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À La Une - conflit

Trente ans après, la Russie tentée de réhabiliter l'invasion d'Afghanistan

Dans un contexte de vives tensions Est-Ouest,  Moscou "renoue avec son passé soviétique pour justifier sa nouvelle opposition à l'Occident, explique une historienne de l'ONG Memorial. Mais les conflits internationaux en cours ne favorisent pas la réhabilitation de l'intervention, finie sur une défaite".

Un Afghan assis sur la carcasse d'un tank de l'ère soviétique, le long d'une route, dans la province du Panshir, au nord de Kaboul, en Afghanistan, le 7 février 2019. AFP / Wakil KOHSAR

Ni joie, ni amertume, mais l'envie de rentrer à la maison. C'est ainsi que Mikhaïl Kojoukhov se souvient du dernier convoi soviétique à quitter l'Afghanistan il y a 30 ans, concluant une intervention que certains en Russie appellent aujourd'hui à réhabiliter.

Le 15 février 1989, l'URSS retirait ses dernières unités d'Afghanistan, après dix ans d'intervention en soutien au "régime frère" communiste de Kaboul face à la rébellion islamique. Ce retrait, décidé par Mikhaïl Gorbatchev, signait une humiliante défaite pour l'URSS et contribuait à sa chute.
Ce jour-là, Mikhaïl Kojoukhov, correspondant de guerre, franchit le pont de l'Amitié sur l'Amou-Daria séparant l'Afghanistan de l'URSS, à bord de l'avant-dernier blindé du dernier convoi soviétique, avec ses petits drapeaux rouges. "Les soldats ne rêvaient qu'à rentrer chez eux sains et saufs", raconte à l'AFP Mikhaïl Kojoukov, à l'époque journaliste au quotidien Komsomolskaïa Pravda.

L'un de ces blindés transporte le corps d'Igor Liakhovitch, un conscrit de 20 ans, tué la veille, dernière de plus de 14.000 victimes soviétiques officielles du conflit.
"On voyait le long de la route des +doukhi+ (les "esprits", les partisans afghans NDLR) descendus de leurs montagnes pour observer notre retrait", se souvient Mikhaïl Kojoukov, 62 ans aujourd'hui. "Les regards des habitants étaient pleins de haine ou de dépit, parce qu'on les laissait à la merci du destin." Pour ce journaliste, éphémère porte-parole, en 2000, de Vladimir Poutine alors Premier ministre, cette guerre "restera pour toujours une aventure tragique et insensée".



(Pour mémoire : Les talibans appellent Washington à apprendre de l'"humiliation" soviétique en Afghanistan)



"Justifier" les tensions Est-Ouest 
Très impopulaire, cette invasion avait été condamnée officiellement par l'URSS en 1989 en pleine "glasnost", la politique de la transparence impulsée par Mikhaïl Gorbatchev. Cette vision est désormais remise en cause sous l'influence des vétérans.

Dès 2015, le président Vladimir Poutine, qui promeut depuis 20 ans une vision patriotique de l'histoire au nom de l'unité nationale, avait implicitement justifié l'invasion visant selon lui à "riposter aux menaces réelles" contre l'URSS, tout en reconnaissant "un tas d'erreurs". En avril, il s'était dit favorable à la proposition de députés de dresser un nouveau bilan politique de l'intervention en Afghanistan, à l'occasion du 30e anniversaire du retrait.

Forte de cet accord, la commission de la Défense de la Douma, chambre basse du Parlement, a adopté fin janvier un projet de résolution qui juge "historiquement injuste la condamnation morale et politique" de l'intervention. Selon ce texte, l'invasion a contribué à lutter contre les "groupes terroristes et extrémistes" et contre le trafic de drogue. Ce texte n'a pas encore été voté en séance plénière, reflétant la réticence du pouvoir à réhabiliter officiellement cet épisode traumatisant.

Le journal d'opposition Novaïa Gazeta a dénoncé récemment ces appels à la réhabilitation comme "offensant la mémoire des morts et incompatibles avec le statut d'un Etat démocratique du XXIe siècle".

Dans un contexte de vives tensions Est-Ouest, "la Russie renoue avec son passé soviétique pour justifier sa nouvelle opposition à l'Occident", explique à l'AFP l'historienne de l'ONG Memorial, Irina Chtcherbakova. "Mais les conflits internationaux en cours ne favorisent pas la réhabilitation de l'intervention, finie sur une défaite", ajoute-t-elle alors que la Russie intervient notamment en Syrie.



(Pour mémoire : 20e anniversaire du retrait russe d’Afghanistan : des leçons pour l’Occident)



"Rien à nous faire pardonner" 
Du côté des vétérans, la pression est forte pour revaloriser le conflit.
"Nous n'avons rien à nous faire pardonner : nous n'avons pas utilisé de napalm (...) et nous avons même pu quitter l'Afghanistan en nous faisant remplacer par nos partisans, ce que les Américains n'ont jamais su faire", plaide l'analyste Piotr Akopov du journal en ligne pro-Kremlin Vzgliad.

Pour Alexandre Kovalev, président de l'Association des ex-combattants de la Communauté des États Indépendants (CEI), l'invasion de l'Afghanistan se justifiait : "Sans nos troupes, les Américains y auraient installé leurs missiles pour viser Moscou". "Gorbatchev a bien fait d'en finir avec cette guerre, mais nous aurions dû continuer à soutenir Kaboul avec du matériel", ajoute M. Kovalev qui était "zampolit" (commissaire politique) du régiment 860, envoyé en Afghanistan pour assurer le retrait de la 40e armée.

Le conscrit Konstantin Volkov part en Afghanistan fin 1981 à l'âge de 17 ans, plein d'enthousiasme. Chargé de radio d'une compagnie de renseignement, il participe à 70 opérations militaires, dont l'une, lorsqu'il réussit à intercepter une correspondance entre moudjahidines en 1983, lui vaut une décoration. Démobilisé en 1983, il a été hanté par cette guerre pendant 15 ans. Devenu prêtre, c'est en tant que "père Konstantin" qu'il réunit désormais dans son église de Darna, à 45 kilomètres au nord de Moscou, une trentaine d'autres "afgantsy" (ex-combattants en Afghanistan) chaque 15 février, date anniversaire du retrait : "Je suggère à mes ex-compagnons de faire pénitence et d'oublier ce qui s'est passé lors de cette guerre."



Pour mémoire
Pour des vétérans russes, il faut changer de stratégie en Afghanistan

Ni joie, ni amertume, mais l'envie de rentrer à la maison. C'est ainsi que Mikhaïl Kojoukhov se souvient du dernier convoi soviétique à quitter l'Afghanistan il y a 30 ans, concluant une intervention que certains en Russie appellent aujourd'hui à réhabiliter.Le 15 février 1989, l'URSS retirait ses dernières unités d'Afghanistan, après dix ans d'intervention en soutien au "régime...

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