l’Institut français du Proche-Orient (IFPO) à Beyrouth, et Jalal el-Husseini de l’IFPO jordanien, tous deux au département d’études contemporaines, se sont penchés sur la question du passage entre aide humanitaire et aide au développement : à partir de quel moment il n’est plus question d’aider sur le court terme, à travers l’envoi de produits de première nécessité par exemple, mais plutôt de penser au long terme et venir en aide à la population déplacée, au travers de fonds destinés au développement? Face à la crise des réfugiés syriens, des stratégies ont été mises en place, notamment en 2016, avec une volonté d’aide au développement.

En prenant exemple sur la Jordanie, M. Husseini explique que le pays a voulu tirer un avantage économique et financier de cette crise, en formant ces nouveaux arrivants et en rendant le travail informel légal. Poussé par l’Union européenne, qui a proposé des fonds monétaires aux Jordaniens en échange de la prise en charge de ces personnes, le pays a ainsi tenté de régulariser 200 000 réfugiés syriens. Bien que les résultats soient discutables, M. Husseini rappelle « qu’au final, le but n’était pas de trouver une vraie solution, mais de limiter les effets de la crise ».

La situation est pourtant bien différente pour le Liban qui, bien qu’acceptant leur emploi dans divers secteurs, ne reconnaît pas le caractère durable de cette crise et insiste grandement sur le retour des réfugiés, sur fond d’interminables polémiques entre les différentes factions politiques.

« Fractures sociales majeures »

Liliane Kfoury et Nizar Hariri, de l’Université Saint-Joseph, ont, eux, travaillé sur la problématique des chiffres et des statistiques autour de la migration, ainsi que de son réel impact sur l’économie libanaise. De façon plus générale, Liliane Kfoury relève à ce niveau « un manque d’exactitude ». Chiffres et statistiques « sont souvent exagérés ou inexistants », précise-t-elle, soulignant l’absence de « système clair qui permettrait de définir ces chiffres, à l’origine de confusions ».

Pour Nizar Hariri, la situation a fait naître des paradoxes : « Au Liban, on ne parle que très peu des conditions de travail des Libanais, mais lorsqu’il s’agit des migrants venant travailler dans le pays, les bouches se délient, avec des commentaires allant de simples inquiétudes, plutôt légitimes, à de la xénophobie ou du racisme. Le pays fait face à des fractures sociales majeures », commente-t-il.

Zeina Mezher, du bureau régional de l’Organisation internationale du travail (OIT), et Najla Tabet

Chahda, directrice régionale de Dorcas Aid International, ont ensuite évoqué les conditions de travail des migrants au Liban. Elles ne se sont pas axées exclusivement sur les réfugiés syriens, mais sur l’ensemble des migrants accueillis par le Liban. Ils représenteraient 50 % de la force de travail au Liban, « une force dont le pays a, en réalité, besoin, notamment dans le domaine de la construction et du bâtiment, de l’agriculture, mais aussi du travail domestique ». Mme Tabet Chahda a mis l’accent sur les standards internationaux concernant les lois de travail et d’immigration – des normes auxquelles le Liban ne répond pas, selon elle, notamment lorsqu’il s’agit des employées de maison étrangères. Elle rappelle dans ce cadre les abus répertoriés, tels que la confiscation de passeport, le temps de travail supérieur à la normale ou l’abus d’autorité.

Le fait d’être humain

Enfin, Dominique Rousseau, directeur de l’Institut des sciences juridiques et philosophiques à l’université Paris Panthéon-Sorbonne, et Wassim Mansouri, avocat au barreau de Beyrouth, ont présenté leurs travaux au travers d’interrogations et de remises en question du droit libanais concernant le statut des migrants. Quels sont les droits ou les devoirs de l’État libanais envers ces personnes, et inversement, quels sont les droits et les devoirs des migrants au Liban ?

Il est nécessaire de souligner dans ce contexte que le Liban n’est pas signataire de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. De ce fait, le pays ne reconnaît pas le statut de réfugié, qu’il désigne comme étant « des déplacés ». Pour M. Rousseau, l’essentiel réside dans l’établissement, au niveau de la loi, de différentes catégories et différents statuts juridiques vis-à-vis des migrants. « Il faut changer de paradigme pour nous permettre de penser la question autrement », explique-t-il. « Le droit est élaboré pour immobiliser une population. De ce fait, le droit actuel repose sur les nationaux, qui disposent de droits, contrairement à ceux qui se déplacent, qui n’en disposent pas. Il faut repenser tout cela à partir du droit fondamental de l’homme à la mobilité. Est-ce que c’est le fait d’appartenir à un État qui nous donne des droits, ou plutôt le fait d’être humain? » s’est-il interrogé.

La crise actuelle a ouvert un champ plus vaste de questions, qui vont au-delà des spécificités des réfugiés syriens, et touchent un système dans son ensemble, un système qui semble à bout de souffle, allant de l’accueil des migrants à leur insertion, et à leur place dans la société. Durant la conférence, les intervenants n’ont eu de cesse de rappeler un point essentiel : le Liban est une terre de migration et a accueilli, au travers des siècles, plusieurs peuples : « C’est aujourd’hui la particularité de ce pays, mais aussi la fierté de son peuple, qui met bien souvent en avant sa diversité. » Mais l’inverse est également valable : les Libanais se sont aussi établis en dehors du pays et la diaspora libanaise à travers le monde est une des plus importantes. C’est pourquoi, pour l’AUF, il s’agit avant tout de lancer les débats, les questions comme les réponses restent ouvertes, rien n’est figé, et les prochains séminaires sur le sujet auront pour but d’élaborer ensemble les solutions pour l’avenir.

Beit Beirut a accueilli cette semaine huit universitaires, chercheurs et experts, libanais mais aussi français et jordaniens, et les a fait plancher sur un des sujets les plus sensibles au sud, comme au nord, de la Méditerranée : la migration. L’objectif n’était naturellement pas de trouver des solutions immédiates – le sujet est par trop complexe –, mais plutôt...

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