La survie du régime. C’est tout ce qui compte au final. Peu importe les moyens, peu importe le ridicule de la situation. L’Algérie n’échappe pas à la règle : la grande majorité des pays arabes est dirigée par des régimes autoritaires, voire autocratiques. On peut les diviser en trois catégories : les régimes dictatoriaux dont le pouvoir repose (pour l’instant) sur un modèle viable ; les régimes dictatoriaux faillis, mais dont le pouvoir est devenu trop fragile pour assurer leur survie, et les régimes dictatoriaux faillis, mais dont le pouvoir demeure solide. Ces derniers sont les pires.
À l’instar des pétromonarchies du Golfe, l’Algérie faisait jusqu’alors partie de la première catégorie. La rente pétrolière permettait au régime d’acheter la paix sociale. Mais la baisse des revenus du pétrole, additionnée à la hausse démographique et à l’incapacité du régime à trouver une alternative à Abdelaziz Bouteflika – malgré le fait qu’il ne soit manifestement pas en état d’exercer le pouvoir –, fait basculer l’Algérie dans une nouvelle catégorie. Probablement pas la deuxième, puisque le régime – au-delà du clan Bouteflika – a la main sur tous les appareils de l’État, si bien qu’il est difficile d’imaginer un scénario à la tunisienne, où le clan se trouve tellement isolé sur la scène locale et internationale qu’il est contraint de quitter le pouvoir.
C’est le risque de tomber dans la troisième catégorie qui apparaît aujourd’hui le plus grand. Le régime est solide, se confond presque avec l’État et peut s’appuyer sur ses ressources financières et sur son appareil répressif. Tout porte à croire qu’il n’a aucune volonté de lâcher le pouvoir. Au mieux, on se dirige vers un scénario à l’égyptienne : le régime change de tête, mais conserve le pouvoir. L’armée égyptienne – et les réseaux d’affaires – a sacrifié Hosni Moubarak pour reprendre complètement le pouvoir un peu plus de deux ans plus tard avec Abdel Fattah el-Sissi. Au pire, on se dirige vers un scénario à la syrienne : le régime noyauté par le clan fait la guerre à son propre peuple pour conserver le pouvoir. Il agite l’épouvantail de l’islam radical et du complot ourdi par l’étranger pour légitimer sa politique ultrarépressive.
(Lire aussi : « On est dans la rue parce qu’on veut un humain au pouvoir, pas une momie »)
Le régime algérien semble vouloir éviter l’escalade et ainsi opter pour un scénario à l’égyptienne. Dans une lettre attribuée au président Bouteflika, celui-ci a annoncé hier que s’il était réélu, il s’engagerait à organiser une présidentielle anticipée à laquelle il ne serait pas candidat. Le régime cherche manifestement à gagner du temps afin de trouver un candidat de substitution et d’organiser la transition. Compte tenu de l’état de santé du président algérien, il ne devrait pas être trop difficile à écarter. Mais son remplacement semble impliquer une réévaluation du partage du pouvoir au sein des différents réseaux, ce qui rend la tâche beaucoup plus compliquée.
Le régime s’est pour l’instant gardé de répondre par la répression aux manifestations pacifiques. Il a toutefois ressorti le vieil argumentaire – efficace dans un pays qui a connu récemment une décennie de guerre civile et qui est frontalier de plusieurs zones de conflit – de la priorité à la stabilité et du péril islamiste. Retournant la situation, le régime a utilisé le scénario syrien comme un repoussoir afin de dissuader les manifestants de s’en prendre au pouvoir. Le premier ministre algérien Ahmad Ouyahia a rappelé qu’« en Syrie aussi cela avait commencé avec des roses », dans une volonté apparente d’effrayer la population sur les risques d’une guerre civile.
Les prochaines semaines devraient être décisives pour savoir vers quels scénarios se dirige l’Algérie. Le régime va-t-il réussir à trouver un remplaçant à Bouteflika ? La population est-elle prête à accepter que tout change pour que rien ne change? À quel point les Algériens sont-ils déterminés à renverser ce régime ? Et à quel point celui-ci est-il capable de tout faire pour survivre ?
Une chose est sûre pour l’instant : dans ses slogans réclamant à la fois plus de démocratie et de meilleures conditions de vie, dans sa spontanéité et son caractère populaire, dans le fait que les partis d’opposition apparaissent dépassés par les événements, et surtout dans son courage et dans son pacifisme, ce que l’on pourrait pour l’instant appeler la révolte algérienne est incontestablement la fille des printemps arabes.
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Il n'y a rien de plus repoussant que ces "printemps arabes" qui ne mènent à rien d'autre qu'à la destruction systématique des pays , et qui ne profitent qu'à Israel en fin de compte .
08 h 15, le 04 mars 2019