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Culture - Livre

Quand Vénus Khoury-Ghata tutoie Marina Tsvétaïéva

« Marina Tsvétaïéva, mourir à Elabouga » retrace le parcours dramatique d’une figure féminine incontournable de la poésie russe du XXe siècle.

Vénus Khoury-Ghata, une femme de lettres reconnue et applaudie par ses pairs. Photo DR

Pour qui la poésie veut encore dire quelque chose, le nom de Vénus Khoury-Ghata résonnera certainement : cette Franco-Libanaise de 81 ans, installée à Paris depuis 1972, a reçu de prestigieux prix littéraires, comme le Grand Prix de poésie de l’Académie française (2009) et le Prix Goncourt de la poésie (2011) pour l’ensemble de son œuvre. Notons au passage le titre honorifique d’officier de la Légion d’honneur, une quarantaine de romans et de recueils de poésie publiés, ainsi qu’une assiduité quasi systématique au sein des principaux jury littéraires de l’Hexagone. Une femme de lettres assurément reconnue et applaudie par ses pairs – un statut dont n’aura pas joui son homologue russe, Marina Tsvétaïéva, immense poétesse russe véritablement célébrée à titre posthume, qui se donnera la mort en 1941 et à laquelle Vénus Khoury-Ghata a décidé de consacrer son dernier ouvrage.

Marina Tsvétaïéva, mourir à Elabouga, publié aux éditions Mercure de France, est une biographie romancée (un biopic, diraient les Anglo-Saxons) qui nous ramène au temps de l’avènement du soviétisme et du début du totalitarisme stalinien. À travers la narration des vicissitudes de la vie d’une femme qui se sera constamment démenée contre une implacable adversité, Vénus Khoury-Ghata brosse le portrait d’une âme poétique insatiable, qui ne parviendra jamais à trouver la quiétude dans et hors de la Russie de la première partie du XXe siècle. Que n’aura pas eu à endurer cette dame au parcours misérable, qui avait pourtant été repérée dès ses 17 ans par le poète et critique russe Maximilien Volochine... La famine au temps de la guerre civile, l’exil dans une France qui ne la considère pas, la séparation du père de ses enfants, la perte à 27 ans de sa fille de 3 ans morte de faim, l’opprobre chez les pauvres et dans la société, le rejet amoureux, la non-reconnaissance dans les milieux littéraires de son temps, des déracinements à n’en plus finir… Une femme-martyre qui n’aura pour autant jamais cessé d’écrire, de remplir des carnets de notes, des pages de poèmes, et qui aura passé sa vie à correspondre par lettres avec les plus grands de son époque : Rainer Maria Rilke, Boris Pasternak, Nicolas Gronski ou encore Alexandre Blok, pour ne citer qu’eux.

Pourtant mariée et mère de famille, éternelle amoureuse, bisexuelle, elle se donnera à chaque fois à celui ou celle qui saura émousser ses sens et sera à chaque fois déçue, oubliée, mal aimée. Ainsi, le roman commence par sa fin, c’est-à-dire par le suicide par pendaison de Marina Tsvétaïéva à l’âge de 49 ans. Conclusion aussi bien tragique que logique pour cette femme excentrique et libertaire qui n’était pas faite pour son temps : « Tu sens l’enfer avec tes robes de gitane, tes bagues en argent à chaque doigt, et ce regard candide et pervers que tu poses sur les hommes. Tes convictions dérangent. Une hippie avant les hippies », peut-on lire sous la plume de Vénus Khoury-Ghata .


(Lire aussi : Vénus Khoury-Ghata : grandeur et décadence d'une reine noire)


Style et ellipses
La romancière compose un roman simple, lisible et d’une certaine intensité par endroits. Des extraits de poèmes ou des passages de quelques lettres de Marina Tsvétaïeva participent à un schéma narratif solide, mais quelque peu attendu et qui ne surprend pas véritablement le lecteur. Quelques facilités, quelques poncifs jonchant le texte mettent aussi à mal les espoirs de voir la langue se départir de ses clichés usuels. À cet égard, des topos ou lieux communs, tels que : « Pasternak, ton frère de feu. L’approcher risque de t’incendier, de te réduire en poussière », ou encore : « Tes larmes ajoutaient de la pluie à la pluie », peuvent gêner parfois. On peut trouver aussi que la romancière, dont les qualités stylistiques sont pourtant souvent très efficaces dans ses poèmes, cherche ici et là à créer des effets de style parfois un peu évidents, redondants et pas toujours assez fluides pour qu’ils soient naturellement intégrés à la lecture. Outre l’usage intempestif de l’ellipse pronominale, c’est le cas par exemple des tournures ayant recours à l’antéposition de l’adjectif en ouverture de phrase (une forme de rhématisation peu subtile), dont la récurrence finit par lasser : « Douces les soirées à trois autour de la table du dîner », ou encore : « Lucide, ton regard sur la femme dans le miroir au-dessus du lavabo »...

Un livre malgré tout prenant et inspirant par la vie tumultueuse et authentique de Marina Tsvétaïéva, à laquelle Vénus Khoury-Ghata rend un digne hommage.


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Pour qui la poésie veut encore dire quelque chose, le nom de Vénus Khoury-Ghata résonnera certainement : cette Franco-Libanaise de 81 ans, installée à Paris depuis 1972, a reçu de prestigieux prix littéraires, comme le Grand Prix de poésie de l’Académie française (2009) et le Prix Goncourt de la poésie (2011) pour l’ensemble de son œuvre. Notons au passage le titre...

commentaires (2)

Je trouve la phrase « Pour qui la poésie veut encore dire quelque chose» réductrice. Naturellement, les personnes pour qui la poésie ne veut plus rien dire ne voudront pas s'informer à propos des écrits de Vénus Khoury-Ghata, encore moins sur la vie de Marina Tsvétaïéva.

lila

10 h 52, le 25 février 2019

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Commentaires (2)

  • Je trouve la phrase « Pour qui la poésie veut encore dire quelque chose» réductrice. Naturellement, les personnes pour qui la poésie ne veut plus rien dire ne voudront pas s'informer à propos des écrits de Vénus Khoury-Ghata, encore moins sur la vie de Marina Tsvétaïéva.

    lila

    10 h 52, le 25 février 2019

  • Ce livre est un délice! Je l’ai lu en une fraction de temps. C’est un roman rédigé dans la plus poétique des écritures. Je remercie, au passage, Mme Khoury-Ghata de m’avoir fait découvrir Marina Tsvetaieva.

    Punjabi

    05 h 47, le 25 février 2019

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