La semaine passée, c’était comme si toutes les chaînes télévisées locales s’étaient donné le mot pour nous confirmer que nous, Libanais, sommes le peuple damné de Dieu.
Contrairement au peuple juif qui se considère le peuple élu et qui a choisi, malheureusement, d’élire domicile à notre frontière, la rendant encore moins étanche, nous, Libanais, sommes effectivement le peuple damné. Nous sommes non seulement un peuple damné, mais maudit jusqu’à la fin des temps. Entre le fameux colis mystérieux disputé à l’AIB, suivi de l’arrestation surprenante de l’agent des douanes qui ne faisait que son travail, l’affaire des officiers des FSI inculpés dans des affaires de gratifications illégales, le sourire figé et béat des nouveaux ministres pilotés par les mêmes partis gouvernants depuis des décennies, la peinture de Louis XIV en costume de sacre diffusée par Walid Joumblatt à l’intention de Saad Hariri et leurs gazouillis indignes de leurs responsabilités, l’immolation ahurissante d’un Georges Zreik désespéré devant les camarades d’école de sa fille, les accusations du prêtre orthodoxe contre le clergé et son intervention sur Hawa el-horiyyé avec Joe Maalouf, les dénonciations des députés et les accrochages dans l’hémicycle où subitement tout le monde devient patriotique sans aucune ambition personnelle, les carrières grignotant ce qui reste de nos montagnes, l’artiste Mayssam qui balbutie des idioties sur la violence conjugale sur le plateau de Pierre Rabbat, il y a de quoi devenir fou !
À peine remis de l’horreur du suicide de Georges Zreik, le peuple libanais a assisté à une mascarade dans l’hémicycle digne des plus grandes tragédies grecques.
Les thèmes soulevés par les parlementaires sont certes des causes justes et légitimes, sauf qu’elles étaient révélées, pour la plupart, par des personnes qui ne sont pas si innocentes que cela. Sur plusieurs chaînes et en parfaite harmonie durant deux jours, nous avons entendu hurler à propos de l’argent volé aux contribuables, des accords mafieux entre la Banque centrale et les banques privées, de l’argent des retraités séquestré dans les coffres du ministère des Finances, des affaires frauduleuses dans lesquelles des personnes du pouvoir seraient impliquées, des agriculteurs privés de leur dû en contrepartie de leur blé, des mères de famille avec des enfants à charge payant chaque année des taxes exorbitantes face à de grandes entreprises se dérobant à leur responsabilité fiscale, une côte et des plages louées par l’État à quelques dollars le mètre carré et relouées aux clients à des milliers de dollars sans aucune charge fiscale supplémentaire, des juges qui ne font pas leur travail et d’autres corrompus, de l’électricité volée, de l’internet illégal, de la dette publique gonflée par du vol systématique des caisses de l’État et des malversations financières, et des salaires payés à des fonctionnaires qui ne se présentent même pas sur leur lieu de travail ou dont la rémunération est disproportionnée par rapport au travail qui leur est demandé, des milliers de candidats ayant réussi le concours de la fonction publique gardés en suspens sous prétexte d’équilibre confessionnel, bref un cauchemar télévisé sans fin... Sauf que cette téléréalité n’est autre que la nôtre !
Et tout cela avait le parfum des ordures émanant de la Quarantaine et le goût amer de l’humiliation d’un peuple morne qui ne sera jamais à la hauteur des ambitions et des sacrifices de ceux qui sont morts pour lui préserver ce petit bout de paradis.
Ceux qui sont morts sont plus vivants que nous, peuple damné et maudit, vivant dans un État volé par ses gouvernants et où la facture de l’éducation et celle de la santé coûtent le plus cher au monde : une vie humaine…
Quelle race de pleurnicheurs ! Vous serez malheureux quoi qu'il arrive !
09 h 45, le 18 février 2019