Il sort du lot. Camille Abousleiman a un franc-parler qui tranche avec la langue de bois usitée dans le domaine politique. Le nouveau ministre du Travail, à qui les Forces Libanaises ont proposé de rentrer de Londres pour les représenter au gouvernement, a le style direct des gens qui n’ont pas le temps de tergiverser. Un style qu’il utilise pour assumer ses responsabilités, que celles-ci s’inscrivent dans une carrière fulgurante d’avocat international, mise aujourd’hui en suspens, ou au niveau de sa nouvelle mission dans le public.
Au siège du ministère du Travail, à Chiyah, le ton qui se dégage est décontracté. Camille Abousleiman reçoit en tendant un café qu’il a préparé avec sa machine espresso. Il relève que son « côté anglosaxon » s’exprime surtout dans les liens qu’il a établis avec les fonctionnaires dès le premier jour de la prise en charge de ses fonctions. « Pour faire connaissance, je me suis rendu auprès de chacun des employés travaillant dans ce bâtiment de sept étages. J’ai tenu des réunions avec les chefs des divers départements, leur assurant que la porte de mon bureau leur est toujours ouverte. » Le nouveau ministre est convaincu que « la proximité avec les collaborateurs via un travail collectif régulier favorise la réussite ». Il veut être un exemple pour les membres de son équipe qu’il motive en se pointant tous les jours à son bureau, se déclarant à cet égard « agréablement surpris de la bonne volonté qu’ils manifestent ».
Ce technocrate bûcheur multiplie déjà les démarches. Déterminé à simplifier les relations de son ministère avec les demandeurs de permis de travail pour les étrangers, il a déjà entamé l’accélération de l’informatisation qui, dit-il, « va contribuer à enrayer la corruption », un fléau pour lequel il a « une tolérance zéro ». « En rendant publiques les informations relatives aux procédures, délais et frais à payer, l’électronisation des données permet aux utilisateurs de connaître leurs droits et obligations », explique M. Abousleiman, soulignant qu’il a réactivé la ligne verte réservée aux plaintes.
Quant à sa politique de l’emploi, il la résume en ces termes : « Favoriser les Libanais et traiter les étrangers avec respect et humanité. » « Avec des organismes locaux et internationaux, j’ai déjà tenu de nombreuses réunions, dont quatre avec la Banque mondiale, qui va financer un programme de formation visant à adapter les compétences au marché du travail. » M. Abousleiman affirme que « la compréhension du marché va se faire grâce aux études qu’effectue actuellement l’Administration centrale des statistiques ».
Autre projet que le bouillonnant ministre veut réactiver : un programme d’aide à toute entreprise qui recrute des jeunes n’ayant jamais travaillé. « Le financement que la Banque mondiale prévoit est de 1 400 dollars pour tout employeur qui embauche une personne demandant une première opportunité de travail. Le budget couvre 12 000 recrutements », précise-t-il.
(Lire aussi : Emploi : « Priorité aux Libanais », assure Abousleiman à « L’OLJ »)
Boulimie
Ministre depuis trois semaines, ce boulimique du travail a tôt fait de s’atteler à la mise sur pied d’une équipe chargée de plancher sur la modernisation du code du travail, qui date de 1948. « Il faut créer des lois qui incitent à la création de nouveaux emplois », juge-t-il, évoquant aussi « la nécessité d’élargir l’éventail des bénéficiaires de la Sécurité sociale et d’accorder des pensions de retraite aux employés du secteur privé qui ont dépassé 64 ans ».
Pense-t-il pouvoir réduire le taux de chômage ? « Ce travail doit se faire à l’échelle gouvernementale, s’agissant d’abord de stabiliser les finances publiques afin de gagner à nouveau la confiance des investisseurs. »
À ce propos, M. Abousleiman estime que la situation financière du pays est « critique » et déplore le fait que les responsables « ne sont pas alertés par la gravité du problème ». Riche d’une longue expérience dans la dette souveraine pour avoir notamment pris en charge la restructuration de la dette yougoslave au début des années 90 (au moment de la partition du pays), le ministre du Travail estime que le dossier de la dette au Liban est « une priorité accrue », souhaitant apporter son aide au moyen d’« idées radicales et agressives ».
(L’heure est au travail, pas aux polémiques inutiles, selon les visiteurs de Baabda, le décryptage de Scarlett Haddad)
Jamais loin du pays
Lorsqu’on demande à ce père de deux garçons, Pierre-Chaker (29 ans) et Marc (25 ans), et marié à Marie-Christine Riachi, si rentrer au Liban pour s’impliquer dans la politique vaut la peine d’abandonner le parcours éclatant qu’il accomplissait à l’étranger, il affirme n’être jamais resté vraiment loin du pays, soulignant qu’il s’y rendait pour ses activités professionnelles. « J’ai notamment travaillé avec la Banque du Liban et le gouvernement dans le cadre de l’émission d’obligations et d’eurobonds, ce qui m’amenait à Beyrouth 2 à 4 jours par mois. » En outre, indique-t-il, « j’ai de la famille ici », rendant à cet égard hommage à son père Chaker Abousleiman, décédé en 2002 et dont il venait s’enquérir lorsque l’ancien député et président de la Ligue maronite remplissait, « au risque de sa vie », le rôle de médiateur entre les Forces libanaises et les forces aounistes durant la guerre interchrétienne (1988-1990). L’exemple de son père lui aurait-il inspiré le goût de la politique ? « Oui, sans nul doute », fuse-t-il, notant qu’il est imprégné des « valeurs d’intégrité et d’honnêteté avec lesquelles Chaker Abousleiman a servi son pays ». Il ajoute par ailleurs qu’aux États-Unis où il a vécu, « il est très fréquent qu’on veuille entamer une carrière politique après avoir parcouru un long cheminement professionnel ». « Lorsque les Forces libanaises m’ont fait leur proposition, j’en ai saisi l’opportunité, répondant au besoin d’être au service de mon pays et de le faire bénéficier de mon expérience et de mon expertise », confie-t-il, et relevant au passage que la discussion avec les FL avait d’abord porté sur le portefeuille de la Justice. « J’avais rencontré une seule fois le chef des FL. C’était il y a quelques années, à travers l’association LIFE (Lebanese International Finance Executives), une plate-forme d’entraide aux financiers libanais, dont je suis l’un des fondateurs. »
Avec les FL...
Camille Abousleiman a en outre créé un fonds d’aide (du nom de son père) aux étudiants de l’Université Saint-Joseph où lui-même a obtenu une maîtrise de droit en 1980. Il accorde également des bourses aux Libanais qui en ont besoin pour poursuivre des études à Harvard, où il a décroché un LLM après ses études au Liban.
Revenant aux éléments communs qu’il partage avec les FL, le ministre du Travail affirme que « leurs principes, positions politiques et méthodes de travail s’accordent avec les (siennes). » « Je n’aurais jamais accepté cette proposition si ma conscience allait me reprocher de collaborer avec une partie dont je ne partage pas les convictions. » Il relève en outre qu’il apprécie « la façon dont le parti traite les dossiers », indiquant que « lors des réunions consacrées à l’étude des questions d’actualité, les divers points de vue sont pris en compte pour adopter un consensus ».
Ayant troqué sa robe d’avocat contre le costume de ministre, se sent-il à l’aise dans l’arène politique ? « J’agis en pensant que ma bonne foi sera partagée avec celle des autres membres de l’équipe ministérielle », déclare-t-il, indiquant avoir perçu « de bonnes dispositions » chez ses collègues, notamment les nouveaux parmi eux.
Il note toutefois avoir été étonné du procédé utilisé pour informer les membres du gouvernement des points mis à l’ordre du jour de la première séance du Conseil des ministres, jeudi dernier. « Les documents ne nous ont été distribués que l’avant-veille au soir, ce qui m’a poussé, le jour de la séance, à réclamer qu’ils nous soient désormais transmis à l’avance pour que nous ayons le temps de les étudier en profondeur. »
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Ce qu’en pense le « Financial Times »
Basé à Londres jusqu’à son entrée au gouvernement, Camille Abousleiman a jonglé entre les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord où il avait en charge tous les marchés émergents. Des performances parmi d’autres qui le propulsent chaque année au top des classements professionnels. Chambers UK, qui base ses évaluations sur les avis de confrères anonymes, lui a rendu hommage il y a tout juste deux semaines. « Camille Abousleiman est une référence dans les marchés des capitaux », indique la publication, soulignant qu’« il est un excellent penseur stratégique ». « Il est dur, mais flexible dans les négociations, et prend les problèmes à bras-le-corps pour les régler «, ajoute le texte. The Legal 500 UK le considère comme un « leader dans les négociations liées aux dettes souveraines des marchés émergents » ; la publication American Lawyer l’a sacré négociateur de l’année 2018 ;
et last but not least, le Financial Times l’a nommé en 2016 parmi les dix avocats financiers les plus innovateurs d’Europe.
Gino Nader, un homme d’affaires ami de longue date de Camille Abousleiman, affirme à L’Orient-Le Jour qu’« il s’est toujours distingué par une intelligence vive et prompte qui lui a permis de réussir ses études scolaires et universitaires sans jamais se donner la moindre peine ». M. Nader souhaite que « cet homme pragmatique soit écouté au sein du gouvernement parce qu’il pourrait mettre beaucoup de gens d’accord et apporter des solutions à des problèmes a priori ingérables ».
À propos de problèmes réputés insolubles, un autre ami proche également homme d’affaires, Gilbert Chammas, raconte que « nommé avocat international du gouvernement de la Géorgie à l’époque où ce pays figurait parmi les cinq pays les plus corrompus du monde, il avait contribué à mettre en place de nombreuses mesures pour enrayer la corruption, en commençant par le sommet de la hiérarchie ».
Pour mémoire
Les FL officialisent les noms de leurs quatre ministrables
Je vous cite : ""Quant à sa politique de l’emploi, il la résume en ces termes : « Favoriser les Libanais et traiter les étrangers avec respect et humanité. »"" Ça me ramène une trentaine d’années en arrière dans le débat national français, quand il était de bon ton de critiquer ""la préférence nationale"". Nous ne sommes pas en France, et bien sûr ""traiter les étrangers avec respect et humanité"". Surtout les aides ménagères. Du sang neuf en politique, qui se plaindra ?
16 h 31, le 25 février 2019