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Économie

La période du traitement par des antidouleurs est révolue

Le secrétaire général de l’Association des banques du Liban (ABL), Makram Sader. Photo DR

La formation du nouveau gouvernement est une chose positive, bénéfique et nécessaire, malgré ce qu’ont pu dire les médias – un gouvernement pour les besoins du Hezbollah face à la tempête ; un gouvernement de partage des intérêts ; un gouvernement pour endiguer les risques face à la dégradation de la note souveraine du Liban ; un gouvernement pour rassurer l’Occident et permettre l’accès aux aides... Chacune de ces déclarations reflète une part de vérité amère. Le Premier ministre a eu raison de s’excuser auprès des Libanais en raison de huit mois de retard dans la formation du gouvernement. Et il a également eu raison de dire que « le temps du traitement par des antidouleurs était révolu ».

Ces affirmations du nouveau gouvernement ont été accompagnées de déclarations rassurantes et positives attribuées par les médias au secrétaire adjoint américain au Trésor pour le financement du terrorisme, Marshall Billingslea. Il aurait assuré aux membres de l’exécutif libanais, qu’il recevait à l’ambassade de son pays, que la force du système financier libanais est essentielle à la sécurité. Il aurait aussi souligné les bonnes relations (de l’administration américaine) avec la Banque du Liban, ce qui permet une coopération étroite sur les problèmes urgents avant qu’ils ne se transforment en crises.

Ainsi, nous comprenons qu’un parti local ayant une connexion extérieure a souhaité contenir les pressions américaines grandissantes à son encontre en accélérant le processus de formation d’un gouvernement qui le protège contre tout nouveau développement sur le plan des sanctions. En contrepartie, il semblerait qu’une partie extérieure est désormais convaincue qu’il est nécessaire que le Liban ne se dirige pas vers un effondrement financier, puisque ce serait non bénéfique pour l’intensification de la guerre contre le terrorisme. Notre stabilité financière et sécuritaire l’aura ainsi remporté ! Cette brèche de stabilité, permise par ce consensus extérieur, doit enclencher auprès de la classe politique, représentée par le nouveau gouvernement qui clame que la période du traitement par des antidouleurs est révolue, le processus de mise en œuvre de l’ensemble des réformes sérieuses sur lesquelles elle s’est engagée lors de la conférence de Paris (CEDRE).

Résoudre le problème du gaspillage dans les finances publiques est le dénominateur commun à toute réforme et tout changement. Cela constituera, d’une part, un catalyseur pour les investissements du secteur privé dont nous avons grandement besoin pour générer de la croissance et créer de nouveaux emplois. Et d’autre part, il permettra à l’État d’accroître ses investissements dans les infrastructures : alors qu’ils représentent à peine 1,3 % du PIB actuellement, ils pourraient ainsi atteindre 3,5 % du PIB. Nous nous rapprocherions alors de la tendance mondiale. En outre, cette solution permettra à l’État de financer des investissements publics additionnels sans creuser davantage le déficit public, et pourrait même mener à un surplus du solde primaire, même modeste. Cela enclencherait une baisse progressive du ratio dette publique/PIB ou du moins le stabilisera à 150 % du PIB. Enfin, elle permettra de lancer le programme d’investissements en infrastructures présenté à la CEDRE.

Certains pourraient alors s’interroger sur la taille de ce gaspillage : est-il si important que son élimination pourrait mener à tous les résultats précités ? Absolument ! Une feuille de route présentée par une équipe d’experts économiques au conseil d’administration de l’Association des banques du Liban identifie trois principales sources de gaspillage dans les finances publiques – l’électricité, la fiscalité et les télécoms – qui totalisent quatre milliards de dollars par an. Environ 1,7 milliard de dollars de ce gaspillage est issu du secteur de l’électricité, soit le gaspillage technique et non technique (vols) et les factures impayées, sachant que ces dernières sont la source la moins élevée de manque à gagner. À cela s’ajoute l’évasion fiscale pour le règlement de l’impôt sur le revenu qui représente un manque à gagner d’un milliard de dollars pour l’État. Ce manque à gagner concerne principalement l’impôt sur le revenu des entreprises individuelles et des professions libérales, et chez certains sur les salaires. De plus, l’étude de l’ABL estime à 200 millions de dollars l’évasion fiscale relative à la collecte des taxes foncières et à 500 millions de dollars celle relative aux impôts et taxes, taxes douanières incluses. Il convient aussi de revoir les politiques d’exemptions fiscales qui représentent un manque à gagner de 200 millions de dollars pour le Trésor. Enfin, si l’on parvient à contenir la tendance baissière des recettes publiques issues des télécoms, le Trésor pourrait enregistrer des revenus supplémentaires d’environ 300 millions de dollars.

De cette large répartition des sources de gaspillage des revenus publics profite un large éventail de forces politiques, dépendamment de leurs positions au sein du pouvoir.

Ce gaspillage touche aussi les dépenses publiques au sein des administrations et des institutions publiques, et dépasse les quatre milliards de dollars, si l’on prend en considération la situation de la Caisse nationale de Sécurité sociale. Le manquement de l’État à ses obligations aggrave cette situation puisqu’il n’y a aucune possibilité d’établir les comptes et les bilans de cette institution et donc de les soumettre à un audit.

En dépit de la suppression du portefeuille de la Lutte contre la corruption dans cette nouvelle formation gouvernementale, plusieurs membres de l’exécutif ont haussé le ton pour signifier leur ferme détermination à lutter contre la corruption. Et comme tous les Libanais, nous attendons la concrétisation effective de ces déclarations d’intention.

Loin d’un certain idéalisme face aux modalités de résolution du problème du gaspillage des fonds publics, compte tenu du fait qu’il représente plus des deux tiers du déficit public, nous avons le droit avec les citoyens libanais de réclamer une réduction progressive de ce gaspillage au cours des cinq prochaines années. Ce qui permettra de stabiliser le déficit public à 9 % du PIB et qu’il cesse de se détériorer davantage pour dépasser les 11 %, si aucune mesure n’est mise en œuvre pour contenir ce gaspillage et rationaliser les dépenses.

Face à cette réalité, ceux qui par ignorance réclament des mécanismes non conventionnels comme toute forme d’annulation de la dette méconnaissent et sous-estiment l’impact de leur mise en place sur le pays et les citoyens. De même pour certaines institutions et banques internationales qui lancent des jugements et des opinions grossiers, dont on a pu constater les résultats désastreux issus de leurs conseils et leurs placements sur la stabilité des marchés financiers internationaux en 2008/2009, qui peinent encore à s’en relever. Elles sont peut-être à l’affût d’opportunités pour réaliser des bénéfices exceptionnels dans le cas d’un effondrement des marchés libanais. Elles gagneraient à être plus objectives et plus modestes dans leurs analyses, car leurs statuts n’en font pas forcément des experts de notre situation et notre marché. Par ailleurs, nous sommes tous conscients des risques souverains auxquels nous sommes confrontés et du fléau politique dans lequel nous nous trouvons. Nous avons besoin de réformes et de changement, et nous les exigeons afin de réduire les risques qui pèsent sur le pays et ainsi le service de la dette. Le ratio dette publique/PIB doit être stabilisé, si ce n’est diminué. La lutte contre le gaspillage et la corruption doit échapper aux considérations arbitraires et populistes, puisque les personnes à revenus limités en sont souvent les premières victimes, contrairement aux nantis et aux personnes au pouvoir.

*Secrétaire général de l’Association des banques du Liban (ABL).

La formation du nouveau gouvernement est une chose positive, bénéfique et nécessaire, malgré ce qu’ont pu dire les médias – un gouvernement pour les besoins du Hezbollah face à la tempête ; un gouvernement de partage des intérêts ; un gouvernement pour endiguer les risques face à la dégradation de la note souveraine du Liban ; un gouvernement pour rassurer l’Occident et permettre...

commentaires (1)

Votre article soulève des questions, car vos solutions, nécessaires, paraissent non seulement utopiques, mais insuffisantes. Même s’il est aisé d’imaginer que la corruption soit responsable de la situation économique, peut-on rêver qu’un gouvernement partiellement neuf éradique ce mal national? Si cela commençait à exister, il lui faudrait du temps pour être économiquement ressenti. Est-il logique que la livre libanaise expression d’une économie déficiente continue d’être arrimée au dollar alors que celui-ci a pris, en trois ans, trente pour cent sur la deuxième plus puissante monnaie du monde, l’Euro ? N’y a-t-il pas action logique à défaire cet attelage ou à lui donner de l’air en dévaluant ? Mis à part le problème endémique des réfugiés, quel serait selon vous les mesures capables de donner un influx à l’économie libanaise ? Partout ailleurs, parler de gaspillage indique une volonté de serrer la ceinture du peuple. Ici, il s’agit de serrer la vis à ceux-là même qui le dirigent, est-ce envisageable ?

Rana Raouda TORIEL

17 h 33, le 17 février 2019

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Commentaires (1)

  • Votre article soulève des questions, car vos solutions, nécessaires, paraissent non seulement utopiques, mais insuffisantes. Même s’il est aisé d’imaginer que la corruption soit responsable de la situation économique, peut-on rêver qu’un gouvernement partiellement neuf éradique ce mal national? Si cela commençait à exister, il lui faudrait du temps pour être économiquement ressenti. Est-il logique que la livre libanaise expression d’une économie déficiente continue d’être arrimée au dollar alors que celui-ci a pris, en trois ans, trente pour cent sur la deuxième plus puissante monnaie du monde, l’Euro ? N’y a-t-il pas action logique à défaire cet attelage ou à lui donner de l’air en dévaluant ? Mis à part le problème endémique des réfugiés, quel serait selon vous les mesures capables de donner un influx à l’économie libanaise ? Partout ailleurs, parler de gaspillage indique une volonté de serrer la ceinture du peuple. Ici, il s’agit de serrer la vis à ceux-là même qui le dirigent, est-ce envisageable ?

    Rana Raouda TORIEL

    17 h 33, le 17 février 2019

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